28 février 1999

L’improvisation des pays développés. La tragédie des Kosovars pose de nouveau la question des réfugiés

L'improvisation des pays développés

La tragédie des Kosovars pose de nouveau la question des réfugiés

par Dominique Boisvert et Élisabeth Garant Centre justice et foi

 

Comment rester insensibles aux centaines de milliers de femmes, d'hommes, de vieillards et d'enfants jetés sur les routes des Balkans et parqués, de manière plus ou moins tolérable et temporaire, dans des camps de transit ou pire encore aux frontières de la Macédoine, du Montenegro ou de l'Albanie?

Les images sont insupportables. On se sent bien loin et impuissants. On envoie 10 $, 25 $ ou 100 $ aux organismes d'aide humanitaire. On discute pendant les pauses publicitaires à la télé de ce qu'on pourrait ou devrait faire face aux bombardements du Kosovo et de l'ex-Yougoslavie.

Se pourrait-il que ce drame horrible soit porteur d'enseignements utiles pour tous ceux et celles qui se préoccupent de la protection des réfugiés dans le monde? Et que les questions importantes posées par les réfugiés kosovars soient l'occasion d'une prise de conscience et d'une réflexion urgente et sérieuse pour l'avenir? En tous cas, il est difficile d'imaginer situation qui illustre mieux l'inadéquation du système actuel de protection des réfugiés au niveau international. Malgré l'existence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), de la Convention de Genève et de tous les mécanismes prévus par le droit international, c'est dans la plus totale confusion et improvisation que s'est gérée la crise des réfugiés du Kosovo.

En dépit de l'expertise des pays les plus puissants et les plus «développés» de la planète, personne ne semble avoir prévu l'afflux important de réfugiés dans les régions limitrophes. Pour leur venir en aide rapidement, aucun mécanisme international n'était en place, ni pour les secours matériels directs (abris, nourriture, soins, etc.), ni pour le support financier aux autorités et groupes qui tentaient d'apporter cette aide. Quand la pression politique est devenue forte, les pays de l'OTAN n'ont rien trouvé de mieux que de proposer d'accueillir chez eux, temporairement, cent mille réfugiés kosovars (pourquoi 100 000?) qu'on s'est «répartis» en fonction de critères aussi inconnus qu'arbitraires: «Vous en prenez 40 000 ou 20 000; nous en prenons 5000; etc.».

La situation des réfugiés au Kosovo illustre, de manière particulièrement spectaculaire et dramatique, ce qui est déjà la situation de plus en plus intolérable de la plupart des réfugiés dans le monde: manque de ressources et de préparation pour les afflux massifs et subits de personnes déplacées; accueil de fortune offert presque toujours par les pays pauvres limitrophes des pays d'exil forcé, avec un certain appui logistique et financier de la communauté internationale, par le biais du HCR; mobilisation réelle des pays occidentaux uniquement quand la crise est devenue politiquement intolérable (soit par les pressions de leur opinion publique, soit par les actions d'éclat des pays pauvres du Sud: renvoi des boat-people à la mer ou des réfugiés chez eux); accueil d'une infime proportion des réfugiés dans les pays du Nord (dont une grande partie à la suite de leur initiative personnelle d'y venir revendiquer le statut de réfugié), le plus souvent à titre d'immigrants réétablis en permanence dans ces pays.

Environ 15 millions de personnes dans le monde sont considérées comme des réfugiés au sens de la Convention par le HCR; près de 25 millions sont placées sous sa responsabilité; quant aux personnes déplacées de manière forcée à l'intérieur de leur propre pays, elles seraient environ 30 millions. Et cela ne tient pas compte de toutes les personnes qui auraient aussi besoin de protection, mais qui n'ont pas encore fui leur ville ou région d'origine. Comment la communauté internationale pourrait-elle, mieux que maintenant, assurer la protection du plus grand nombre? Peut-on encore se contenter des mécanismes actuels basés sur la Convention de Genève et le statut de réfugié? Peut-on se limiter à accueillir, même généreusement, ceux qui viennent chercher ici une possibilité de se réétablir et d'y refaire leur vie? Les réfugiés kosovars posent avec acuité la question de la protection temporaire dans les pays limitrophes, de la priorité de lutter contre les «causes» du déracinement forcé et du rapatriement volontaire dès que les conditions le permettent. Contrairement à l'offre des pays occidentaux dans la crise du Kosovo, le HCR a toujours privilégié la solution du retour des réfugiés chez eux, plutôt que leur dispersion ou leur réétablissement à l'étranger. D'où l'importance de s'attaquer sérieusement aux causes de l'exode, afin d'éviter que le temporaire ne s'éternise ou ne devienne carrément permanent. D'où la préférence, aussi, pour des solutions de protection régionale, mais où la responsabilité et le fardeau, tant financiers que logistiques, seraient aussi équitablement partagés que possible par la communauté internationale, plutôt que d'être laissés aux seuls pays voisins.

Les énormes défis posés par la douloureuse question des réfugiés sont nombreux: droit à la protection, souveraineté des États, ressources limitées, faiblesse des mécanismes de concertation internationaux, etc. Ils ne trouveront pas de solution facile ni rapide. Mais l'urgence de nous poser ces questions de manière lucide, courageuse et novatrice, dans un contexte planétaire de migrations accrues et dans une perspective de moyen terme, n'en est que plus grande. Si la tragédie des réfugiés kosovars peut accélérer la réflexion et les réformes nécessaires, elle aura été un peu moins vaine…

Texte paru dans La Presse, Opinions, mercredi 28 avril 1999, p.B3

 

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