Relations septembre-octobre 2018

Céline Dubé

Une culture d’agression. Masculinités, industries du sexe, meurtres en série et de masse – Richard Poulin

Richard Poulin, professeur et chercheur retraité de l’Université d’Ottawa, est connu depuis longtemps des personnes et des groupes engagés dans les luttes contre l’exploitation sexuelle. Ses conférences récentes en Espagne, les nombreuses réactions et questions qu’elles ont suscitées ainsi que la forte mobilisation québécoise concernant les nombreux cas d’agressions sexuelles l’ont incité à poursuivre sa réflexion, ce qui a donné un nouveau livre, véritable cadeau dans le contexte actuel.

Pour décrypter la culture d’agression caractéristique de nos sociétés, l’auteur a choisi « de mettre en évidence trois domaines qui, à première vue peuvent sembler marginaux, bien qu’en fait, ils se retrouvent au cœur d’une dynamique explicative de certaines masculinités sociales » (p. 19) : la prostitution, la pornographie et le meurtre de femmes.

La première partie du livre est consacrée à la prostitution, l’une des principales industries du monde. Par exemple, en Thaïlande, celle-ci représenterait 14 % du PIB. Le tourisme sexuel et la traite à des fins d’exploitation sexuelle sont des prolongements mondialisés de cette industrie vouée au plaisir masculin et à l’appropriation du corps des femmes comme acte de pouvoir. La mondialisation des marchés et les guerres modernes ont favorisé son expansion partout dans le monde. Ainsi, le crime organisé compte sur le trafic des migrantes et la traite des femmes pour encaisser d’énormes profits. L’auteur fait aussi état des controverses et des enjeux qui entourent la prostitution et la traite des êtres humains, souvent liés à la légalisation du proxénétisme et à la réglementation adoptées dans plusieurs pays au tournant du siècle. Des études récentes, statistiques à l’appui, démontrent que la prostitution légalisée (par exemple, en Australie et dans l’État du Nevada, aux États-Unis) s’opère au détriment des personnes prostituées, en donnant une impulsion importante à l’industrie de la prostitution et, par conséquent, à la traite humaine. Par exemple, aux Pays-Bas, 80 % des personnes prostituées sont originaires de l’étranger et 70 % d’entre elles sont sans papiers.

Dans la deuxième partie du livre, l’auteur présente la pornographie comme faire-valoir sexuel pour les hommes. Celle-ci serait l’antithèse de l’acte solitaire, car elle s’inscrit dans des rapports sociaux de sexe. Une étude fouillée des codes pornographiques et de la structure de ses procédés narratifs permet de comprendre ce qui fonde l’industrie et le commerce du fantasme de la domination sexuelle. L’auteur critique aussi différentes recherches sur les effets de la pornographie, soulignant que les jeunes ont un libre accès à celle-ci : leur imaginaire est ainsi nourri de ces images dégradantes et violentes, parfois avant même leur éveil à la sexualité. De même, l’hypersexualisation des jeunes filles est promue dans les publicités et la mode, à la télé comme au cinéma, où l’on banalise le fantasme de la Lolita. Les impératifs normatifs de la beauté pèsent lourdement sur les filles et les femmes qui doivent afficher une apparence toujours jeune. « Mettre en valeur son corps pour faire plaisir aux garçons et aux hommes s’apprend tôt et, aujourd’hui, le corps des fillettes se forme en se conformant aux modèles dominants qui sont de plus en plus pornographiques » (p. 207).

Dans la troisième partie, Richard Poulin reprend l’analyse de meurtres multiples et de tueries pour comprendre des mécanismes sociaux fondamentaux. La tuerie de Polytechnique sert d’exemple pour montrer qu’il faut voir au-delà des causes individuelles (psychologiques et mentales) pour examiner les motivations profondes et la dynamique sociale qui sous-tendent de tels actes. Car la violence fait partie de l’ordre social. Plus de la moitié des meurtres de masse sont commis au sein de la famille, surtout au moment de l’annonce d’une séparation par la conjointe. Comment expliquer aussi que les femmes et des groupes minoritaires soient les principales victimes de ces tueries ? Ce qui sous-tend ces drames, c’est la domination masculine, un modèle étroitement lié au pouvoir de l’argent, à la misogynie, au sexisme et au racisme – une réalité que les médias occultent trop souvent.

En adoptant une approche construite à partir des victimes, l’auteur, qui est professeur associé à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, ouvre une perspective essentielle : « Nommer cette violence et reconnaître ses victimes, briser le silence, sont l’une des conditions pour que cette violence soit combattue » (p. 259).

 

Une culture d’agression. Masculinités, industries du sexe, meurtres en série et de masse
Richard Poulin

Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur, 2017, 259 p.

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