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Par Geneviève Mercier-Dalphond, doctorante en études islamiques et de genre à la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres (Angleterre) et récipiendaire de la bourse Bertrand 2020-2021 du Centre justice et foi.
Introduction
Ce projet de recherche, réalisé de septembre 2020 à janvier 2021, avait comme objectif principal de répertorier différents impacts de la loi sur la laïcité de l’État (ci-après nommée Loi 21) sur la vie professionnelle et personnelle des femmes musulmanes et d’autres personnes appartenant à des minorités ethnoreligieuses au Québec. Les éléments esquissés ici découlent d’une série d’entretiens menés auprès de 25 personnes afin de mieux comprendre les impacts de cette loi sur elles, notamment ses répercussions sur leur sentiment d’appartenance à la société québécoise et leur sentiment de sécurité et de bien-être au Québec.
Dénoncée par les autres gouvernements provinciaux du Canada, la Loi 21 est la première de ce genre en Amérique du Nord. Elle s’inscrit dans un contexte de débats publics sur la place des personnes musulmanes au Québec et de la méfiance à leur égard. Elle apparaît aussi dans un contexte de déclin de la sensibilité pluraliste au sein d’importants segments des élites nationalistes.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York, la narration associant les personnes musulmanes racisées[1] au terrorisme s’est progressivement imposée dans l’opinion publique. Elle a également été renforcée par des préjugés coloniaux orientalistes antérieurs, associant les hommes musulmans à des « barbares » et les femmes musulmanes à des personnes soumises et victimes d’un patriarcat inhérent à l’islam.
Durant ladite crise des accommodements raisonnables de 2007-2008,[2] un sondage Léger Marketing mené pour le compte de l’Association d’études canadiennes (AEC) révélait que 49 % des personnes québécoises francophones interrogées avaient une opinion défavorable sur les personnes musulmanes, et que le taux s’élevait seulement à 33 % pour les Canadiens anglais,[3] alors que ces taux se situaient respectivement à 42 % et 22 % un an plus tôt. En 2010, selon un sondage sur l’immigration et l’intégration au Québec de l’AEC le taux était passé à 56 %.[4]
Ces sondages révèlent ainsi une augmentation de la méfiance envers les personnes musulmanes au Québec de manière plus marquée que dans le reste du Canada. Ces données correspondent à la chronologie de la méfiance que nous avons pu établir jusqu’à l’adoption de la Loi 21, en 2019, à partir de croisements de données recueillies lors des entretiens que nous avons menés auprès des personnes répondantes. À titre d’exemple, une répondante a décrit la situation ainsi : « Quand je pense à l’islamophobie au Canada, je la verrais comme un crescendo. Ça ne fait que s’amplifier depuis le 11 septembre ».[5] Cette chronologie est aussi soutenue par le nombre croissant de crimes et incidents haineux à caractère islamophobe.[6]
En 2001, les attentats terroristes à New York ont contribué à la fabrication et à la mise en circulation, en Amérique du Nord, d’une image de « l’étranger musulman » comme menace. La question de l’islam cesse alors d’être principalement un enjeu de politique étrangère et devient davantage un problème interne.[7] Le Canada et le Québec n’ont pas échappé à cette logique. Le gouvernement fédéral vote des lois de sécurité nationale visant à contrôler, à faire du profilage et à réprimer davantage les personnes musulmanes canadiennes. La construction d’une altérité musulmane menaçante nourrit ainsi la peur de l’islam et des personnes qui y sont associées.
En 2007-2008, un débat public sur les accommodements raisonnables divise encore plus l’opinion publique sur la place des minorités religieuses, tout en contribuant à accroître l’opinion défavorable à l’égard des personnes musulmanes québécoises. À la suite du rapport issu de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, en 2010, le gouvernement de Jean Charest (Parti libéral) dépose le projet de loi no 94 « prévoyant que les services de l’État devraient se donner et se recevoir à visage découvert ».
En 2013, le gouvernement de Pauline Marois (Parti québécois) dépose le projet de loi no 60 sur la Charte des valeurs québécoises, visant à interdire les signes religieux qualifiés d’« ostentatoires » pour tout personnel de l’État. Durant les débats entourant ce projet de loi et malgré l’échec de son adoption, on observe toutefois une hausse marquée des crimes et incidents haineux à l’égard des personnes musulmanes québécoises.
En 2017, le gouvernement de Philippe Couillard (Parti libéral) adopte la Loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État, qui applique sensiblement les mêmes interdictions que la Loi 94 exigeant la prestation et l’obtention des services de l’État à visage découvert. La loi aussitôt adoptée en 2017 est suspendue par la cour supérieure du Québec en raison du manque de clarté dans son application. La même année, un Québécois blanc armé, associé à l’extrême droite, entre dans le Centre culturel islamique de Québec et tire sur les fidèles. Six hommes sont tués, et dix-neuf autres sont blessés.[8] C’est la première fusillade dans un lieu de culte musulman au Canada. Cet attentat a lieu dans un contexte marqué par la circulation publique et médiatique de discours islamophobes de plus en plus décomplexés. Depuis cette tragédie, les groupes d’extrême droite au Québec continuent de véhiculer des idées racistes et haineuses envers différents groupes racisés, y compris envers les personnes musulmanes.
Enfin, en 2019, le gouvernement de François Legault (Coalition avenir Québec) décide de « clore » le débat des dix dernières années en faisant adopter le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Celui-ci interdit à toute personne dans la fonction publique qui occupe un poste d’autorité, incluant le personnel enseignant, de porter des signes religieux pendant les heures de travail.[9]
Alors que le gouvernement prétend bénéficier d’un consensus fort en faveur de la Loi 21, l’information reste opaque quant aux impacts de celle-ci sur les personnes concernées ainsi que sur les groupes associés au port de signes religieux, particulièrement les femmes musulmanes portant le foulard dit « islamique » (hijab). Or, la Loi 21 crée, comme le montre cette recherche, deux classes de citoyens et de citoyennes, tout en normalisant une certaine haine, un sentiment de méfiance et des mesures discriminatoires. Elle représente aussi un gain électoraliste tout en étant partisan d’un débat collectif complexe qui ne permet pas de mettre sur pied des politiques favorisant la participation citoyenne et la diminution des discriminations systémiques envers les personnes musulmanes ou celles perçues comme telles.
En vue de comprendre quels étaient les impacts à court terme de la Loi 21 sur les femmes musulmanes et les communautés ciblées et ceux qu’elle pourrait avoir à long terme, les 10 questions utilisées ont été divisées en deux grandes catégories : les cinq premières questions portaient sur les impacts directs de la Loi 21 sur les personnes affectées autant dans leur emploi, leurs études, leurs aspirations professionnelles ou leur sécurité physique. Les cinq dernières questions touchaient, quant à elles, aux enjeux d’appartenance plus larges qui renvoient aux impacts indirects et probables à long terme, ainsi que sur les stratégies de contournement des personnes affectées. Comment les personnes affectées se sont-elles adaptées à la réalité générée par la Loi 21 ? Quelles sont les conséquences sociales pour les québécoises musulmanes et les personnes visées par la Loi 21, ainsi que leurs familles ? Comment se sont-elles mobilisées pour faire face à cette nouvelle réalité ?
Ainsi, dans le but d’étudier les impacts possibles de la loi 21, 25 entretiens ont été menés à partir des questions suivantes :
Le projet de recherche reposait sur une volonté de mieux connaître et comprendre l’expérience des dynamiques générées par la Loi 21 sur les femmes musulmanes québécoises. C’est dans le but de répondre aux questions citées plus haut que 25 entrevues individuelles ont été réalisées de septembre 2020 à janvier 2021.
Pour recruter des personnes répondantes, quatre pistes de contacts ont été suivies. Cinq entrevues ont été rendues possibles, d’une part, par des réseaux culturels religieux musulmans où la chercheure principale avait déjà fait du travail de terrain au préalable et, d’autre part, par des contacts dans des mosquées de Montréal.
La deuxième piste était composée des réseaux étudiants. Ce sont les associations étudiantes musulmanes des universités montréalaises qui ont transmis la demande d’entrevues dans leurs propres réseaux. Cela a permis de réaliser huit entrevues avec deux personnes francophones et six anglophones.
Le milieu communautaire et/ou militant constituait la troisième piste, pour cinq personnes répondantes. Enfin, la dernière piste regroupait les personnes rencontrées durant les contestations judiciaires ayant eu lieu de novembre en décembre 2020, à la Cour supérieure du Québec à Montréal. Cela a permis de faire des entrevues avec sept personnes.
Des 25 personnes répondantes (23 femmes et 2 hommes), 24 étaient de confession musulmane et 23 résidaient à Montréal. Parmi les 23 femmes, 19 d’entre elles portaient un signe religieux visible. En tout, 10 étaient des étudiant·e·s et 11 étaient des mères de famille. Dix d’entre elles étaient des enseignantes et/ou étudiantes en éducation. Quatre d’entre elles étaient avocat·e·s et/ou étudiant·e·s en droit. Les entretiens étaient organisés sur une base volontaire et duraient en moyenne trente minutes. Aucune rémunération n’était offerte.
Les difficultés rencontrées
La COVID-19 a eu un impact sur le déroulement de mes entretiens : au niveau des communications et du moral des personnes militantes, ce qui conséquemment rendait le recrutement un peu plus laborieux.
De plus, le moment choisi pour réaliser la recherche, soit plus d’un an et demi après l’adoption de la Loi, n’a pas favorisé le recrutement des personnes répondantes. Sur ce plan, il a fallu composer avec les hésitations et la résistance de beaucoup de personnes. Certaines femmes musulmanes ont refusé parce que le sujet semblait déjà épuisé, ou bien trop douloureux. La résistance est en partie attribuable à la sensibilité du sujet traité ainsi qu’à la fatigue causée par près de deux ans de débat sur cette loi. Des débats qui induisaient leur part de charge émotive et de souffrance pour les personnes directement concernées.
La fatigue psychologique causée par la pandémie s’ajoutait à l’épuisement des personnes. Cela a été clairement souligné – et à plusieurs reprises – dans le cadre de mes entretiens. Cependant, le momentum autour des contestations judiciaires de la Loi 21 en cour supérieur au Palais de justice de Montréal, en novembre et décembre 2020, a redynamisé les personnes militantes en plus de créer un environnement ayant eu pour effet de faciliter des rencontres avec de nouvelles personnes répondantes.
Les contestations judiciaires ont ainsi permis de rencontrer des avocats et avocates de la défense des parties demanderesses contre la Loi 21. Ces dernières avaient formulé des demandes d’accès à l’information dans l’espoir d’estimer le nombre total de personnes touchées directement dans les établissements d’éducation publique. Ces données quantitatives sont incluses en annexe du rapport.
Dans ce qui suit, les conséquences directes de cette loi ont été documentées selon trois grands thèmes : la sécurité économique, la sécurité psychologique et la sécurité physique. Quoiqu’indissociable, chacune de ces thématiques permet de mieux comprendre les conséquences multidimensionnelles de la Loi 21.
Les personnes directement affectées par la Loi 21 sont celles qui portent un signe religieux dans certaines professions de la fonction publique. Selon la réalité actuelle du Québec et des professions incluses dans cette législation, les personnes plus largement et concrètement touchées sont les femmes musulmanes portant le hijab dans le domaine de l’enseignement. Il y a toutefois peu de données disponibles concernant les personnes des autres professions (police, système juridique, direction scolaire, prison). Bien que très peu de données soient disponibles pour les juges au Québec, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’avocats juifs et d’avocates musulmanes portent respectivement la kippa et le hijab.
Des 25 personnes répondantes, 11 femmes ont affirmé se sentir « directement et personnellement » affectées par la Loi 21, tant dans l’exercice de leur emploi que dans leurs aspirations professionnelles ; 14 femmes ont exprimé le besoin ou le désir de quitter le Québec afin de pratiquer leur emploi tout en respectant leur conviction en matière de liberté de religion ; 8 femmes quant à elles ont affirmé avoir changé d’emploi ou modifié leur programme d’étude à la suite de cette loi.
En ce qui concerne les cinq enseignantes portant un signe religieux en poste avant le 27 mars 2019, elles n’ont pas perdu leur droit d’enseigner. Elles sont cependant cantonnées et limitées dans leurs choix professionnels, surtout en matière d’avancement. En effet, la clause « grand-père » ou clause de droit acquis de la Loi leur permet de conserver seulement l’emploi qu’elles exerçaient avant mars 2019, dans la mesure qu’elles « occupent la même fonction dans le même lieu ». Cette clause constitue donc pour elle un obstacle si, par exemple, elles veulent changer de commission scolaire ou encore accéder à un poste de direction. Les étudiantes en éducation ou les finissantes, en revanche, ne sont pas « protégées » par cette clause ; elles se retrouvent dans l’obligation de chercher un emploi au privé – choix qui est plus limité et parfois précaire – ou alors à l’extérieur du Québec.
Les quatre avocates et étudiantes en droit portant un signe visible ont aussi mentionné être affectées directement. Elles ne peuvent pas aspirer à devenir juges ni à travailler comme procureures de la Couronne. L’impossibilité de progresser dans leur profession selon leur compétence et leur ambition a entraîné de la frustration et de l’insécurité quant à leur avenir au Québec. Elles ont clairement exprimé la possibilité de poursuivre leur carrière ailleurs au Canada.
La possibilité de chercher un emploi ailleurs au Canada a été davantage évoquée par des personnes anglophones ou bilingues. Le lien avec la maîtrise des deux langues officielles du Canada joue donc en faveur de ce choix. Pour les francophones qui ne maîtrisent pas l’anglais, la possibilité de quitter le Québec pour chercher du travail ailleurs au Canada est moins envisageable.
Aucune des répondantes n’a soulevé la possibilité d’enlever son signe religieux en vue d’adopter le code vestimentaire imposé implicitement par la Loi 21. Elles ont plutôt évoqué des mesures de contournement de la loi, comme chercher du travail dans d’autres milieux afin de travailler tout en respectant leurs croyances. Certaines étudiantes ont modifié leur programme d’étude afin de s’orienter dans des domaines d’enseignement qui n’étaient pas encore touchés par la loi, comme les programmes d’éducation spécialisée ou d’assistance en éducation. D’autres ont décidé de poursuivre des études supérieures tout en caressant l’espoir que la loi soit invalidée d’ici leur collation des grades. Dans un cas particulier, une mère de famille, à l’emploi dans un CPE et qui voulait faire des études en enseignement, a dû abandonner cette aspiration professionnelle qui lui aurait permis d’améliorer son sort économiquement. Afin de conserver un emploi stable, bien que moins bien rémunéré, elle s’est résignée à poursuivre comme éducatrice en garderie. Quant à celles qui n’étaient pas protégées par la clause « grand-père », ou de droits acquis, et qui ne pouvaient se permettre de poursuivre leurs études ou d’attendre, elles ont dû quitter le Québec pour travailler ailleurs au Canada où elles se sont trouvé un emploi contractuel au privé.
Concernant la troisième catégorie d’impacts, celle portant sur la sécurité physique, la majorité des personnes répondantes a vécu du stress en constatant l’opinion publique qui leur était défavorable et un changement d’attitudes dans leur environnement quotidien. En étant aussi visibilisées par la Loi, les femmes musulmanes sont en effet devenues des cibles dans l’espace public : elles ont dû subir notamment de l’intimidation, des regards menaçants, des commentaires négatifs ou des insultes.
Celles qui ont milité activement en prenant publiquement la parole ont été confrontées à de la violence sur les réseaux sociaux qui avait comme objectif de les réduire au silence. De fait, l’adoption de la Loi 21 en juin 2019 s’est accompagnée d’une augmentation d’incidents haineux menaçant directement leur sécurité physique. Ce qui conduit à soutenir que les réactions divisées et parfois extrêmes engendrées par la Loi 21 instaurent un clivage social important au Québec.
En dépit de ces perceptions négatives, les répondantes ont également souligné le soutien qu’elles ont reçu tant de la part d’individus que d’organismes communautaires. Ces femmes ont témoigné d’une solidarité inédite entre différents groupes communautaires ethnoreligieux et des organismes de défense de droits mobilisés contre la Loi 21.
Cette convergence inter-groupes et cette forme d’entraide furent soulignées à plusieurs reprises. Ce qui aux yeux des personnes répondantes représentait un soutien concret dans un contexte qu’elles décrivaient comme peu sûr et discriminant.
Les effets indirects observés semblent avoir des incidences sociales plus larges et à plus long terme. Les entretiens ont permis de comprendre comment cette Loi a eu une incidence sur le sentiment d’appartenance des personnes consultées ainsi que sur celui de leurs familles. Les personnes répondantes ont également été interrogées sur leur sentiment de sécurité physique et de bien-être personnel, leur rapport à l’État, en plus de leur sentiment d’engagement social et économique au Québec, particulièrement leur désir à y contribuer par l’engagement social et citoyen. Cela a aussi permis de mieux comprendre les formes de résistance et de résilience des personnes répondantes.
Comme mentionné plus haut, dans l’échantillon des 25 personnes répondantes, il y avait 23 femmes et 2 hommes, dont 24 étaient des personnes musulmanes et 23 résidaient à Montréal. Ces 2 hommes et 2 personnes résidant à l’extérieur de Montréal (une de Toronto et une de Vancouver) offraient l’occasion d’établir des liens plus larges concernant les effets indirects de la Loi 21. De plus, parmi les 25 personnes répondantes, 6 d’entre elles ne portaient pas de signe religieux visible dans leur vie quotidienne. Ces personnes apportaient une expérience en regard des effets indirects de la Loi 21 sur les personnes racisées.
Finalement, cet échantillon inclut aussi des personnes qui portent un signe religieux dans d’autres milieux que l’enseignement, notamment le domaine juridique et le secteur des services, et qui offraient un aperçu des répercussions indirectes éprouvées dans d’autres domaines professionnels.
Les effets indirects nommés dans les réponses obtenues ont été regroupés en trois grandes catégories : le milieu du travail (méfiance de parents d’élèves et collègues, insécurité quant à l’avenir, travail précaire) ; le climat social (débats polarisés, perception négative des personnes musulmanes, méfiance du gouvernement) et le sentiment d’appartenance (crise identitaire, santé mentale, rejet généralisé de familles).
La méfiance des collègues et des parents
Les débats sociaux polarisés et stigmatisants sur la question de la laïcité et du port des signes religieux se sont transposés dans les écoles. Ils ont ainsi rendu le climat de travail difficile et toxique dans certains cas. De sorte que les enseignantes portant le hijab ont mentionné avoir ressenti de la méfiance de quelques parents d’élèves ainsi que de leurs collègues. Un clivage entre les enseignants s’est installé, divisant d’un côté les personnes en faveur de la Loi 21et de l’autre celles qui étaient contre.
Une enseignante a souligné avoir subi du harcèlement psychologique dans son milieu du fait qu’elle portait le hijab et qu’elle refusait de l’enlever. Les relations ont été plus difficiles avec les parents qui considéraient que la Loi 21 était justifiée. Pour ces enseignantes, leur environnement de travail est devenu tendu non seulement du fait des débats publics les mettant sur la sellette, mais aussi du fait qu’en tant que « femmes musulmanes voilées » dans le système d’éducation, on doutait de leurs neutralité, loyauté et compétence.
Menaces et discriminations dans d’autres milieux de travail
De plus, certaines répondantes qui ne sont pas enseignantes ont mentionné que les interdictions de la Loi 21 ont été reprises à leur égard, alors que les emplois qu’elles occupaient n’étaient pas directement touchés par la Loi. Bien que la Loi est censée se limiter aux fonctions ciblées, notamment au personnel enseignant et à celui de direction au sein des commissions scolaires, on peut noter ici que certains décideurs utilisent les dispositions de la Loi 21 dans d’autres domaines et professions qui ne devraient pas être affectés. À titre d’exemple, une femme portant le hijab n’a pu postuler en vue d’un poste en webdesign affiché par une commission scolaire de Montréal.
Une autre femme qui était bénévole dans un service de garde a vécu de la discrimination en se faisant questionner sur son hijab pour la première fois et en se voyant refuser la tâche qu’elle occupait pourtant l’année précédant l’adoption de la loi en 2019. Bien entendu, la raison donnée pour expliquer le refus de sa candidature comme bénévole ne référait pas directement à la Loi, puisque les garderies ne sont pas touchées par celle-ci. Une autre répondante a affirmé avoir été victime de harcèlement par des clientes et clients dans le cadre de son emploi de service à la clientèle après juin 2019. Ces personnes se permettaient de l’insulter et de demander d’être servies par du personnel « compétent ». La répondante s’exprime en ces mots :
Au boulot, je travaillais à la pharmacie, et les gens me disaient souvent « c’est quand que tu vas partir là, la loi [21] elle est passée, je vais parler à ton boss », ou « je ne veux pas que tu me serves, je veux quelqu’un de compétent qui n’a pas de serviette sur la tête ». Ça, ça revient très souvent. Mais il y a toujours des gens qui disent le contraire. À ce moment-là, il y a aussi un malaise parce qu’on ne devrait pas me dire ça. Je ne devrais pas être un genre de problème non plus. On veut juste vivre en paix, et continuer la vie. Et ça, c’est un petit rappel que « oh, tu es perçue différemment ».
D’autres femmes musulmanes ont été publiquement attaquées et/ou insultées (sur les réseaux sociaux) lorsqu’elles critiquaient ouvertement la Loi 21. Elles ont été traitées de « vendues », de « mauvaises Québécoises » et encouragées à « retourner dans leur pays ». Conséquemment, ces personnes ont exprimé avoir ressenti de l’incertitude par rapport à leur avenir au Québec, du fait de leur implication politique sur cet enjeu.
Précarisation et exclusion
On constate également que la discrimination entraîne une importante vulnérabilité chez des femmes musulmanes, mais aussi au sein d’autres populations racisées qui se retrouvent cantonnées à des emplois aux conditions précaires, contractuels ou au privé.
Mes entretiens ont montré que les personnes craignaient que la Loi 21 soit étendue à d’autres secteurs d’activités, comme en France, souvent citée comme exemple. Beaucoup craignaient que l’on assiste à la normalisation de discours islamophobes et à une fragilisation des droits des minorités, surtout celles des personnes racisées. Abordant l’avenir des relations majorité-minorités, une répondante disait « devoir s’attendre et se préparer » à plus de tensions et d’incidents si des lois comme la Loi 21 continuent d’être adoptées au Québec.
Les propos recueillis amènent certaines personnes à douter du caractère libéral et démocratique de l’État québécois. Ce dernier, selon celles-ci, œuvre plutôt au seul bénéfice des personnes de la culture dominante.
En somme, loin « d’intégrer » des groupes dits minoritaires dans le projet québécois, cette loi pave la voie à des processus d’exclusion et à des reculs démocratiques :
À la fin je pense que c’est plus la société qui va plus en souffrir, parce que nous, dans le pire des cas, tu fais autre chose, ou tu te replis sur toi-même. Pis à la fin, quand ceux qui disent ne pas vouloir laisser les communautés entre elles, ben on dirait que c’est à ça que ça pousse de vouloir dire « ben nous ça ne marche pas, parce que faut que tu l’enlèves sinon tu ne fais pas partie de nous ». Ben là non, ça ne marche pas, si tu ne m’acceptes pas, fini, je vais aller où est-ce qu’on m’accepte. Alors je pense qu’il va y avoir peut-être une adaptation mais c’est le milieu qui va en souffrir. Plus d’isolement.
Les personnes répondantes ont également exprimé leur préoccupation envers un gouvernement qui tente « d’exercer un contrôle sur leur corps et de les altériser ». Une répondante qualifie la loi d’« avilissante et d’irrespectueuse ». Pour une autre : « Tu as beau dire : oui je t’inclus, mais faut que tu t’habilles comme nous, tu dois manger comme nous, parler comme nous, ça ne s’appelle pas inclure. Ça s’appelle assimiler. Ce n’est pas du tout la même affaire. »
Sentiment d’appartenance et rejet
Beaucoup de femmes se sont interrogées sur leur sentiment d’appartenance. Elles ont dit se sentir indignées, déprimées, et rejetées depuis l’adoption de la Loi 21. Elles ne « reconnaissent pas ce Québec qu’elles aiment tant », et s’interrogent sur le projet politique qui ne reflète pas la « réalité sociale du Québec ». Cela a nourri, chez certaines, une volonté de remettre en question la Loi en recourant à différentes voies légales. Toutefois, même si cette posture est adoptée par quelques-unes, il n’en reste pas moins que la majorité des répondantes se sentait largement démunie devant la Loi.
Quant aux personnes répondantes plus âgées, elles se sentaient moins enclines à quitter le Québec puisque leur maison était payée et leur carrière « enracinée et établie ». En attendant, elles espéraient que les tribunaux invalident la Loi pour que leurs filles puissent exercer le métier de leur choix et vivre dans une société qui ne les marginaliserait pas.
Pour les plus jeunes, j’ai perçu une certaine crise identitaire provoquée par cette Loi et tous les débats qui s’en sont suivis. Du fait de ce sentiment de rejet les affectent à plus d’un titre, plusieurs femmes musulmanes se sont senties dépossédées et disent maintenant être incapables de se dire « Québécoises », alors que ce sentiment allait de soi auparavant. Une répondante l’évoque comme suit :
Je ne suis pas Québécoise parce que dans le fond je porte un foulard. Je ne suis pas canadienne parce que je parle plus français et ma culture est plus québécoise. Je ne suis pas algérienne parce que je ne vis plus là-bas depuis très longtemps. Avant je disais vraiment que j’étais québécoise, je parle la langue, j’ai la culture, alors pourquoi ne le serais-je pas ? Mais je ne peux pas dire que je suis québécoise tout simplement parce qu’on dirait que le Québec ne veut pas de moi. Je ne peux pas m’inclure dans un groupe qui m’exclut.
Ayant vécu et grandies grandit au Québec, ces Québécoises musulmanes m’ont expliqué qu’elles ne parvenaient pas à croire qu’une telle loi ait pu être adoptée, et ne pas savoir comment elles envisageaient leur futur, puisqu’elles s’étaient toujours senties québécoises jusque-là.
D’autres femmes musulmanes, contactées par des répondantes, n’ont pas voulu participer à mon étude, puisque « le choc est encore trop gros » et difficile à digérer pour elles ou parce qu’elles ressentaient un épuisement émotionnel et psychologique concernant cet enjeu[10].
Des personnes répondantes mobilisées contre la Loi 21 ont mentionné perdre espoir et se résigner à son maintien par manque de mobilisation citoyenne, notamment en raison de la pandémie de la COVID-19. Nous pouvons aussi supposer que la « question de l’islam » inhibe beaucoup de personnes dans le contexte actuel québécois.
Quelques réflexions à partir des résultats
En somme, les 23 entretiens réalisés avec des femmes montrent qu’une majorité d’entre elles a été touchée par la Loi que ce soit au niveau de leur sécurité physique, de leur revenu ou de leur santé mentale et psychologique. Ces différentes formes d’insécurité et de précarité sont à l’origine du départ de certaines d’entre elles vers d’autres provinces.
De plus, aucune des répondantes n’a exprimé le désir de retirer son signe religieux afin de se conformer à la loi. Elles mettent plutôt en place des stratégies de contournement pour continuer à exercer leur emploi tout en respectant leur croyance. C’est surtout le cas de celles qui vivent des situations économiques et familiales peu enviables ou encore de celles dont le statut légal est précaire. À leurs yeux, les barrières additionnelles découlant de la Loi 21 sont des obstacles accentuant leur vulnérabilité.
Des stratégies de contournement
Maintenant que la Loi 21 est adoptée, certaines répondantes ont favorisé la mobilisation militante : six d’entre elles ont d’ailleurs exprimé leur intention de continuer à enseigner les valeurs de la société québécoise. D’autres ont décidé de faire preuve de courage sans pour autant contester directement la Loi : soit en changeant de domaine d’étude, en quittant la province ou en portant un bini (petit chapeau lousse, comme une tuque légère) sur leur tête au lieu du hijab. L’analyse des effets indirects de la Loi fait d’une part prendre conscience des conséquences à long terme pour les femmes, les communautés musulmanes, et les personnes racisées qui portent des signes religieux. D’autre part, elle témoigne d’un recul en matière de droits des femmes et d’égalité des chances au travail.
À ce stade, la question qui se pose n’est pas tant de savoir quelles visées politiques consolident de tels projets de loi. Il paraît plus important de comprendre ce qui pousse le gouvernement québécois, à l’instar des gouvernements d’autres démocraties libérales occidentales, à estimer qu’il est désormais nécessaire de décréter — dans les conditions que l’on sait et de façon péremptoire — des paramètres stricts d’interaction sociale et institutionnelle supposés refléter l’essence collective de la nation.
L’État québécois a pourtant su pendant des décennies s’ouvrir à l’altérité et à la diversité ethnoculturelle. Ce sont des principes qui ont d’ailleurs été institutionnalisés dans des chartes, lois, règlements, énoncés politiques, qui avaient pour finalité de respecter les droits et libertés et les souverainetés individuelles. Le respect entier et effectif de tels principes aurait dû nous conduire à ne pas stigmatiser les choix normatifs et les modes de vie qui pouvaient en découler. La Loi 21 vient pourtant, sans sourciller, limiter de tels choix et de tels droits. Il est donc important de continuer à analyser le pourquoi du déclin de cette sensibilité pluraliste.
Comment comprendre que l’on porte atteinte aux droits et libertés de personnes qui se réclament d’identités québécoises contrastant avec celle de la majorité francophone euro-descendante ? Les éléments de réponse à cette interrogation sont nombreux et complexes. Ils renvoient entre autres à un certain nombre de facteurs qui incluent à la fois le rejet du religieux et la peur des fondamentalismes (abusivement associés à l’islam en tant que tel). Mais sans doute aussi et des dimensions géopolitiques de basculement de la puissance occidentale et partant à un bousculement des schèmes de pensée eurocentrés et sécularistes qui pèsent dans les représentations dominantes s’agissant surtout de la question de l’islam.
***
Les personnes répondantes que j’ai rencontrées insistaient pour dire que ceux et celles qui défendent la Loi 21 ne parviennent pas à comprendre les enjeux multidimensionnels en cause dans cet important débat de société. Selon elles, les effets délétères causés au tissu social sont sous-estimés. Il en va de même des conséquences économiques et psychologiques chez les personnes visées ainsi que leur entourage. Les discours consistant à présenter cette loi comme modérée,[11] du fait qu’elle n’affecterait qu’une minorité, leur font également violence, en plus d’être fortement contestables.
Une répondante déclare les choses ainsi : « c’est une tragédie de témoigner de la crise identitaire chez les jeunes musulman·e·s, de penser que toute une génération d’enfants d’immigrants, qui se sont dits et se sont sentis québécois, soit affectée par cette Loi. Et pour ceux et celles qui ont choisi de faire leur vie ici en investissant famille et carrière au Québec, c’est un bien triste constat de se voir rejetés collectivement de cette façon ».
Conclusion
À la lumière des résultats discutés plus haut, on peut dire que le message envoyé socialement avec la Loi 21 est lourd de conséquences pour les populations musulmanes et pour d’autres minorités religieuses racisées. Elle a conséquemment pour effet chez certaines personnes de renforcer les préjugés à la source de nombreux actes racistes et haineux que nous n’avons plus besoin d’énumérer, même s’il est encore difficile de faire valoir la notion d’islamophobie comme catégorie d’analyse au Québec. Les débats scientifiques ou les querelles médiatiques qui ont cours autour des limites ou de l’imperfection de la notion d’islamophobie ne doivent surtout pas permettre de nier un phénomène bien réel, observé factuellement, expérimenté chaque jour par de nombreuses personnes discriminées et violentées physiquement et symboliquement.
L’enquête présentée ici, bien que limitée, s’ajoute à d’autres études attestant l’existence de ce rejet et de cette stigmatisation. Ces enquêtes et études sont validées par les méthodes et outils scientifiques les plus rigoureux : bases de données, statistiques, enquêtes qualitatives, testing. L’islamophobie est construite à plusieurs niveaux par les politiques publiques étatiques, par les médias et par de larges segments des populations majoritaires en position hégémonique et de pouvoir. La Loi 21 s’inscrit dans ce cadre, dans la mesure où elle participe de l’acceptation d’un mode particulier de religiosité, celui consistant à invisibiliser certains signes et à déprécier les personnes qui y sont associées. Ce qui contribue à imposer un mode de croire parmi d’autres, une forme de « rectitude religieuse » conforme à une conception particulière de la sécularité. Pourtant, la tendance à accepter un seul mode d’expression du religieux équivaut à une compréhension bien pauvre de la liberté de conscience. Le vivre-ensemble dans une société diversifiée exige pourtant à la fois d’accepter la diversité religieuse, mais aussi la pluralité des formes d’expérience religieuse.
L’analyse des entretiens va dans le sens des thèses considérant la Loi 21 comme un dispositif induisant une conception dévoyée de la laïcité et qui prend pour cible le port de symboles religieux par certaines catégories (surtout racisées) d’agents de l’État. La laïcité se trouve ainsi réduite et cantonnée aux enjeux de visibilité du religieux, ce qui en réduit substantiellement la portée. De plus, cela nous empêche collectivement de considérer de nombreux autres enjeux non réductibles à la seule question des signes religieux. De plus, le principe très limitatif de neutralité de ce projet de laïcité n’est nullement en corrélation avec le respect des droits fondamentaux comme la liberté de conscience et de religion.
En ce sens, cette loi peut être vue comme un recul démocratique au regard des garanties à accorder aux droits fondamentaux. En réduisant la laïcité aux seuls enjeux de visibilité du religieux dans la sphère publique et les institutions, la Loi 21 induit une conception moindre de laïcité[12] de façon à limiter ce qu’elle avait vocation à protéger : la liberté et l’égalité des citoyennes et citoyens dont les convictions ne sont pas partagées par la majorité.
Le projet de recherche a aussi analysé les méthodes d’adaptation des personnes répondantes à la Loi 21, les contestations légales, la mobilisation face aux rhétoriques empreintes de préjugés ainsi que les manifestations collectives. Certaines femmes se sont indignées et mobilisées pour défendre leurs droits fondamentaux alors que d’autres se sont résignées à quitter le Québec pour trouver une meilleure vie ailleurs, là où elles croient qu’elles seront moins ostracisées. En dépit de postures différentes, le facteur commun qui unissait toutes ces femmes est sans conteste le sentiment de rejet, la redéfinition de leur lien identitaire et de leur sentiment d’appartenance personnel ou collectif à la collectivité québécoise.
Il est important, dans les années à venir, que la recherche documente les processus systémiques d’exclusion que risque fortement de consolider cette Loi, surtout au niveau de l’emploi et des rapports entre la majorité et les minorités.
9-ANNEXES
Effets Directs
Résumé succinct des demandes d’accès à l’’informations de la English Montreal School Board (EMSB) :
Total : Au moins 44 femmes musulmanes ont été affectées directement dans leur emploi depuis l’adoption de la Loi 21.
EMSB :
[75] Based on responses to access to information requests sent to every public body employing the persons listed in Schedule II of the Laicity Act (to which applies the prohibition on wearing religious symbols at s. 6 of the Laicity Act), since the tabling of the Laicity Act,19 at least 18 persons have been denied employment because they wear religious symbols. All 18 are women. In 17 of the 18 cases, they are Muslim women who wear the hijab (and in one case no information is provided as to the religious symbol worn by the woman).[13]
[76] Moreover, there is evidence of at least three further persons having been denied employment due to their religious symbol; all three persons are Muslim women who wear the hijab.
➢ Déclaration sous serment de S.H. (September 26, 2019)
➢ Déclaration sous serment de S.B.R. (September 18, 2019)
➢ Déclaration sous serment de Mariam Najdi (September 19, 2019)
[77] All of these cases are in addition to the many Muslim women, several of whom are affiants in the case, who, though they have been “grandfathered” under s. 31 of the Laicity Act, must continue exercising the same functions in the same school board; they are denied any possibility of promotion (for example, to the position of principal) or of mobility (for example, between school boards).
[78] Finally, where a woman decides to remove her hijab in order to work, this also constitutes an infringement of her freedom of religion. To date, there are documented cases of at least three Muslim women removing their hijab in order to work as teachers in public schools, in addition to the at least 21 Muslim women who have decided to no longer work as teachers in public schools.
➢ Examination of Me Louis Bellerose at 34
[79] That Muslim women wearing the hijab are those disproportionately suffering the consequences of the ban is consistent with the broader demographic, sociological and legislative contexts:
➢ Admissions communes de la Commission scolaire English-Montreal, Mubeenah Mughal, Pietro Mercuri et le Procureur général du Québec23
That the Laicity Act disproportionately affects women is not a coincidence: the teaching population in Quebec, which makes up more than 70% of persons covered by the religious symbol ban (around 100,000 of 137,000), is predominantly female and this is not a new reality. In the last 10 years, women make up on average around 75% of teachers.
➢ Admissions communes de la Commission scolaire English-Montreal, Mubeenah Mughal, Pietro Mercuri et le Procureur général du Québec24
➢ EMSB-28-4.1
Muslims constitute the second largest religious group in Quebec after Christians; the Muslim population (243,000 in 2011) constitutes two and half times the Sikh and Jewish populations of Quebec combined (roughly 9,000 and 85,000 in 2011).
➢ Lefebvre report, EMSB-28-16, based on the last National Household Survey (2011) by Statistics Canada at 5 of 112, 7 of 112 (at paras 10, 15) and at 8 of 112 (table)
Quelques extraits des entrevues
« Je trouve aussi que ça va être une loi qui va être raciste, qui va un peu séparer la population, qui va créer un faux débat. Je trouve aussi que c’est comme si on essayait de déguiser une certaine peur avec la loi. Pis je trouve aussi que c’est comme si on nous disait qu’on nous veut pas avec le bagage qu’on va apporter par exemple, c’est comme si on voulait un petit peu nous changer, comme nous assimiler, nous rendre différent de ce qu’on est. »
« Dans le fond je ne sais pas si c’est vraiment le fait de pas retrouver ces gens-là dans ces emplois-là, je pense plutôt que c’est le fait qu’on nous a fermé ces portes-là, pis c’est comme si on nous disait : vous êtes plus vraiment des citoyens comme les autres. »
« Pis je me souviens, j’allais me marier dans la période où la loi avait été passée, un peu avant, pis dans les magasins, il n’y avait personne qui me parlait, qui me regardait, vraiment comme si j’avais la peste. C’est un peu ça le sentiment. Ça a fait une petite coupure dans mon sentiment d’appartenance au Québec. »
« Pourquoi pour moi ça devrait être vu différemment. « Ah ben toi c’est parce qu’on veut te libérer » « NON, je n’ai rien demandé ! » C’est juste ça. Je le vois plus comme quelqu’un qui essaie de changer ce que j’ai toujours cru depuis longtemps. »
« Tu vas pas essayer de me faire croire que c’est pas ma place. Ça, ça marche pas. Pis ce n’est même pas quelque chose à laquelle je pense sérieusement. J’ai trois frères et sœurs, pis eux sont nés à l’extérieur. Eux, ils vont avoir ce sentiment-là, mais moi, je ne l’ai pas. Moi, ça ne marche pas. Ne me dis pas que ce n’est pas ça, je sais que c’est pas vrai. »
« Finalement le problème c’est que vu que ces femmes ne peuvent pas travailler disons dans le milieu de l’enseignement, elles vont se retrouver dans d’autres endroits précaires, c’est-à-dire que c’est pas stable. C’est pas bien payé. Des petits mandats, comme des cours particuliers. »
« Moi si je voulais avoir un emploi « stable », genre travailler avec le gouvernement, c’est une job stable, ben c’est plus là cette option. Ça existe plus. Je dois continuer avec une compagnie, ou faire du free-lance, mais je ne peux pas avoir un emploi comme ça. Et j’avais jamais pensé à ça avant, mais à cause de la Loi 21 là ça m’a frappé. Oublie ça. »
“But for sure the sense of belongingness within the Quebec context is quite difficult. There’s good and bad people everywhere but from the general climate that we are living in, it is harder to feel a sense of belonging in this time.” [14]
“There is definitely a paranoia and I think it is justifiable from the Muslim community.” [15]
“So of course personally, I felt a lot of aggravation. It’s upsetting, personally, of course. So not directly [affected] but I do feel personally very upset about it.” [16]
“I think to put it in simple terms, I think it [bill 21] is garbage.” [17]
“And that is systemic racism. I cannot change [jobs in education], but my white non-Muslim counterpart can. Legault is wrong when he says our system is not systemic racism and that it is.” [18]
“Bill 21 has meant to me an ill, a symptom of a social ill and I try to approach it with empathy and open mind.” [19]
“The first reaction you become upset: how could anyone do this? How could a politician assume that they could remove my liberty, limit my fundamental freedoms in the context of the charter and everything that we have learned in school for Canada to be. I think first you start with no, outrage, confusion, and afterwards it settles on you that this is a real problem that I am facing with Bill 21, and before that it was the Quebec City shooting, and before that it was the charter of values, and before that it was Bill 62, and it’s just a post-9/11 world. And it’s like as much as you want to fight and combat that social ill, you realize its one that feels insurmountable because it requires everyone to just literally shift their world view. How can you do that as a person?” [20]
“I wonder if we are ever going to achieve acceptance because it is always conditional upon something. so what is it? When are we going to be enough? I really do think that if I to remove my hijab, which I wouldn’t, I still wouldn’t be accepted. I wouldn’t strive, because I am not being accepted as the person I am now. So what makes me think that I will be accepted?” [21]
“When I think about Islamophobia in Canada, I would view it as a crescendo. It just keeps getting bigger since 9/11.” [22]
“Totally, I mean I honestly can’t imagine living in a place where I am not accepted as I am. I don’t want to live in a place where I must contort myself to unreasonable and arbitrary expectations of how I fit. I think its robing people of their individuality and I find that really appalling. And I think even if this bill is struck down and I might access these jobs, there’s a conversation of survival, and there’s a conversation of striving. People want to live a happy life, feel welcomed. It’s not even about being treated politely, you want to make friends, want to be in a community you feel you can trust somebody – there’s a togetherness, that ‘vivre ensemble’ that people keep talking about.” [23]
“Outside of Quebec, I think, it is a huge concern for people across the country.”[24]
“I think, the polls do show that since the first little while when the bill was passed and tabled like actually after the bill passed into effect, there has been a decline in support for the bill and that is a good sign.” [25]
“At the same time, it’s not a surprise, because obviously this is a government that has actually instituted in very clear terms systemic racism through the bill. Of course they don’t want to address to it [systemic racism], and are committed to promoting it. So I think we are going to see different iterations of how this issue comes up through bill 21 but also how it comes up in other areas.” [26]
“Well, passing a law that completely makes it possible and legitimizes systemic discrimination so for me it is a big slap in the face and hypocritical and it’s just unjust.”[27]
“And it has also made me question my place in Quebec, because the message I am getting with this law is that because of who I am I am not acceptable in my society because of who I am. Because it’s part of my identity. […] I never felt that I don’t belong here. Its only because of this law that I am started to question my belonging in Quebec. Can you believe it? This law that is telling me that they want to make this province more inclusive is the starting point of me questioning my belonging. If that is not hypocritical, I don’t know what is.” [28]
“He [François Legault] is stopping a whole generation of people from dreaming to create a better society.” [29]
« Non, je me sens toujours Québécoise et Canadienne, car je suis consciente que le problème vient des gouvernements et non pas les peuples. Et les gouvernements changent alors que le peuple reste ! »
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[1] Racisé est une traduction du mot anglais « racialised/racialized ». On note en français deux usages communs, soit racisé ou racialisé, pour faire référence à la construction sociale hiérarchique de catégories raciales et à la projection de l’altérité chez les membres des groupes dits « non blancs ». Pour plus de détails sur les mots utilisés pour réfléchir sur le racisme, voir l’article d’Alexandra Pierre de la Ligue des Droits et Libertés du Québec : https://liguedesdroits.ca/mots-choisis-pour-reflechir-au-racisme-et-a-lanti-racisme/
[2] Cette tendance était moins importante chez les personnes répondantes plus jeunes au Québec. Elle était plus répandue chez les personnes francophones et anglophones au Québec que dans le reste du Canada.
https://acs-aec.ca/old/img/nouvelles/ACS-CIIM-2009EN-R130.pdf
[3] Léger Marketing Canada (12-18 juin 2008). Question posée à 1500 citoyens et citoyennes canadiens concernant les personnes musulmanes : “Would you say that you have a favorable or unfavorable opinion of the following groups ?” https://acs-aec.ca/old/img/nouvelles/ACS-CIIM-2008EN-R114.pdf.
[4] Étude sur les accommodements raisonnables par l’Association d’études canadiennes, le 18 juin 2010. Question posée : « J’ai une opinion favorable des musulmans ? ».
https://acs-aec.ca/old/img/nouvelles/ACS-CIIM-2010FR-R164.htm
[5] Original : “When I think about Islamophobia in Canada, I would view it as a crescendo. It just keeps getting bigger since 9/11.” Toutes les traductions sont celles de l’auteure.
[6] Pour en savoir plus : https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/etude_actes_haineux.pdf
[7] Voir le travail de Nadia Marzouki pour en savoir plus : https://www.sam-network.org/video/quelle-place-pour-l-islam-aux-etats-unis#!
[8] Lors de la tragédie du 29 janvier 2017, six hommes furent tués au Centre culturel islamique de Sainte-Foy par Alexandre Bissonnette. Les six victimes sont : Ibrahima Barry (39 ans), Mamadou Tanou Barry (42 ans), Khaled Belkacemi (60 ans), Aboubaker Thabti (44 ans), Abdelkrim Hassane (41 ans), and Azzedine Soufiane (57 ans).
[9] Le gouvernement définit la loi ainsi : « Afin de refléter la laïcité de l’État, certaines personnes en position d’autorité ne peuvent pas porter de signe religieux durant l’exercice de leurs fonctions. Sont notamment visés les enseignants et les directeurs des écoles primaires et secondaires publiques, les agents de la paix, les procureurs de la Couronne, les juges de nomination québécoise ainsi que le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale. » La clause “grand-père” (de droits acquis) est définie comme suit : « Les personnes en poste le 27 mars 2019 conservent le droit de porter un signe religieux (droit acquis) aussi longtemps qu’elles occupent la même fonction au sein de la même organisation. »
https://www.quebec.ca/gouv/politiques-orientations/laicite-etat/
[10] Une répondante a expliqué cette attitude face à l’étude comme suit : « Moi aussi quand tu m’as parlé au début, moi aussi j’ai eu un petit sentiment de ah non, je ne veux pas en parler c’est vraiment énorme, je veux pas en parler, c’est pas moi, je suis pas prof, mais je vais tellement devenir comme I’ll be angry, je vais sentir ma colère monter en parlant de ça. Et après je me suis dit peut-être que ton projet ça va faire un changement, ça va faire une différence, je me suis forcée à te parler honnêtement. »
[11] Voir : https://www.ledevoir.com/opinion/lettres/552039/lettre-le-projet-de-loi-21-modere-ou-non;
Leila Celis, Dia Dabby, Dominique Leydet, Vincent Romani, Modération ou extrémisme? Regards critiques sur la loi 21, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020.
[12] David Koussens, « Une laïcité moindre », dans Leila Celis, Dia Dabby, Dominique Leydet, Vincent Romani (dir.), Modération ou extrémisme? Regards critiques sur la loi 21, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, pp.83-95.
[13] Commission scolaire des Affluents: 1 person – a woman wearing a hijab (EMSB-28-8; NCCM: P-53- M-05); English-Montreal School Board: 2 people – both women wearing a hijab (EMSB-28-15, AW-1; NCCM: P-53-S-07); Commission scolaire de Laval: 1 person – a woman wearing a hijab (EMSB-28-9; NCCM: P-53-K-03 and 04); Commission scolaire Marie-Victorin: 1 person – a woman whose religious sign is not known (NCCM: P-53-KK-01 and 02); Commission scolaire de Montréal: 8 persons – all of which are women wearing a hijab (Examination of Me Louis Bellerose, Centre de service scolaire de Montréal, August 25, 2020); Commission scolaire de la Pointe-de l’île: 4 people – all 4 are women who wear the hijab (EMSB-28-12.1); Commission scolaire Seigneurie-des-Milles-Îles: 1 person – a woman wearing a hijab (EMSB-28-11).
[14] « Mais c’est sûr que le sentiment d’appartenance dans le contexte québécois est assez difficile. Il y a de bonnes et de mauvaises personnes partout, mais vu le climat général dans lequel nous vivons, il est plus difficile de ressentir un sentiment d’appartenance dans le moment. »
[15] « Il y a définitivement une paranoïa et je pense qu’elle est justifiée de la part de la communauté musulmane. »
[16] « Alors bien sûr, personnellement, j’ai ressenti beaucoup d’aggravation. C’est contrariant, personnellement, bien sûr. Je ne suis pas directement [affecté], mais je me sens personnellement très contrariée par cette situation. »
[17] « Je pense que pour le dire en termes simples, je pense que [le projet de loi 21] c’est de la poubelle. »
[18] « Et c’est du racisme systémique. Je ne peux pas changer [d’emploi en éducation], mais mon homologue blanc non musulman peut le faire. Legault a tort quand il dit que notre système n’est pas du racisme systémique, il l’est. »
[19] « La loi 21 a signifié pour moi un mal, un symptôme d’un mal social et j’essaie de l’aborder avec empathie et ouverture d’esprit. »
[20] « La première réaction que l’on a, c’est d’être bouleversé : comment peut-on faire ça ? Comment un politicien peut-il supposer qu’il peut supprimer ma liberté, limiter mes libertés fondamentales dans le contexte de la charte et de tout ce que nous avons appris à l’école à propos du Canada. Je pense que l’on commence par un sentiment de non, d’indignation, de confusion, puis on se rend compte que c’est un vrai problème auquel je suis confrontée avec le projet de loi 21, et avant cela c’était la fusillade de Québec, et avant cela c’était la charte des valeurs, et avant cela c’était le projet de loi 62, et c’est juste un monde post-11 septembre. Et c’est comme si, bien que vous vouliez combattre ce mal social, vous vous rendiez compte qu’il semble insurmontable parce qu’il exige que chacun change littéralement sa vision du monde. Comment pouvez-vous faire ça en tant que personne ? »
[21] « Je me demande si nous parviendrons un jour à être acceptés parce que c’est toujours conditionné par quelque chose. Alors qu’est-ce que c’est ? Quand serons-nous suffisants ? Je pense vraiment que si j’enlevais mon hijab, ce que je ne ferais pas, je ne serais toujours pas acceptée. Je ne ferais pas d’efforts, parce que je ne suis pas acceptée comme la personne que je suis maintenant. Alors qu’est-ce qui me fait croire que je serai acceptée ? »
[22] « Quand je pense à l’islamophobie au Canada, je la verrais comme un crescendo. Ça ne fait que s’amplifier depuis le 11 septembre. »
[23] « Totalement, je veux dire que je ne peux honnêtement pas imaginer vivre dans un endroit où je ne suis pas acceptée telle que je suis. Je ne veux pas vivre dans un endroit où je dois me contorsionner pour répondre à des attentes déraisonnables et arbitraires quant à ma place. Je pense que cela prive les gens de leur individualité et je trouve cela vraiment consternant. Et je pense que même si ce projet de loi est annulé et que je peux accéder à ces emplois, il y a une discussion sur la survie, et une discussion sur l’effort. Les gens veulent vivre une vie heureuse, se sentir accueillis. Il ne s’agit même pas d’être traité poliment, vous voulez vous faire des amis, être dans une communauté où vous sentez que vous pouvez faire confiance à quelqu’un – il y a une unité, ce « vivre ensemble » dont les gens ne cessent de parler. »
[24] « En dehors du Québec, je pense que c’est une énorme préoccupation pour les gens à travers le pays. »
[25] « Je pense, les sondages montrent que depuis le tout petit moment où le projet de loi a été adopté et déposé comme, en fait, après l’entrée en vigueur du projet de loi, il y a eu une baisse du soutien au projet de loi et c’est un bon signe. »
[26] « En même temps, ce n’est pas une surprise, parce qu’évidemment, c’est un gouvernement qui a institué en termes très clairs le racisme systémique à travers le projet de loi. Bien sûr, ils ne veulent pas y faire face [au racisme systémique], et s’engagent à le promouvoir. Donc je pense que nous allons voir différentes itérations de la façon dont cette question est soulevée par le projet de loi 21, mais aussi comment elle est soulevée dans d’autres domaines. »
[27] « Eh bien, l’adoption d’une loi qui rend complètement possible et légitime la discrimination systémique, alors pour moi c’est une grande claque dans le visage et hypocrite et c’est juste injuste. »
[28] « Et ça m’a aussi fait remettre en question ma place au Québec, parce que le message que je reçois avec cette loi, c’est qu’à cause de qui je suis, je ne suis pas acceptable dans ma société à cause de qui je suis. Parce que ça fait partie de mon identité. […] Je n’ai jamais senti que je n’étais pas à ma place ici. C’est seulement à cause de cette loi que je commence à remettre en question mon appartenance au Québec. Pouvez-vous le croire ? Cette loi qui me dit qu’ils veulent rendre cette province plus inclusive est le point de départ de ma remise en question de mon appartenance. Si ce n’est pas hypocrite, je ne sais pas ce que c’est. »
[29] « Il [François Legault] empêche toute une génération de gens de rêver pour créer une meilleure société ».