29 décembre 1998

Un problème de plus en plus complexe : pour une réforme en profondeur de la protection des réfugiés

Un problème de plus en plus complexe:

Pour une réforme en profondeur de la protection des réfugiés

par Dominique Boisvert, Centre justice et foi 

La protection actuelle des réfugiés, au Canada comme dans le monde, se dirige droit dans un cul-de-sac: les nombres s'accroissent, les causes deviennent plus complexes et les pays du Nord ferment de plus en plus leurs frontières. Il est urgent de revoir en profondeur tous les mécanismes de protection, ici comme au plan international. Pour y arriver, il faut d'abord clarifier les enjeux et préciser les choix difficiles qui sont à faire. Et d'abord savoir de qui on parle! Car le premier problème en est un de vocabulaire. Qui est réfugié?

La plupart des gens, y compris les médias, utilisent le mot «réfugié» au sens large: personne qui s'est sentie obligée de fuir son milieu d'origine, pour toutes sortes de raisons importantes, afin de trouver protection ailleurs. Et quand on se met un instant «dans les souliers de l'autre», on comprend facilement que toutes sortes de situations insupportables nous auraient, nous aussi, poussés à fuir: famines, cataclysmes naturels, guerres civiles, violences religieuses, pauvreté endémique, répression économique, sociale ou culturelle, etc.

Mais le mot «réfugié» a aussi un sens juridique précis, défini dans la Convention de Genève de 1951. Et seuls ces réfugiés au sens de la Convention ont droit à la protection internationale, quelle que soit notre sympathie pour le sort des autres. De plus, les pays n'ont d'obligations juridiques de protection qu'envers les réfugiés qui ont déjà atteint leur territoire national. Tant que les «réfugiés au sens de la Convention» sont hors de ses frontières, le Canada n'a aucune obligation juridique envers eux. C'est d'ailleurs pour cela que la plupart des pays du Nord ont tellement développé, au cours des dernières années, les moyens d'empêcher les revendicateurs du statut de réfugié d'atteindre leurs frontières (visas, contrôle des papiers dans les aéroports étrangers, pénalités aux transporteurs aériens, etc.). Pourtant, les pays n'en ont pas moins une responsabilité morale, comme membres de la communauté internationale, à l'égard de ces millions de réfugiés; et cette responsabilité morale est à notre avis aussi importante que les obligations juridiques contractées avec la Convention de Genève.

Qui protège qui?

Encore en 1998, l'immense majorité des dizaines de millions de personnes qui ont besoin de protection est effectivement secourue par les pays déjà trop pauvres du Sud qui sont situés à proximité des pays d'exil forcé. Même si le nombre des revendicateurs de statut nous semble parfois important, au Canada ou en Europe, il s'agit toujours d'une infime proportion des besoins de protection. Mais paradoxalement, le Canada -et le Québec -consacre beaucoup plus de ressources à protéger ici ce tout petit nombre de réfugiés (grosso modo, 24 000 au Canada pour 24 millions dans le monde en 1997) qu'il n'en consacre à l'étranger pour protéger l'immense majorité d'entre eux qui se trouvent dans les camps. Ce qui n'est certes pas, si notre objectif est de protéger le plus grand nombre le mieux possible, l'utilisation la plus rationnelle ou la plus efficace de nos ressources. Et puisqu'il semble évident pour tous que la solution ne pourra jamais être de protéger tous ceux et celles qui en ont besoin en les accueillant, de façon permanente, dans les quelques rares pays d'immigration (Canada, États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande) ou dans les pays riches (Europe, Japon, etc.), nous sommes obligés de regarder en face la situation mondiale et d'imaginer les solutions nouvelles qui permettront d'assurer au mieux notre devoir de protection internationale.

Des choix difficiles mais nécessaires

Il faut d'abord reconnaître que les besoins de protection risquent de continuer de croître plus rapidement que les ressources disponibles, en argent et en personnel, pour y répondre: d'où une tension permanente entre besoins et moyens. Mais plus fondamentalement, la protection des réfugiés va nécessiter, de plus en plus, des choix difficiles entre plusieurs valeurs importantes mais contradictoires. Il existera toujours une tension, par exemple, entre la nécessaire rapidité du processus (essentielle tant pour la protection des réfugiés et pour décourager les abus que pour garder la confiance du public) et les protections juridiques nécessaires (délais, droits d'appel, etc.); entre la quantité de ressources affectées au (relativement) petit nombre de demandeurs de refuge ici par rapport au très grand nombre de réfugiés à l'étranger; entre ceux et celles qui sont «le plus dans le besoin» (femmes monoparentales, familles nombreuses, personnes peu scolarisées, malades ou handicapées, etc.) et ceux et celles qui ont le plus de chance de s'intégrer ou de s'adapter ici; entre l'autodétermination des individus et la souveraineté des États; etc. C'est pourquoi nous croyons qu'il n'existera jamais, en matière de refuge, de «meilleure solution» mais uniquement de «moins mauvaises solutions». Entre tous les facteurs, souvent contradictoires, dont il faut tenir compte, il s'agit de trouver chaque fois les combinaisons, toutes imparfaites, qui font progresser le plus la protection du plus grand nombre.

Quelques pistes de solutions possibles

Pour protéger mieux le plus grand nombre de ceux et celles qui ont besoin de protection, nous ne voyons pas d'autre solution viable, à moyen terme, que de mettre l'accent sur la protection régionale et temporaire.

Il faut reconnaître que le besoin de protection est souvent, et devrait être de plus en plus, un besoin temporaire en attendant que la ou les causes de l'exil forcé aient été corrigées. Il faut chercher, le mieux possible, à distinguer entre le besoin de protection -temporaire -et le désir d'immigrer -de manière permanente -à l'étranger.

Et parce que les gens quittent rarement leur milieu d'origine de gaieté de coeur, il faut favoriser, de manière générale, leur retour volontaire chez eux dès que possible. Solution davantage réalisable si on développe la protection régionale comme étant la «moins mauvaise» solution, plutôt que de favoriser le réétablissement permanent des réfugiés dans les pays du Nord.

Nous sommes conscients qu'il s'agit là d'une transformation importante de nos façons de faire et de penser, tant pour les groupes et organisations que pour nos gouvernements. Cette position soulève aussi une foule de défis redoutables et de problèmes difficiles, que nous ne pouvons pas traiter ici faute d'espace. Mais il est important de réaliser que la protection temporaire et régionale est déjà, pour l'immense majorité, la réalité tragique et douloureuse; et qu'à défaut de pouvoir changer radicalement la situation, il vaut mieux en prendre acte et

chercher à améliorer celle-ci le plus possible, pour le plus grand nombre. Cela n'exigera pas moins de ressources et d'engagement de la part du Canada et de sa population, au contraire; mais ces ressources et ces engagements devront être utilisés autrement. De tels changements vont exiger un véritable leadership politique et moral de nos gouvernements, au niveau national comme au niveau international, tout comme l'appui solide de la population d'ici. Car il ne suffit plus de traiter les conséquences de l'exil forcé: il faut s'attaquer résolument aux causes.

Le défi peut sembler gigantesque, et il l'est vraiment. Mais la planète est de plus en plus un grand village: nous ne pouvons plus désormais ignorer ce qui s'y passe et nous sommes condamnés à la solidarité. Pour le meilleur ou pour le pire. La réponse nous appartient.

Texte paru dans Le Devoir, Idées, mardi 29 décembre 1998, p. A7

 

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