DOSSIER : - Face aux appréhensions et discours dominants

L’expérience d’une catholique féministe dans le groupe Maria’M
Publié le 2 janvier 2017Par : Sabrina Di Matteo
Sabrina Di Matteo est directrice du Centre étudiant Benoît Lacroix.
Ce texte fait partie d’une série de quatre présentations faites lors d’un atelier organisé par le groupe Maria’M dans le cadre du Forum mondial théologie et libération tenu au sein du Forum social mondial de 2016 à Montréal, en août 2016. Il reprend les idées fortes d’une démarche originale et unique de dialogue interreligieux, celui de féministes qui enracinent leur engagement pour l’égalité et la justice sociale dans leurs traditions religieuses respectives tout en réfléchissant à la transformation de celles-ci par leur lutte féministe. Un premier texte a déjà été publié. Les deux autres suivront dans les semaines à venir.
Ma foi catholique enrichie par Maria’M
Le groupe Maria’M m’a permis de sortir d’un certain hermétisme catholique que je vivais doublement, comme croyante et comme employée des milieux de l’Église. Je me retrouvais souvent, voire surtout, avec d’autres catholiques! Je parierais qu’un bon nombre de femmes et d’hommes catholiques engagés vivent cet hermétisme sûrement malgré leur bonne volonté. La réalité est telle que si l’on ne crée pas des lieux de rencontre œcuménique et interreligieuse, on risque de ne connaître (autrement qu’en théorie!) que très peu de personnes d’autres confessions chrétiennes ou de traditions musulmanes.
Grâce au souci de parité et de représentativité chez Maria’M, non seulement entre chrétiennes et musulmanes, mais aussi à l’intérieur des traditions elles-mêmes, j’ai pu connaître plus personnellement des croyantes liées à l’Église anglicane, à l’Église Unie, à l’Église orthodoxe et d’autres engagées dans des organismes ou des collectives comme L’autre Parole, Femmes et ministères, l’Association des religieuses pour les droits des femmes, ou encore des chrétiennes simplement chrétiennes, sans affiliation ou pratique particulière… Du côté de l’islam, j’ai pu découvrir des pratiques religieuses et spirituelles racontées par des femmes musulmanes issues d’une diversité de cultures et de traditions – sunnite, chiite, soufie – ou encore sans appartenance précise, comme dit l’une d’elles, simplement « abrahamique », en référence à l’ancêtre commun des monothéismes.
Nos soirées thématiques sur la foi ont permis d’échanger à propos de nos manières de prier, du sens du pèlerinage, de la description et de la signification des fêtes musulmanes de l’Aïd, des fêtes chrétiennes de Noël et de Pâques, entre autres. Nos soirées dédiées à des thèmes sociaux nous ont encouragées à discuter de nos parcours féministes, de la justice sociale, de la libération de « nos corps, notre Terre et nos territoires » (Marche mondiale des femmes 2015), de la laïcité et de ses enjeux…
Avec le temps et la confiance qui s’est développée, nous avons aussi pu nous exprimer plus personnellement sur nos défis et nos souffrances (mais aussi nos résistances et nos succès!) en tant que femmes au sein de réalités religieuses institutionnelles (églises, mosquées, communautés formelles…). En décembre 2014, nous avons vécu, pour la première fois, une soirée d’échange à partir de la figure commune de Marie, présente dans la Bible et dans le Coran. Le nom du groupe y fait d’ailleurs référence. Plus récemment, le thème de la miséricorde, une notion commune et importante dans les deux traditions, a fait l’objet d’une soirée. Au fil des rencontres, nous inventons des rituels : nous nous sommes donné des foulards colorés aux tons de terre (jaune, ocre, rouge, marron) en guise de symbole d’appartenance, nous avons composé des prières, vécu un rite de pardon…
En écoutant les femmes musulmanes, j’ai pu mieux connaître certains récits du Coran et j’ai surtout eu envie de les explorer davantage afin de dépasser les préjugés qui abondent. Comme chrétienne, j’ai pu rendre compte, avec mes consœurs, de l’expérience d’interpréter des textes bibliques en en cherchant leur sens et en les actualisant en lien avec des enjeux actuels de justice et de paix.
Les échanges avec les femmes d’autres confessions ou d’une autre religion m’ont interpellée quant aux doctrines concernant les personnes LGBTQ dans le catholicisme, tandis que d’autres églises et des voix musulmanes évoluent en faveur d’une reconnaissance de leurs droits et de leur inclusion. Si l’Église catholique prône bien sûr l’accueil, son discours en est encore un de condamnation. Suffit-il d’accueillir alors qu’une personne homosexuelle, trans ou queer est jugée intrinsèquement comme désordonnée et pécheresse?
L’une des choses les plus marquantes a été pour moi de constater la fierté de croire des personnes de foi musulmane et, notamment, la force des femmes qui subissent des préjugés, du dénigrement, voire des violences verbales et physiques en raison des signes extérieurs de leur foi, tel le port du voile. Comme chrétienne ayant grandi dans un Québec où il est gênant de dire sa foi, cela m’a interpellée et continue de me pousser à vivre ma foi dans moins d’enfermement et à encourager les occasions de partage de foi qui promeuvent le dialogue et l’éducation.
J’ajouterais finalement que la fréquentation du groupe Maria’M m’a fait réaliser à quel point la pratique religieuse est vécue différemment par chaque personne. « La femme musulmane » ou « la femme chrétienne » n’existent pas. Nos parcours et nos expressions de foi sont loin d’être monolithiques. Il existe une diversité de vécus spirituels autant qu’il existe une diversité de femmes.
Mon féminisme enrichi par Maria’M
Maria’M m’a permis de connaître personnellement des chrétiennes engagées dans un ministère ordonné dans les Églises issues de la réforme (Église Unie, Église anglicane). Voir ces femmes pasteures à l’œuvre me fait me questionner grandement comme catholique vis-à-vis mon institution et vis-à-vis ma propre militance pour l’accès aux ministères ordonnés pour les femmes. Je me réjouis de l’annonce récente de la création d’une commission d’étude sur le diaconat des femmes dans l’histoire de l’Église catholique, à l’instigation du pape François, et de la parité volontaire de cette commission.
Les femmes peuvent se donner entièrement au service de l’Église dans le leadership institutionnel et dans les ministères pour le soin des personnes et des communautés. Il ne suffit pas de parler de « génie féminin » ou d’une « théologie de la femme ». La femme, ça n’existe pas… Par ailleurs, tant que des femmes ne seront pas suffisamment mises à contribution comme théologiennes et expertes, tant dans les Églises locales qu’au niveau des instances du Vatican, cette réflexion sur les femmes sera carencée.
Les rencontres de Maria’M m’ont fait découvrir l’engagement de musulmanes dans leur rapport à leur tradition et à la société bien autrement qu’à travers les préjugés colportés par des médias. On n’a pas assez de lieux pour se connaître, pour nouer des liens. Il me semble que les personnes qui portent des préjugés sont celles qui ne connaissent pas personnellement une personne musulmane. Maria’M, en ce sens, est un plaidoyer pour l’amitié.
Nos discussions sur le féminisme et la justice sociale m’ouvrent continuellement les yeux sur des situations d’inégalité : femmes autochtones, traite des femmes et des enfants, violence sexuelle comme arme de guerre, pauvreté et politiques néolibérales qui font tort aux femmes en premier lieu, etc. Mon regard sur l’Église catholique se doit d’être lucide : notre héritage est un mélange d’engagements pour l’éducation, la santé et la croissance spirituelle, en même temps que de responsabilités dans la discrimination et l’abus de milliers d’autochtones dans les pensionnats, de silences lâches face aux abus sexuels, d’asservissement de femmes dans le rôle de reproductrices à une époque pas très lointaine… Il faut faire la vérité pour avancer dans la réconciliation et dans la prévention d’abus des plus vulnérables.
Très personnellement, Maria’M m’a permis, en quatre ans, d’apprendre à m’affirmer comme féministe malgré une institution religieuse qui tait la question du féminisme. Dans mon propre cheminement, je ne me suis pas toujours dite féministe. Longtemps, grâce à une expérience positive et privilégiée de jeune femme en Église, j’ai pu dire aisément que « j’ai ma place en Église ». Or, à une étape professionnelle où je sens que je pourrais et voudrais faire plus – et que cela s’accompagne même d’une reconnaissance communautaire –, j’ose dire que je plafonne parce que la structure et la doctrine de mon institution ne permettent tout simplement pas de m’appeler à plus. Et tout d’un coup, j’en souffre et je me sens limitée. Non pas parce que je voudrais faire « comme les hommes dans le ministère », mais bien parce que le don de soi d’une femme, ses dons et ses charismes, ses compétences aussi, ne sont pas considérés comme aptes à un discernement vocationnel et un engagement ministériel.
Au contact d’autres catholiques féministes et par mes lectures et mes échanges, je peux affirmer que féminisme et foi ne s’opposent pas. Je vois le féminisme comme une option préférentielle pour les pauvres qui sont le plus souvent des femmes, des filles, des enfants. Parfois, au détour d’une conversation, mes consœurs de Maria’M m’ont éclairée pour débusquer le sexisme et le patriarcat à l’œuvre dans mon Église à divers niveaux. Je constate le défi de faire apprivoiser le féminisme à des jeunes femmes catholiques de mon entourage.
Enfin, comme pour la diversité et l’unicité des façons de vivre la foi, Maria’M m’a montré qu’il y a une diversité de féminismes liés aux contextes historiques, aux cultures et aux groupes de femmes racisées. Il y a des féminismes en devenir au sein de notre groupe, tout comme des féminismes extrêmement articulés au plan académique, pour nous rappeler l’intersectionnalité qui marque les enjeux touchant les femmes.
Des remarques et des défis
Il y a un déséquilibre dans Maria’M entre les femmes du point de vue du bagage académique en rapport à leur religion. Il y a plusieurs théologiennes chrétiennes, mais moins de musulmanes ayant étudié l’islam d’un point de vue de l’exégèse des textes ou de la doctrine. Cela signale l’importance d’honorer le témoignage de chacune sans privilégier l’apport académique.
Il y a une prise de parole inégale dans le groupe à laquelle nous devons être attentives. Certaines (souvent les chrétiennes) ont une large expérience de groupes de partage et une aisance conséquente à s’exprimer sur leur vie et leur intériorité. Ce n’est pas toujours le cas pour les musulmanes.
Le va-et-vient des participantes dans le groupe crée le défi de maintenir la parité sur le plan des appartenances confessionnelles et des cultures.
Le groupe s’est interrogé sur sa volonté et sa capacité à prendre position publiquement sur certains enjeux de société. Il nous faut respecter la diversité des opinions quant à cela. Toutes ne se sentent pas prêtes à s’affirmer collectivement et le défi subsiste d’articuler ensemble en peu de temps des textes d’opinion unanimes sur des questions complexes. Les débats sur le port du voile et le projet de loi 60 (charte de la laïcité) auraient pu en être l’occasion. Le fait que nous n’ayons pas agi publiquement a blessé des participantes musulmanes.
Nous avons besoin de pousser plus loin l’échange sur nos images de Dieu/Dieu-e, nos interprétations de la Bible et du Coran, nos rituels. Je ne suis pas sûre que rester au niveau du ressenti et de l’expérience subjective seule sera suffisant ou satisfaisant pour toutes les participantes.
Nous devons nous souvenir de respecter le rythme et le cheminement de chaque femme par rapport à sa position comme féministe. Qu’aucune ne se sente jugée ou n’ait l’impression de ne pas « être assez féministe » – un sentiment malheureusement exprimé par quelques-unes.
Un dernier souhait! Comment encourager des démarches semblables? Entre paroisses et mosquées, dans des écoles, des universités, dans les centres de femmes et d’autres milieux communautaires? Pour dépasser la tolérance et vivre réellement le respect, il faut créer des espaces et des expériences de fraternité et de sororité. J’ai été et suis privilégiée de le vivre à travers Maria’M, et je crois qu’une telle expérience peut être un instrument de paix sociale.