Relations août 2013
Un procès historique au Guatemala
L’auteure est coordonnatrice du Projet Accompagnement Québec-Guatemala
La justice pour les victimes des crimes commis durant la dictature est-elle un espoir inaccessible?
Le procès pour génocide et crimes contre l’humanité de l’ancien dictateur du Guatemala, Efraín Rios Montt, et de son chef du renseignement militaire, Rodríguez Sánchez, est historique : jamais auparavant un ancien chef d’État n’a été accusé de génocide devant un tribunal national. Il s’agit aussi d’une incroyable saga : après plusieurs rebondissements, au moment d’écrire ces lignes, le 20 mai dernier, la Cour constitutionnelle du Guatemala provoquait détresse et stupéfaction en annonçant qu’elle annulait la condamnation de Rios Montt en raison d’un vice de procédure, de même que toutes les étapes ayant suivi l’interruption temporaire du procès, le 19 avril, à cause d’un autre vice de procédure… Le 10 mai, Rios Montt avait été condamné à 80 ans de prison, soit 50 ans pour génocide et 30 ans pour crimes de guerre.
Quoi qu’il advienne, la justification du procès et les témoignages ne sont pas remis en cause. Plus d’une centaine d’experts, de témoins d’origine maya ixil et des survivants d’exactions commises durant le règne de l’ex-dictateur ont enfin pu bénéficier d’une tribune. Quatre-vingt-quatorze d’entre eux ont signalé qu’au moins un membre de leur famille avait été assassiné par les forces armées sous le règne d’Efraín Rios Montt, qui a été à la tête d’un gouvernement militaire pendant un peu plus d’un an entre 1982 et 1983. Cette période fut la plus meurtrière de la guerre civile qui a bouleversé le Guatemala de 1960 à 1996. Celle-ci a fait plus de 200 000 morts (dont 80 % étaient d’origine maya), 50 000 disparus, un million de déplacés internes et 500 000 réfugiés. Étant membre du Congrès, Rios Montt a bénéficié d’une immunité jusqu’en 2012.
Amorcé le 19 mars dernier, le procès concernait des actes perpétrés entre 1982 et 1983 dans la région ixil (département du Quiché), notamment l’assassinat de 1771 personnes maya ixil, des violences sexuelles contre les femmes ixil et le déplacement forcé de communautés – la dictature ayant pratiqué la politique de la terre brûlée. Dans une société guatémaltèque toujours très polarisée, il s’est tenu dans un contexte d’extrême tension. De nombreuses manifestations en faveur du dictateur ont été organisées par des organisations d’anciens militaires clamant qu’il n’y avait pas eu de génocide et que le procès menaçait la stabilité et la paix du pays. Des menaces et des gestes d’intimidation ont été perpétrés à l’encontre des victimes, des juges et des parties ayant porté les accusations (il y a de cela 12 ans).
La défense a utilisé plus d’une centaine d’injonctions visant à ralentir le procès et à invalider, si possible, l’ensemble de la démarche, notamment en discréditant les juges. Cette stratégie a eu comme résultat de créer de la confusion en ce qui a trait aux procédures légales, d’interrompre le bon déroulement du procès et de faire gagner du temps aux accusés (Rios Montt a 86 ans).
Le tribunal rendait néanmoins son jugement le 10 mai dernier : il acquittait Rodríguez Sánchez, arguant qu’il n’entrait pas dans ses fonctions de donner des ordres, mais il condamnait Rios Montt. La juge Yassmin Barrios a confirmé que les violences ciblant l’ethnie maya ixil s’inscrivaient dans des plans militaires visant son extermination. Elle a mentionné que le racisme institutionnel a permis de justifier ces actes et que les viols collectifs visaient à détruire le peuple à même le système reproducteur des femmes ixil. Elle a, de plus, ordonné au Ministère public d’ouvrir de nouvelles enquêtes pour faire la lumière sur d’autres crimes commis lors du conflit, afin que le pays puisse connaître une paix véritable.
Le jugement a été applaudi par les groupes de victimes au Guatemala et les organisations internationales. Dans un pays où le taux d’impunité s’élève à 98 % et où le taux d’homicide est l’un des plus élevés au monde, celles-ci voient là un signe que les institutions guatémaltèques sont aujourd’hui suffisamment solides pour rendre justice. Est-ce vraiment le cas? Souhaitons que, plus de 30 ans après les atrocités, ce procès connaisse enfin une issue à la hauteur de la persévérance et de la force exemplaires dont ont fait preuve les victimes et leur famille. Pour obtenir les dernières nouvelles du procès, consulter <paqg.org>.