Quelques considérations sur la COVID-19
Ce texte inaugure un cycle consacré à la crise de la COVID-19. Des membres du comité de rédaction de Relations ou du Centre justice et foi réfléchiront sous différents angles à ce qu’elle révèle et soulève comme défis pour l’avenir.
La société de l’après COVID-19
On a beaucoup discuté, il y a quelques années, de l’opportunité d’instaurer une allocation universelle, ou allocation de citoyenneté qui remplacerait notre système d’aide sociale. Avec la COVID-19, on dirait que cela vient d’arriver. La mise sur pause a fait disparaître des milliers d’emplois et mis au chômage des milliers de travailleurs et travailleuses qui, du jour au lendemain, n’ont plus de revenus. Or, les gens n’ont en général aucune réserve ni même majoritairement une bonne provision de dettes. Inimaginable ! Sans l’aide immédiate de l’État, beaucoup seraient morts de faim. Il se serait aussi produit des désordres sociaux majeurs : épiceries et entrepôts pris d’assaut, vols, assassinats, répressions policières, émeutes violences, dépressions, suicides.
Comment l’État a-t-il pu réagir si vite et si énergiquement ? Évidemment ou il faisait cela, ou il ne faisait rien, n’imposait pas la pause et laissait faire la pandémie. La mort généralisée aurait aussi engendré le chaos. Une leçon contre le néolibéralisme et le libertarianisme qui dévalorisent les instances politiques : nous avons besoin d’un État, qui remplit son rôle politique, et n’est pas une simple courroie du marché.
Mais qui paiera la facture ? Par je ne sais quel paradoxe, la bourse ne s’écroule pas, les valeurs restent hautes, ce qui permet de soupçonner que les riches demeurent confiants, voire convaincus qu’ils auront une joyeuse revanche. C’est le schéma de 2008. C’est à mon sens irréaliste, car la crise risque de durer deux ans (jusqu’au vaccin ?) et qu’il y aura des séquelles sur un temps beaucoup plus long. Il faut donc penser à une baisse importante du niveau de vie, ce qui ne veut pas dire baisse de la qualité de la vie.
Dans les mois qui viennent, nous devrons réfléchir sur le bonheur, sur la simplicité de vie, sur la relation au temps. Un an sans sports professionnels, quel luxe ! Du temps pour réapprendre à cuisiner et à manger ensemble à la maison, c’est pas mal. On voit même déjà des gens s’acheter des poules pour avoir des œufs frais ! Le monde du travail sera nécessairement transformé : les locaux, le télétravail, les horaires, les transports. Dans le centre d’achat devant chez moi, le parking était vide et j’ai vu plein de parents venir jouer au ballon avec leurs enfants. Un parking devenu terrain de jeu ! Et perdre du temps avec ses enfants ! Pas mal.
Monsieur Legault a évoqué à plusieurs reprises la fragilité alimentaire du Québec et sa dépendance à l’égard des États-Unis et du marché international. Sous l’ère Trump, qui risque de se prolonger, les États-Unis ne sont plus du tout un partenaire fiable ni pour l’importation ni pour l’exportation. Trump peut aussi bien fermer la frontière avec le Canada pour des motifs que lui seul connaît que décider que la frontière n’existe pas et que les biens du continent sont propriété des Américains, par exemple, l’eau des Grands Lacs. Au-delà des États-Unis, la crise fait apparaître la fragilité de la mondialisation et également sa dangerosité. En cas de crise personne n’est tout à fait fiable et bien des commandes sont déviées de leur destination.
Pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les frontières sont de trop, car la seule réalité importante, c’est le marché. Or, il suffit d’un simple virus pour faire apparaître l’importance du substrat des sociétés humaines, l’originalité de leurs systèmes de santé et d’éducation, leurs réseaux, leurs cultures. En écologie, il est important que l’écosystème global repose sur une multitude d’écosystèmes de plus petite échelle et sur ce que l’on appelle des habitats. Tous les peuplements forestiers ne sont pas identiques : une érablière diffère d’une pinède, d’une bétulaie, d’une cédrière, mais chacune a son équilibre et comprend à la fois des espèces dominantes et d’autres espèces complémentaires. Plus largement, pensons à la taïga et à la toundra qui n’ont pas de frontières nettes, mais qui néanmoins occupent différemment le territoire. Vouloir uniformiser la terre serait la tuer. Vouloir uniformiser l’humanité aussi, qu’on le fasse au nom du commerce, de l’informatique, de l’empire américain déclinant ou de l’empire chinois conquérant n’importe guère.
COVID-19 et environnement
Certains observateurs font un lien entre l’apparition de la COVID-19 et la détérioration de l’environnement. Ce lien ne me paraît pas évident, mais peut-être que des recherches ultérieures éclaireront la question. Par exemple, l’arrivée de la peste en Europe au XIVe siècle n’est certainement pas attribuable à une crise écologique. La peste est causée par le bacille de Yersin et il est transmis à l’être humain par le puceron du rat. Mais le rat n’est pas affecté par la peste. Il en est le vecteur. Il y a, on l’oublie trop, une circulation des maladies de l’humain à l’animal et de l’animal à l’humain. On appelle cela des zoonoses, comme la tuberculose, la rage, la brucellose. La peste existait déjà depuis longtemps. L’épidémie du Moyen-Âge a pour cause la guerre. La peste avait décimé l’armée du khan Djani Bek. Obligé de lever le siège de la ville de Caffa, il catapulta le corps de quelques pestiférés de son camp par-dessus la muraille de la ville. La guerre prit fin et la ville a pu reprendre son commerce avec l’Europe. Mais elle était déjà contaminée.
Avec la mondialisation et la circulation intensive, il est très vraisemblable que d’autres épidémies à caractère local, en fait, à l’état endémique dans certaines populations, deviennent des pandémies. On a vu ce phénomène lors de la « découverte » des Amériques. Ici, l’arrivée des Français a causé la mort de 90 % de la nation huronne, par la dispersion de la tuberculose, alors que des nations amérindiennes moins en contact avec les Européens ont mieux résisté à l’infestation.
Est-ce que de nouvelles infestations comme le SRAS, Ébola, COVID-19 sont le résultat de l’apparition de nouveaux virus par mutation comme le sont les grippes ordinaires, à la différence toutefois que ces virus seraient beaucoup plus nocifs que les virus existants ? Y aurait-il à cela des causes proprement écologiques ? Faut-il évoquer en ce cas une défense de la Terre contre l’infestation de l’être humain, une réaction immunitaire de la Terre elle-même ? Cela nous ramènerait à la thèse de Lovelock sur Gaia : la Terre est un organisme vivant et se défend contre le virus humain en train de tout détruire. C’est à peu près la thèse de la punition évoquée par Delumeau.
Mais il est bien possible que certains virus que nous découvrons et que nous pensons nouveaux existent déjà dans la nature et dans certains milieux à l’état endémique. L’ouverture constante de tous les milieux et la mondialisation galopante peuvent donc amener la dispersion de nouveaux pathogènes de plantes ou d’animaux dans des environnements incapables de leur résister. Ce fut le cas de l’introduction volontaire du lapin de garenne en Australie au milieu du XIXe siècle. Douze couples auront suffi pour provoquer des bouleversements irréversibles de la flore indigène, de la faune marsupiale et de l’agriculture. Actuellement, dans nos milieux, on sait que bon nombre d’espèces dites envahissantes provoquent des changements majeurs dans les écosystèmes d’accueil, pensons à l’introduction accidentelle de la moule zébrée dans les Grands Lacs, il y a une trentaine d’années, qui a provoqué un profond remaniement de la chaîne alimentaire dans plusieurs de ces lacs en concentrant sur leurs fonds la production biologique parfois répartie sur l’ensemble de la colonne d’eau. Bref, les bouleversements si rapides que nous imposons au milieu écologique peuvent poser des risques majeurs. Pouvons-nous nous payer une pandémie à tous les cinq ou dix ans ? Poser la question, c’est y répondre.
D’une manière plus large, pour la santé humaine, la crise écologique qui se profile est plus inquiétante qu’une pandémie. Une pandémie tue, parfois peu, parfois beaucoup, mais elle passe. Si la crise écologique se confirme, elle n’est pas là pour deux ou trois ans, mais pour au moins plusieurs générations. Et ses effets sur l’environnement, la santé humaine, l’organisation sociale et l’économie ne peuvent se mesurer au quotidien. Ils ne font pas non plus l’objet d’un point de presse journalier. Je pense à l’utilisation intensive des produits chimiques dans la production agricole et à la généralisation des OGM. Cette ingénierie agressive a pour présupposé que nous connaissons et dominons parfaitement la nature et ses processus. Or, la nature se dévoile toujours plus complexe que ce que nos modèles prédictifs prétendent saisir. Si le réchauffement climatique annoncé se réalise (en 2030 ou 2040) et que, lors des canicules, la température de grandes mégalopoles (10 à 15 millions d’habitants) monte à 45 degrés Celsius, c’est-à-dire au-delà de la résistance humaine, qui mettra la société sur pause et qui ira prendre soin des malades et où pourrons-nous trouver des maisons de fraîcheur ? Quand les gens se sauveront de la ville pour aller en forêt ou à la montagne et profiter d’un peu d’air frais, que feront les propriétaires de villas ?
Il est bien possible que la COVID-19 soit un mal pour un bien. Elle nous oblige déjà à nous poser des tas de questions que nous savions pertinentes, mais que nous voulions ne pas ni envisager ni entendre. À suivre donc.
* Cet texte est la version abrégée d’un article plus long, à lire sur le site du Centre justice et foi.