Photo : Mazur/catholicnews.org.uk via Flickr
12 août 2022

Une visite papale en demi-teintes

L’auteur est responsable de la recherche au Centre justice et foi

Entre guérison et retraumatisation des personnes survivantes des pensionnats pour autochtones, la visite du pape François au Canada aura surtout révélé l’ampleur de la décolonisation à mener au sein de l’Église catholique.

 

La visite du pape François au Canada en juillet dernier, venu présenter des excuses destinées aux survivant·es des pensionnats pour Autochtones, a suscité de grandes attentes (irréalistes ?) auprès des catholiques engagés en solidarité avec les Premiers Peuples, mais elle aura au final laissé un goût amer. S’inscrivant en réponse au 58e appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), elle devait être un jalon important de la démarche de réconciliation durable dans laquelle l’Église catholique s’est engagée, en lien avec les violences multiformes perpétrées dans les pensionnats. Elle aura plutôt agi comme révélatrice du changement de fond en comble à opérer pour rompre avec le paradigme colonial au sein de l’Église. 

Cela dit, malgré les nombreuses omissions et zones d’ombre des excuses du pape, cette reconnaissance des torts commis par l’Église catholique – et l’apparent effort de recadrage du message pour y inclure les dimensions systémiques, institutionnelles et génocidaires des pensionnats, de même que les nombreux abus sexuels perpétrés dans ces institutions – semble avoir apporté un début d’apaisement à certaines victimes directes et indirectes de la brutale politique d’assimilation forcée exercée par le système des écoles résidentielles. J’avoue avoir été profondément touché par la réaction fébrile et digne de la sénatrice innue Michèle Audette après que le pape eut reconnu l’ampleur des abus sexuels subis par plusieurs de ses proches. Cette reconnaissance de la blessure qui dormait à poings fermés met aussi en exergue les dimensions colonialistes de ce mal qui ronge l’Église depuis trop longtemps.  

Entre guérison et retraumatisation  

La reconnaissance des torts de l’Église et du caractère génocidaire des pensionnats a certes été saluée par de nombreuses personnes autochtones. Tout comme la sincérité que certaines d’entre elles disent avoir senti dans les excuses papales, d’ailleurs. Or, même si ces excuses avaient été demandées par les survivant·es, les chef·fes autochtones, de même que par les commissaires de la CVR, Wilton Littlechild en tête, elles auront été traumatisantes pour un grand nombre de survivant·es. De nombreuses blessures ont été réouvertes par cette visite, faisant remonter des traumatismes dans l’esprit et le cœur d’un grand nombre d’Autochtones, comme en témoigne le grand volume d’appels reçus par les centres d’aide téléphonique mis en place ces derniers mois pour apporter une aide psychologique aux survivant·es des pensionnats. 

Le travail de guérison ne fait donc que commencer. Et, à ce titre, l’un des scandales de cette visite est que l’Église canadienne n’ait toujours pas récolté les 30 millions de dollars qui devaient être versés dans le Fonds de réconciliation demandé par la CVR… il y a sept ans ! Sans parler de la répudiation de la doctrine de la découverte demandée par de nombreux chefs autochtones : un geste solennel qui ne « coûterait » pas grand-chose à l’Église, puisque cette doctrine a été répudiée dès 1537 par le pape Paul III, dans sa bulle Sublimus deus et aussi par les évêques catholiques du Canada en 2016.  

Une Église encore profondément colonial(ist)e 

Organisée dans l’urgence en moins de deux mois, cette visite a aussi été un révélateur du manque de connaissance et d’attention aux réalités autochtones de l’Église canadienne. Si vous avez suivi les diverses étapes de ce voyage, vous avez sans doute noté la trop faible place laissée aux Premiers Peuples dans tout le processus, à quelques exceptions près.  

Quelques semaines avant la visite du pape, plusieurs personnes m’ont relaté la très faible participation des Autochtones dans sa préparation. Et ce, tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Le chef déné Gerald Antoine et la cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, ont maintes fois tiré la sonnette d’alarme à ce propos. La visite semble avoir été pensée et organisée depuis Edmonton, l’archevêque Richard Smith ayant été désigné organisateur en chef par la Conférence des évêques catholiques du Canada. Sans doute parce que les trois premières étapes de la visite (Maskwacis, Stade du Commonwealth, Lac Ste-Anne) devaient avoir lieu dans « son » diocèse. Or, ce dernier n’était pas du tout connu pour ses solidarités envers les Premiers Peuples. Larchevêque de Regina, Donald Bolen, déjà engagé dans une démarche de réconciliation, eut été de loin un bien meilleur choix, me semble-t-il. 

La messe au Stade du Commonwealth à Edmonton a cruellement montré l’absence d’écoute des voix autochtones, ce qui est immensément paradoxal en cette année synodale qui accorde à l’écoute une place centrale. Qui plus est, cette visite portait le titre présomptueux de Marcher ensemble, alors que c’est l’Église catholique qui a dicté la cadence de cette marche. Cette messe a été critiquée par de nombreux observateurs. D’abord par la quasi-absence d’éléments rituels autochtones dans la liturgie, qu’il s’agisse de sauge purificatoire, de teweikan (tambours), de chants ou de prières en langues autochtones. Or, ces éléments sont d’importance cruciale : ils permettent aux personnes autochtones de se sentir en sécurité (c’est ce qu’on appelle la sécurisation culturelle), plus encore dans une messe catholique passablement « romaine » comme celle-ci, à même de réveiller des traumatismes chez les personnes survivantes des pensionnats catholiques.  

Lors de cette même célébration liturgique, l’homélie prononcée à l’occasion de la fête de sainte Anne et de saint Joachim était profondément troublante. Cherchant à mettre en valeur le respect dont les Autochtones font preuve à l’égard de leurs kukums (grand-mères) et mushums (grands-pères), le rédacteur de cette homélie a ensuite longuement insisté sur la transmission intergénérationnelle de la foi, des croyances, des coutumes et des valeurs. Or, c’est précisément cette transmission intergénérationnelle qui a été violemment interrompue dans les pensionnats. Un tel manque de tact et de sensibilité est déplorable

Même manque de respect au Québec  

Lors de la messe à la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, l’intégration des rituels autochtones dans la liturgie laissait là encore à désirer. Or, il y a plus grave : contrairement à ce qui a été promis et annoncé par le comité organisateur, l’attribution des billets aux personnes autochtones semble avoir été un véritable gâchis, engendrant stress et frustration chez les personnes survivantes et leurs accompagnatrices. Pis encore : le jour de la messe, plusieurs de ces personnes ont dû se débattre pour se trouver un siège, plusieurs bancs à l’avant de la basilique ayant été réservés aux évêques, aux dignitaires politiques et aux médias. On est à mille lieux de la démarche pénitentielle et de la guérison spirituelle qui devait présider à cette messe. De nombreuses vexations ont été relatées, comme ce fut le cas de personnes survivantes ayant parcouru des centaines de kilomètres pour être présentes et qui ont failli rebrousser chemin, ne se sentant pas à leur place dans cette célébration pourtant organisée à leur attention. 

Une femme autochtone m’a aussi confié avoir été choquée de constater qu’aucune femme et qu’aucun·e aîné·e autochtone n’ont été intégré·es à la procession de cette messe. Gardien·nes du savoir et des traditions spirituelles des Premiers Peuples, les aîné·es et les kukums sont traité·es avec déférence dans les familles et communautés autochtones. Cette omission a donc été interprétée comme un affront, voire une gifle.

Les pèlerins autochtones ont d’ailleurs vécu de nombreuses autres humiliations comme celle-ci. Notamment l’exclusion des personnes qui accompagnaient des survivant·es lors d’une rencontre avec le pape et les évêques à l’archevêché de Québec, sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de sièges pour toutes et tous. Un autre fiasco en matière de sécurisation culturelle : des personnes polytraumatisées laissées sans soutien moral, dans une salle à huis clos, entourées d’évêques en habits noirs et cols romain, croix pectorale bien en vue, dans un espace réduit…

Soulignons, enfin, le manque d’égard généralisé à l’endroit des Autochtones ayant rompu avec la foi catholique pour toutes sortes de raisons, pour mieux renouer avec leurs traditions spirituelles. Ces personnes n’ont pas du tout été prises en considération lors de cette visite, alors qu’elles auraient dû être intégrées à cette démarche.

Un long et colossal travail de décolonisation à mener 

Comme l’ont noté les théologiens Jean-François Roussel et Michel Andraos, les évêques catholiques du Canada et, par extension, un très grand nombre de personnes baptisées, devront mettre les bouchées doubles en matière de décolonisation au cours des prochains mois et des prochaines années. Les catholiques partent de très, très loin, malgré la bonne foi évidente de plusieurs personnes sincèrement engagées dans ce chantier. Cela dit, un pas a été franchi. Il faudra en faire de nombreux autres. La guérison, la réconciliation et le développement de relations justes avec les Premiers Peuples viennent à ce prix. 

 

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