Relations septembre 2001

La sexualité interdite?

Carole Lanoville

Un parti politique représentant les ­revendications des femmes serait moins une stratégie de lutte qu’une erreur stratégique du mouvement féministe

L’auteure est professeure de science politique au Collège de l’Outaouais

Bien qu’une demi-douzaine de partis féministes existent ou aient existé dans le monde – dont notamment le Parti féministe canadien (PFC) et le Parti féministe unifié (PFU) de Belgique –, aucun n’a su s’affirmer dans les institutions parlementaires. La création d’un parti féministe au Québec est une aventure bien périlleuse qui pourrait affaiblir le mouvement des femmes à long terme. D’abord, parce que les médias et le gouvernement occulteraient le mouvement des femmes au bénéfice du parti quand les questions de condition féminine surgiront; ensuite, parce que ce parti puiserait au sein du mouvement des candidates et des énergies qui ralentiraient l’action de ce dernier. Sachant que le mode de scrutin actuel exclut la prise de pouvoir et ne pourrait pas assurer une opposition significative, le choix d’un parti féministe m’apparaît trop téméraire pour que je lui ac­corde mon appui. Nous savons qu’au Québec, comme au Canada, le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour favorise le bipartisme. Ce mode de scrutin est un facteur déterminant dans la création et le maintien d’un parti politique.

Obstacles structurels

Quelle structure organisationnelle doit-on donner à un parti politique féministe qui refuse l’organisation des partis politiques traditionnels?  Dans son refus de reproduire l’organisation patriarcale des partis traditionnels canadiens (organisation hié­rarchisée avec un leader puissant), le PFC, par exemple, avait privilégié une organisation souple (comités indépendants), une prise de décision collégiale et l’absence d’une leader officielle. Face à cette situation inhabituelle, les médias torontois ont eu tôt fait de « désigner » une leader, créant ainsi une situation embarrassante… se  substituant aux mi­litantes dans le choix d’une cheffe.

Un parti politique doit par ailleurs élaborer une plate-forme électorale. Cette délicate opération peut entraîner une dilution des revendications féminis­tes afin de satisfaire divers groupes so­ciaux dont les votes sont nécessaires pour gagner des élections. Ces objectifs électoralistes peuvent cependant deve­nir des irritants pour le mouvement des femmes et provoquer une rupture. Or, ce lien organique entre un parti féministe et le mouvement des femmes est essentiel afin d’assurer la base militante du parti.

L’aspect le plus périlleux de l’exercice en cours sont les conséquences de l’existence d’un parti féministe sur le mouvement des femmes. Comment maintenir un mouvement des femmes autonome et un parti féministe puissant électoralement? Cela nous semble difficile à réaliser. Les risques d’affaiblissement du mouvement des femmes sont réels à la suite de la création d’un parti féministe.

L’annonce, par Françoise David, que ce parti féministe serait de gauche pré­sage déjà de vives tensions puisqu’au Québec, le mouvement des femmes est composé de groupes de multiples tendances, tant marxistes que réformistes-libérales. L’exemple du PFU de Belgique est à cet égard très révélateur. Pour le mouvement féministe belge, le PFU était un outil de lutte parmi d’autres et le mouvement l’a à maintes reprises défié et confronté. Les féministes marxistes lui reprochaient de ne pas être ouvertement de gauche. Les féministes réformistes avaient peur de cloisonner les femmes dans une perspective exclusivement féminine; quant aux féministes radicales, elles refusaient la lutte à l’intérieur du système patriarcal avec ses règles et sa culture. Ces relations conflictuelles entre le mouvement des femmes et le parti ont privé ce dernier de votes bien précieux.

De plus, la régionalisation entamée depuis les 15 dernières années au Québec complexifie les relations entres les organisations féministes nationales et les groupes de femmes des régions. Ces derniers ont entrepris, dans plusieurs régions du Québec, des actions très ciblées qui monopolisent l’ensemble des militantes.  La présence d’un parti fémi­niste obligerait ces groupes à faire des choix déchirants. L’idée d’un parti fémi­niste est très urbaine.

Obstacle conjoncturel

Le parti féministe du Québec devra prendre position sur la question nationale.  Les clientèles des partis politiques au Québec se sont fidélisées depuis longtemps autour de cette question. Il serait difficile pour Françoise David d’endosser une position ambiguë puisqu’elle a été membre de la Commission nationale pour le OUI en 1995. Ce choix ne pourrait que fragmenter l’électorat potentiel du parti.

Face à cet état de situation, je crois qu’un parti féministe au Québec risquerait de diviser le mouvement des femmes en s’imposant auprès des instances gouvernementales et des médias comme la référence en matière de condition féminine. De plus, devant l’impossibilité d’accéder au pouvoir (en ayant une députée, par exemple), le parti serait sans res­sources véritables pour accomplir efficacement son travail parlementaire.  Il se­rait happé par les jeux de coulisses et les alliances tacites.  Est-ce la meilleure stratégie pour les femmes?  

La sexualité interdite?

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