DOSSIER : - Le recours à l’asile religieux
La violation d’un sanctuaire
Publié le 2 janvier 2004Par : André Jacob
Le demandeur du statut de réfugié, monsieur Mohamed Cher-fi, est détenu aux États-Unis où il a été immédiatement déporté après son arrestation à l’église unie Saint-Pierre, à Québec, le 5 mars dernier. Les policiers de la ville de Québec avaient reçu le mandat d’arrêter monsieur Cherfi sous prétexte qu’on lui avait imposé de ne pas changer d’adresse. Rappelons que monsieur Cherfi, porte-parole des sans-statut algériens, avait comparu devant un juge parce qu’il avait occupé un bureau d’Immigration Québec avec d’autres demandeurs du statut de réfugié. Lors de l’évacuation du bureau du ministre, on l’avait accusé d’entrave au travail policier (accusation levée depuis), ce qui lui a valu cette condition d’aviser de tout changement d’adresse.
Le motif de son arrestation se révèle plutôt faible et fallacieux, puisque tout en ayant trouvé refuge à Québec il avait conservé son domicile à Montréal. Et cela ne justifie surtout pas la violation du sanctuaire. La violation d’un sanctuaire étant un geste politique grave, des motifs cachés semblent avoir conduit le Ministère de l’Immigration du Canada à commettre cette entrave au droit démocratique à la protection. Selon toute vraisemblance, parce que d’autres réfugiés se trouvent dans des sanctuaires un peu partout à travers le pays actuellement, le Ministère de l’Immigration a voulu faire une démonstration de force pour bien faire savoir qu’il ne recule devant rien, surtout lorsqu’il s’agit d’un leader et d’un porte-parole des sans-statut. Au-delà des motifs, pourquoi la violation d’un sanctuaire est-elle un geste grave?
Le rôle de protection des sanctuaires
La première raison repose sur le sens même d’un sanctuaire. Un sanctuaire s’avère un lieu très symbolique quant à la protection. On appelle sanctuaire un lieu privilégié, préservé, sacré et intouchable, parfois respecté même par les pires dictatures politiques. Le sanctuaire fait appel à une tradition très ancienne de protection des secrets et des êtres depuis très longtemps; les civilisations de l’Antiquité, comme les Romains, par exemple, reconnaissaient l’existence de sanctuaires comme lieux sacrés de protection desdruides gaulois. Étymologiquement, le nom du sanctuaire est apparenté à celui du ciel (nemos), et de la voûte au niveau indo-européen, de la lumière et de la sainteté.
Dans l’Antiquité, dans la plupart des pays, le sanctuaire se situait dans une forêt protégée; on cherchait l’arbre le plus haut comme lieu de protection et symbole d’intermédiaire entre le ciel et la terre, car l’arbre prend ses racines dans le sol et s’élance vers le ciel. Ceux qui violent un sanctuaire font preuve d’un manque de respect et d’un manque de culture évident, car ils ne comprennent pas le sens de la protection qu’offre un sanctuaire. La protection assurée par le sanctuaire repose sur une tradition universelle qui fait appel à la compassion, à l’hospitalité, à la solidarité et à l’amour fraternel peu importe les circonstances. L’accueil reste inconditionnel.
Un enjeu de reconnaissance des droits
Deuxièmement, la violation du sanctuaire constitue une atteinte aux droits de la personne à des soins. Même si une personne n’a pas encore acquis la citoyenneté au sens de la loi, elle a droit à la protection en vertu de sa dignité et de la citoyenneté que l’on qualifie de sociale et d’universelle. Bien sûr, ce type de citoyenneté reste mal définie. Elle repose sur une vision idéaliste et humaniste d’un monde animé par une politique de reconnaissance des droits, une vision de paix, d’ordre et de protection pour tous les citoyens et toutes les citoyennes du monde. En pratique, pour illustrer ce principe de reconnaissance de la dignité de la personne et de la citoyenneté, des institutions à caractère humanitaire ont été mises sur pied dans le monde entier pour protéger les réfugiés lorsqu’il y a un conflit armé, par exemple. Pensons au Haut-Commissariat pour les réfugiés et à la Société de la Croix-rouge ou au Croissant-rouge!
Une pratique de compassion
Troisièmement, la préoccupation de l’autre au nom de la compassion devient une question délicate et controversée quand elle contrevient à des lois et à des avis légaux. Par contre, dans son sens fondamental, la préoccupation de la personne constitue la reconnaissance de la fragilité de l’être humain dans des situations particulières comme une menace quelconque, supposée ou réelle. Des catégories de personnes sont parfois vulnérables dans des situations de détresse, par exemple, un enfant ou une femme victime de violence, un réfugié dont la vie est menacée, etc. Intervient alors la confiance réciproque entre la personne qui demande la protection et celle qui la lui accorde. Dans le sanctuaire, la personne en difficulté reçoit l’accueil, l’attention et la réponse à ses besoins. C’est une aide, un geste gratuit.
Cette pratique repose sur la notion de nécessité qui fait appel à des soins, par exemple, une mère ne nourrit pas son enfant parce qu’il a droit à la nourriture, mais parce qu’il a besoin de manger. L’enfant a besoin de ce soin. Les chrétiens utilisent l’analogie du bon Samaritain en ce sens; le bon Samaritain accueille le voyageur dans le besoin parce qu’il a besoin de soins. Les soins prodigués relèvent du sens de la responsabilité, du respect de la personne dans sa dignité et son intégrité, de la compassion et de l’affection. La protection est tout simplement un geste de reconnaissance et de respect de l’autre.
Contexte sécuritaire et déni de droits
Quatrièmement, la conjoncture actuelle au plan mondial est fortement marquée par la lutte anti-terroriste menée par les États-Unis et leurs alliés. Le discours alarmiste à outrance favorise le développement de « l’arabophobie » et de « l’islamophobie ». Gouvernements et institutions prétendent protéger la sécurité en accordant une surveillance constante aux Arabes et aux musulmans. Est-ce au nom de la sécurité que l’on a arrêté monsieur Cherfi dans le sanctuaire? J’en doute.
Avant d’en arriver là, des négociations auraient pu avoir lieu. Policiers et agents d’Immigration Canada possèdent toutes les ressources technologiques à leur disposition qui leur permettent de très bien connaître monsieur Cherfi. Selon toute vraisemblance, ce dernier ne représentait pas vraiment une menace à la sécurité canadienne. Alors, où est le problème?
Qu’est-ce qui a poussé Immigration Canada à s’impatienter à un point tel que des policiers ont effectué la violation d’un sanctuaire? A-ton voulu se débarrasser d’un porte-parole des droits humains qui représentaient une épine dans le pied du Ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté du Canada ainsi que du Ministère des Relations avec les Citoyens et de l’Immigration du Québec? A-t-on voulu faire une démonstration de force pour bien montrer que le gouvernement canadien ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de traduire sa solidarité avec le gouvernement américain quant à la question de la sécurité?
Car c’est bien vers les États-Unis que les agents d’Immigration Canada ont conduit monsieur Cherfi… De là, il court le risque d’une déportation vers l’Algérie où la protection des droits fait cruellement défaut. Depuis une quinzaine d’années, la mort de milliers de personnes, mortes assassinées ou succombant sous la torture, témoigne d’une situation insoutenable dans ce pays.
Peut-être ne connaîtrons-nous jamais les vrais motifs qui ont poussé les agents de l’immigration à agir ainsi, mais, au fond, ce type d’action est inacceptable et scandaleux. Le geste posé à l’égard de monsieur Cherfi semble se profiler sur un fond de scène devenu machiavélique, la lutte au terrorisme. Même si la Cour suprême a pourtant statué qu’il n’est pas nécessaire qu’un État étale sa volonté de persécuter une personne pour que le Canada lui accorde le bénéfice du doute et la protection. La conjoncture actuelle fait en sorte que la psychose sécuritaire, fortement manipulée par les États-Unis, et endossée par le gouvernement canadien, permet de soulever un doute sur la rigueur et la recherche de justice dans le processus de prise de décision dans le cas de monsieur Cherfi. D’ailleurs, il faut se poser la même question par rapport à de nombreux autres demandeurs du statut de réfugié.
En conclusion, rappelons qu’un sanctuaire reste le seul lieu de protection absolue dans les démocraties dites modernes et cette violation par les services de police de Québec et les agents d’Immigration Canada met en exergue la fragilité des pratiques démocratiques. Dans le cas présent, selon une logique administrative qui ne jure que par l’approche légaliste, monsieur Cherfi a subi la peine ultime dans le cas d’un demandeur du statut de réfugié, l’arrestation et l’expulsion immédiate, manu militari. Les gouvernements du Canada et du Québec devraient réparer cette bavure en rapatriant monsieur Cherfi et en formulant des excuses publiques formelles à la communauté de l’église unie Saint-Pierre de Québec.
« (…) En notre qualité de croyantes et de croyants, comme religieuses et religieux, la vertu de justice nous dicte l’obligation de protéger toute personne qui, après avoir eu recours aux procédures prévues par la loi, se considère injustement traitée et dont l’intégrité corporelle et/ou mentale est menacée. Cette menace peut aller jusqu’à la torture et l’exécution pure et simple si on l’oblige à retourner dans son pays d’origine.
Quand une communauté de foi accueille des personnes poursuivies injustement à cause des valeurs qu’elles défendent, voire parce qu’elles ont osé dénoncer des injustices dans leur pays d’origine, elle le fait au nom d’une commune humanité. Car si nous dénions à un demandeur d’asile l’ultime recours d’un sanctuaire, c’est à nous-mêmes que nous dénions ce droit.
Lorsqu’une communauté de foi accepte une telle responsabilité, elle le fait d’ailleurs après un sérieux examen des faits et en toute connaissance des responsabilités et des risques qu’elle assume.
En tant que gardiennes et gardiens de certains lieux sacrés, nous citoyennes et citoyens, religieuses et religieux, nous avons le droit d’exiger des autorités civiles, policières et gouvernementales qu’elles respectent, selon la tradition séculaire, les devoirs d’hospitalité des sanctuaires, des temples et églises, lorsque la vie des personnes est en danger.
Offrir l’asile est une question de compassion et de justice. Nous faisons le vœu que notre pays se distingue par non seulement par ses principes juridiques mais aussi par l’accès réel à protection des personnes. »
Extrait de l’intervention de Gisèle Turcot pour la CRC à la conférence de presse du 13 mars 2004
« S’intéresser aux origines religieuses du droit d’asile, c’est faire œuvre d’historien du temps présent. C’est remonter le fil des traditions perdues pour découvrir la matrice cachée des politiques contemporaines. Il est possible, en effet de retracer une filiation entre l’asile religieux qui sourd du passé et l’asile étatique moderne. Le premier éclaire le second en expliquant certains de ses contours. Mais il n’est pas dit que le second ne puisse rajouter à la valeur du premier dont on constate depuis peu la timide résurgence. Car malgré son amnésie chronique, le siècle se souvient du respect qu’il lui paraît devoir manifester envers les lieux de culte et ceux qui se réclament de leur protection. Les moins croyants n’oublient pas le caractère sacré des lieux saints. Le refuge cherché récemment dans les églises par des étrangers en situation irrégulière a créé la surprise en ressuscitant, en même temps que la pratique de l’asile, l’attachement populaire à celle-ci. »
Philippe Ségur, La crise du droit d’asile, p. 9
1. L’auteur est professeur associé à l’école de service social de l’Université du Québec à Montréal et membre du comité aviseur de Vivre ensemble.