L’opposition classes populaires vs minorités. Panique morale et lecture erronée du monde social : entretien avec Frédérique Matonti

Publié le 7 juin 2022
Par : Frédérique Matonti

Frédérique Matonti est professeure de science politique à l’Université Paris I- Panthéon-Sorbonne.  Elle a notamment publié Le genre présidentiel, enquête sur l’ordre des sexes en politique aux Éditions La Découverte en 2017 et Comment sommes-nous devenus réacs ? aux éditions Fayard en 2021.

 

 

Dans le prolongement de la parution de son livre Comment sommes-nous devenus réacs?, la politiste Frédérique Matonti revient sur la progression de l’idéologie réactionnaire en France, de sa naissance dans les années 1980 à son triomphe actuel, surtout sur les chaînes d’information en continu.

Cet entretien essaie de mieux comprendre comment la parole progressiste, avec le concours de ceux et celles qui étaient censé(e)s la porter, s’est peu à peu dissipée, laissant le champ libre à la banalisation de l’extrême droite.

 

 

 

 

Vivre ensemble (V.E.) : Vous avez récemment analysé, à partir du cas français, ce qui contribue à rendre acceptable et à normaliser, notamment dans les champs médiatique et politique, tout un courant de pensée prenant pour cible les études sur le genre, la question décoloniale, le wokisme, la cancel culture, etc.  Vous dites qu’aucune digue n’empêche désormais les représentants de l’extrême droite, voire de « l’ultra droite » de faire circuler leurs idées réactionnaires tout en passant pour objectifs et en phase avec le respect du pluralisme. Vous utilisez les notions de controverse et d’événement en vue de retrouver de l’intelligibilité et de la pertinence analytique dans un contexte marqué par l’approximation et la dénégation. Comment ce basculement idéologique a-t-il été rendu possible?

Frédérique Matonti (F.M.) : Ce basculement a une longue histoire : jusqu’à la fin des années 1970, la gauche est hégémonique culturellement et politiquement en France. C’est ce qui permet à François Mitterrand d’être élu président de la République en 1982, et même si l’Union de la gauche a été rompue, qu’il y ait des ministres communistes dans les gouvernements au début de son mandat. L’union de la gauche est un programme de gouvernement de plusieurs centaines de pages. Longuement négocié, dès le début des années 1960 même s’il n’est signé qu’en 1972, il rassemble le Parti socialiste, le Parti communiste et le Parti radical de gauche. Il suscita un très fort engouement militant. Les premiers mois de ce septennat sont d’ailleurs très fidèles à cette orientation de gauche (nationalisation d’un certain nombre d’entreprises ou de groupes bancaires; régularisation des sans-papiers, par exemple). Pourtant, dès la fin des années 1970, des intellectuels et des professionnels de la politique venus de la droite radicale théorisent, en s’appuyant d’ailleurs sur Gramsci, qu’il faut renverser cette hégémonie. Ce courant, baptisé « nouvelle droite », publie dans des revues confidentielles mais aussi dans Le Figaro Magazine, un supplément très droitier du quotidien qui paraît le week-end.

Si l’on s’en tient au domaine des idées, certains essais et leur réception très favorable font date dans cette période des années 1980-1990. C’est le cas, par excellence, de La défaite de la pensée d’Alain Finkielkraut en 1987, qui attaque à la fois la politique culturelle de la gauche (mettant trop en avant, aux yeux de son auteur, des pratiques artistiques supposées moins légitimes que la « grande culture », à l’image du street-art, du hip-hop ou des clips), les mouvements antiracistes qui mobilisent notamment grâce à de grands concerts et qu’il juge « jeunistes » et favorables au « métissage » ou la pensée relativiste dont Claude Lévi-Strauss(!) serait un des représentants. Au fil des années 1980-1990, on pourrait aussi citer l’essai de Luc Ferry et Alain Renaut, La pensée 68, paru en 1985, très hostile au structuralisme et aux sciences humaines et sociales, ou les textes plus marginaux de Paul Yonnet qui font du mouvement antiraciste le responsable de la montée du racisme en France (et pas le Front national qui est alors en train de s’enraciner dans l’espace politique).

Enfin, les années 1980 et 1990 voient aussi l’importation de querelles étasuniennes autour du « politiquement correct » tout d’abord, et de ce que l’on pourrait appeler le « sexuellement correct » (c’est-à-dire le mouvement qui, sur les campus américains, insiste sur le consentement des jeunes femmes, à l’inverse de ce qui est parfois dénoncé par les féministes comme le « date rape »). Ces débats et ces thèses néoconservatrices sont importés en France, principalement dans la revue Le Débat (animée par Pierre Nora et Marcel Gauchet), mais aussi dans Commentaire, fondée autour de Raymond Aron et plus clairement libérale, ou encore dans Le Messager européen, animée par Alain Finkielkraut. Et ils le sont quasi sans contrepoint : même Libération s’inquiète de ce « maccartysme à l’envers ». C’est un phénomène comparable à ce que l’on connaît aujourd’hui autour de la panique morale, alimentée par la droite réactionnaire, autour du « wokisme » ou de la « cancel culture ».

« Mon objectif en écrivant cet essai, c’était tout d’abord d’essayer d’expliquer, face à la sidération qui peut saisir le spectateur ou l’auditeur, comment on est arrivé là. Ensuite, c’était de montrer aux lecteurs et lectrices mais aussi aux journalistes et aux programmateurs (voire aux professionnels de la représentation politique) qui n’ont pas cédé à ces idées réactionnaires que les sciences humaines et sociales apportent des réflexions et du savoir. C’est pourquoi, sur chaque sujet, j’ai essayé d’opposer aux fast thinkers (expression de Pierre Bourdieu) des textes solides, et en l’occurrence ici, les travaux extrêmement précieux d’Abdelmalek Sayad »

(V.E.) : Dans votre premier chapitre vous montrez, en rendant hommage à Abdelmalek Sayad, comment la question de l’immigration a entre autres revêtu une dimension symptomale de ce que des luttes pour les droits civiques ou tout simplement d’élargissement de la citoyenneté sont réinterprétées à l’aune d’une expression anathémisante de droit à la différence. Vous dites que cela installe à bas bruit un registre argumentatif confortant l’extrême droite au lieu de la combattre. Que peut l’analyse sociologique comme la vôtre devant une telle force de frappe hégémonique constituée d’intellectuels médiatiques acclimatés et rompus aux rouages des médias dominants.

(F.M.) : En effet, ce registre argumentatif s’installe dès le début des années 1980. Les mouvements antiracistes étant accusés de promouvoir le « droit à la différence » et bientôt le « multiculturalisme » ou le « communautarisme ». Toutes les affaires autour du port du foulard, ou plus tard du burkini sur les plages, radicalisent encore ce discours puisqu’une partie de la gauche opte — au nom de la République ou de l’universalisme ­– pour une laïcité très intransigeante qui n’est pas dans l’esprit de la loi de 1905 (la séparation de l’Église et de l’État), comme l’ont montré Jean Baubérot ou Patrick Weil.

Je ne suis pas sûre que l’analyse sociologique puisse directement contrer les intellectuels médiatiques ou les faux experts qui peuplent les plateaux de télévision des chaînes d’information en continu — les médias français invitent, par exemple, régulièrement Mathieu Bock-Côté quand ils ne lui confient pas (comme la radio Europe 1 ou la chaîne CNews) la tâche d’intervieweur régulier! Mon objectif en écrivant cet essai, c’était tout d’abord d’essayer d’expliquer, face à la sidération qui peut saisir le spectateur ou l’auditeur, comment on est arrivé là. Ensuite, c’était de montrer aux lecteurs et lectrices mais aussi aux journalistes et aux programmateurs (voire aux professionnels de la représentation politique) qui n’ont pas cédé à ces idées réactionnaires que les sciences humaines et sociales apportent des réflexions et du savoir. C’est pourquoi, sur chaque sujet, j’ai essayé d’opposer aux fast thinkers (expression de Pierre Bourdieu) des textes solides, et en l’occurrence ici, les travaux extrêmement précieux d’Abdelmalek Sayad.

(V.E.) : Dans le troisième chapitre de votre livre, vous analysez un axe important sur lequel table la pensée conservatrice pour accabler et inhiber la gauche : le fait que cette dernière aurait abandonné ou négligé les classes ou publics populaires au profit d’enjeux concernant les minorités, ce que le politiste étasunien Ronald Inglehart appela les revendications post-matérialistes. Pourriez-vous nous donner des éléments d’analyse permettant d’éviter le piège de l’opposition binaire classes populaires vs minorités et d’enjamber l’univers d’incompatibilités qui lui est associé.

(F.M.) : En France, cet argumentaire arguant que la gauche se serait éloignée des mondes populaires est apparu après la défaite du premier ministre Lionel Jospin (PS) à l’élection présidentielle de 2002. Celui-ci, à l’issue du premier tour, s’est retrouvé en troisième position derrière le leader du Front national, Jean-Marie Le Pen (qui a été ensuite très largement battu par Jacques Chirac). Cette défaite est intervenue après cinq années de cohabitation entre une chambre (et par conséquent un gouvernement) de « gauche plurielle » (principalement écologistes, communistes et socialistes) et un président de la République de droite (Jacques Chirac) qui avait dissous l’Assemblée nationale, majoritairement de droite mais indocile, au printemps 1997. C’est pendant cette législature (1997-2002) que la nouvelle majorité promeut deux « réformes de société » (la loi sur la parité et le PACS qui, avant la loi sur « le mariage pour tous », confère des droits aux couples gays et lesbiens). Alors que la période était plutôt faste du point de vue économique, le gouvernement aurait sans aucun doute pu aller plus loin. Il met tout de même en place une mesure phare, toujours attaquée à droite : la loi sur les 35 heures qui a abaissé la durée hebdomadaire du temps de travail.

Rapidement se met en place dans une partie de la gauche une explication de la défaite : si Lionel Jospin a perdu c’est que le gouvernement a préféré des mesures en direction des minorités (les femmes, les gays et les lesbiennes) à des réformes en direction des classes populaires. Ce courant à gauche donnera notamment naissance à la Gauche populaire puis au Printemps républicain, des groupes qui s’opposent à tout ce qui leur paraît favoriser le communautarisme qu’ils présentent comme un épouvantail. Pendant la campagne pour la présidentielle de 2007, cette opposition a été reprise mais pour prôner une stratégie inverse. Le think tank Terra Nova, proche lui aussi du PS, jugeant que la gauche social-démocrate avait perdu les électeurs issus des classes populaires qui seraient de plus en plus à droite, estimait qu’il fallait s’adresser à un « nouvel électorat de gauche » (plus jeune, plus diplômé, plus féminin, plus issu de l’immigration).

En fait, l’opposition classes populaires vs minorités repose sur une conception erronée du monde social : les classes populaires ne comprendraient ni femmes, ni personnes racisées, ni LGBTQI+. On pourrait ajouter que les « classes populaires » ne sont pas d’abord touchées par « l’insécurité culturelle » (une autre manière de parler des personnes étrangères ou d’origine étrangère) mais par la précarité économique. Et que, plus que voter à droite ou à l’extrême droite, elles se réfugient dans l’abstention ou le désintérêt pour la politique. Mais cette fausse opposition dissimule aussi que la gauche sur les sujets de société (ou sur les revendications post-matérialistes si on préfère ce vocabulaire) n’a pas été si offensive qu’on pourrait le croire. La loi sur la parité a suscité des oppositions en son sein et la première version du PACS n’a pas pu passer à l’Assemblée nationale, faute de présence suffisante de ses élus. À la différence des années 1970, où des réformes comme la légalisation de l’IVG en 1975 n’ont pu être adoptées que grâce aux élus de gauche alors dans l’opposition, les partis ne portent plus suffisamment les demandes du mouvement social. Sans doute parce qu’ils ne sont plus assez liés avec les syndicats et les associations. Dans tous les cas, la gauche ne pourra se reconstruire que si elle construit un programme à la fois attentif aux minorités et aux nécessités de la redistribution.

« La sociologie notamment est suspectée à droite, mais aussi dans une partie de la gauche, d’excuser les comportements déviants ou criminels — on l’a vu au moment des attentats de 2015. On le voit avec les ministres de l’Éducation nationale et de la Recherche, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, qui en pleine pandémie, alors que les étudiants connaissaient de graves difficultés économiques et psychologiques, s’inquiétaient de la menace « islamo-gauchiste » qui aurait pesé sur l’université et se préoccupent aujourd’hui des « woke » ou d’une supposée cancel culture. »

(V.E.) : Allons plus loin sur la question des épouvantails du « politiquement correct » et du « sexuellement correct ». Vous relevez sur ces questions les grandes difficultés des médias, dans la foulée des débats sur le Me Too, à faire écho aux analyses issues des enquêtes sociologiques en matière de rapports de domination. En vous lisant, on comprend que les sciences sociales sont peu représentées dans le champ médiatique actuel. Par-delà cette sous-représentation, ne faut-il pas aussi pointer la question de la socialisation des journalistes et de leurs connaissances sur les études de genre et de race?

(F.M.) : Les sciences sociales ne sont pas simplement méconnues par le champ médiatique, elles le sont avant tout par les partis politiques, ce qui rejoint la question précédente. La sociologie notamment est suspectée à droite, mais aussi dans une partie de la gauche, d’excuser les comportements déviants ou criminels — on l’a vu au moment des attentats de 2015. On le voit avec les ministres de l’Éducation nationale et de la Recherche, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, qui en pleine pandémie, alors que les étudiants connaissaient de graves difficultés économiques et psychologiques, s’inquiétaient de la menace « islamo-gauchiste » qui aurait pesé sur l’université et se préoccupent aujourd’hui des « woke » ou d’une supposée cancel culture. La méfiance vis-à-vis des sciences sociales et notamment de la sociologie est une constante des réactionnaires (par exemple, les élites de Vichy étaient anti-durkeimiennes)[1]. Pour ce qui concerne « Me Too », les réactionnaires répètent souvent qu’il y aurait un bon féminisme, universaliste et français, et un mauvais féminisme, américain et intersectionnel.

Côté formation, certaines écoles de journalisme ont mis les études de genre ou sur la « race » à leurs programmes. Certains médias ont des journalistes au point sur ces sujets (Libération, Médiapart, des émissions de France-Culture, beaucoup de podcasts…). Le problème vient plutôt des éditorialistes, massivement conservateurs. Et eux-mêmes ne sont là que parce que de très nombreux médias appartiennent à quelques groupes industriels, à commencer par celui de Vincent Bolloré, dont le catholicisme conservateur est bien connu — Bolloré qui possède notamment CNews, Canal + et a pris au printemps le contrôle d’Europe 1.  Ce sont environ quatre-vingt journalistes et animateurs qui sont partis ou ont été contraints à la démission, dans une quasi-indifférence.

(V.E.) : Revenons sur ce que vous venez de dire. Il semble y avoir une forme de cousinage franco-québécois sur ces questions et une sorte de « convergence des inquiétudes ». Comme politiste, comment analysez-vous les réseaux d’élites et la circulation internationale de leurs idées quant aux questions touchant les rapports aux minorités, plus particulièrement dans les champs médiatiques, littéraires et intellectuels dits francophones?   

(F.M.) : On voit bien que dès la fin des années 1980, grâce à des revues comme Commentaire ou Le Débat, un grand nombre des thématiques lancées par les néoconservateurs étasuniens circulent en France, à commencer par la critique du politiquement correct et du sexuellement correct. Tous les débats étasuniens autour du consentement dans les rapports sexuels font à la fois l’objet de moqueries mais aussi de déplorations. Au « on ne peut rien dire », opposé au politiquement correct, et toujours présent dans l’autojustification de leurs discours par les réactionnaires, est venu s’ajouter un « on ne peut plus rien faire avec les femmes quand on est un homme ».  Les controverses récentes sur les dangers de la supposée cancel culture ou du « wokisme » fonctionnent de la même manière. Une circulation internationale, généralement dans le sens Amérique du Nord – France, trouve ses relais dans Le Figaro-Vox, Causeur, Marianne ou sur les plateaux des chaînes d’information en continu, tandis que Trump, Steve Bannon ou Fox News ont remplacé les néoconservateurs des années 1980. Sur la circulation dans l’espace francophone, le travail reste à faire. Il faudrait regarder pays par pays. En Belgique, par exemple, les controverses sur les statues qui symbolisent le passé colonial ont eu bien plus d’ampleur qu’en France, même si elles n’ont pas été absentes, comme le montre l’offensive pour défendre Colbert. Il y aurait des comparaisons à mener systématiquement avec le Québec où les querelles sur la laïcité ou l’opposition aux « accommodements raisonnables » ressemblent à ce que l’on peut connaître en France autour de la montée d’une laïcité intransigeante, éloignée de l’esprit de la loi de 1905. Y a-t-il pour autant des vrais réseaux réactionnaires francophones? De jeunes chercheurs comme Valentin Behr, spécialiste initialement des historiens polonais, travaillent en ce moment sur la dimension transnationale (mais pas uniquement francophone) de la pensée réactionnaire. Un chantier s’ouvre avec votre question.

(V.E.) : J’aimerais terminer cet entretien par une question sur le point de vue scientifique en sciences sociales. Ce qui pose la question des orientations normatives en la matière. Claude Gautier et Michèle Zancarini-Fournel[2] disaient récemment qu’activer la dimension critique des savoirs en sciences sociales revient à opérer ce travail de confrontation et de mise au jour. La critique, à leurs yeux, porte ici sur ce qu’il s’agit de faire voir et que d’autres ne font pas voir. C’est donc accepter, positivement, de s’engager dans la confrontation des points de vue pour aboutir à une description plus nuancée, plus fine de ce que l’on prétend connaître, laquelle émerge de la pluralité de ces perspectives. L’histoire des sciences sociales montre, justement, que cette prise de conscience n’est pas le fait du savant isolé. Elle est rendue possible par le fait d’appartenir à une communauté de chercheurs et de chercheuses dont on partage les règles, les méthodes et qui, par construction, permet la multiplication et la variation des points de vue. J’aimerais connaître votre réflexion sur cette question des savoirs critiques et sur l’importance d’une communauté de pensée en la matière, surtout dans le contexte actuel caractérisé par l’hégémonie médiatique d’une pensée réactionnaire faisant écho à une sorte d’anti-intellectualisme intellectuel de ceux et celles que Pierre Bourdieu appelle des demi-savants?

(F.M.) : C’est très difficile de répondre à votre question, d’abord parce que l’usage du qualificatif « critique »[3] ne va pas de soi pour moi. Ce terme n’a-t-il pas avant tout été accolé à certains courants sociologiques par d’autres comme une sorte de stigmate? Avons-nous de ce fait intérêt à le reprendre? Oui, si nous sommes capables de lui redonner son sens premier, celui de faire le tri, celui d’être capable de déterminer ce que la raison nous permet de savoir – si l’on reprend par exemple le sens kantien du terme « critique ». Pour le reste, nous sommes en effet dans un moment – les scores très élevés de l’extrême droite à la présidentielle, la remise en cause de la science dans les campagnes antivaccin pendant la pandémie de COVID – où le besoin de savoirs produits grâce à des méthodes rigoureuses est stratégique, et pas seulement en France. Mais faut-il encore pouvoir les diffuser auprès de ceux et celles qui en ont besoin (les professionnels de la représentation politique pour produire des politiques publiques et des décisions qui ne soient pas dictées par le court terme ou les sondages; les citoyens pour être capables de peser sur ces décisions par le vote mais aussi par la démocratie délibérative). Il y a beaucoup à reconstruire du côté d’un équivalent de l’ancienne « éducation populaire » (par exemple du côté des Maisons des jeunes et de la culture) ou du maillage associatif (associations de loisirs ou d’entraide, voire syndical).

Entretien réalisé par Mouloud Idir


[1] Francine Muel-Dreyfus, « La rééducation de la sociologie sous le régime de Vichy », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. no 153, no. 3, 2004, pp. 65-77.

[2]Claude Gautier, Michelle Zancarini-Fournel, De la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche, Paris, La Découverte, « Petits cahiers libres », 2022, p. 9-10.

[3] Note de la rédaction : Voir par exemple cette recension d’un ouvrage important sur le rapport entre « critique » des religions, sécularisme et blasphème : Mohamed Amer-Meziane, « Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler, Saba Mahmood » La critique est-elle laïque? Blasphème, offense et liberté d’expression, Lyon, PUL, 2016, 188 p., Terrains/Théories [mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 10 mai 2022. Texte accessible sous ce lien : https://doi.org/10.4000/teth.817


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