Relations décembre 2006
Un débat pancanadien
L’auteur est coordonnateur de la Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains à l’Entraide missionnaire
Le parlement peut-il obliger les compagnies minières canadiennes à respecter les droits humains et l’environnement à l’étranger? La question n’est pas incongrue. Elle est même débattue présentement sous toutes ses facettes à l’occasion de « tables rondes » organisées par le gouvernement à travers le pays.
Ce n’est pas d’hier que des horreurs liées aux activités d’entreprises minières font les manchettes : déversements toxiques, déplacements de villages, répression des opposants… les exemples se multiplient en même temps que les promesses d’autorégulation de l’industrie. Et c’est loin d’être terminé! La course aux dernières réserves de minerais encore inexploitées sur la planète accroît toujours plus la compétition entre entreprises minières et populations locales pour l’accès à des biens de plus en plus rares : l’eau, l’air, la terre…
Depuis une décennie, la plupart des pays industrialisés ont été secoués par de tels scandales. De manière inédite, cependant, il n’y a qu’au Canada où des parlementaires se sont saisis du problème et ont réclamé du gouvernement des actions concrètes : en juin 2005, après de longues audiences sur la responsabilité sociale des entreprises minières dans les pays en développement, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, à l’unanimité de ses membres, a adressé 10 recommandations au gouvernement Martin. Les quatre principales ont résonné comme un coup de tonnerre dans certains ministères : organiser un débat entre représentants de l’industrie, de la société civile, des autochtones ainsi que des experts, pour amender les politiques en vigueur. Conditionner l’aide financière gouvernementale pour le développement d’activités à l’étranger au respect de normes précises sur la responsabilité sociale des entreprises. Mettre en place des mécanismes efficaces de surveillance des activités des minières dans les pays en développement. Et surtout, établir des normes juridiques claires sur le respect des droits de la personne et de l’environnement, sur lesquelles les entreprises canadiennes devront rendre compte.
Quelques données fournies par le gouvernement aident à saisir la commotion causée par ces recommandations : 60 % des entreprises d’exploration et d’exploitation minière dans le monde sont inscrites au Canada, ce qui fait des bourses canadiennes les plus importantes sources de capital de risque au monde. Ces firmes contribuent pour 40 % aux budgets mondiaux de l’exploration minière et possèdent des intérêts dans 3200 projets miniers, dont plus de 600 en Afrique. Les enjeux sont majeurs!
En octobre 2005, le gouvernement a répondu point par point aux recommandations du comité. Une réponse politique et technique documentée qui explique pourquoi le Canada ne pourrait pas et ne devrait pas se démarquer en la matière. Très sommairement, les principaux arguments sont les suivants : dans le contexte de mondialisation, le Canada ne peut agir unilatéralement; imposer un cadre réglementaire aux entreprises les ferait fuir vers des lieux moins exigeants. Choisir des normes et des modes d’évaluation parmi les multiples propositions avancées actuellement et pour lesquelles aucun consensus ne se dessine serait contre-productif. Le Canada ne peut légiférer pour des actions commises hors de son territoire. Il revient aux pays hôtes d’adopter et de faire respecter ces lois; au mieux, l’aide canadienne peut soutenir l’accroissement des compétences de bonne gouvernance dans ces pays. La réponse gouvernementale, par contre, développe longuement et encourage le recours juridique, au civil notamment, pour les individus ou les groupes qui se sentent lésés.
Chacun de ces arguments peut être contredit et l’a été lors des premières tables rondes. Mais pendant que les discussions pointues sur l’application du droit international, des normes et des mécanismes d’évaluation ont cours, la question de fond des parlementaires risque d’être reléguée aux oubliettes. Dans les pays en développement, pauvres et endettés pour la plupart, l’exploitation minière profite avant tout aux entreprises étrangères. Les codes d’investissement et les règlements miniers de ces pays, adoptés selon un modèle identique sous la pression des institutions financières internationales, le permettent et même, le garantissent. Quelle part de responsabilité revient au gouvernement du Canada qui, d’un côté, soutient « ses » entreprises dans ces mêmes pays et de l’autre, proclame sa participation à la lutte contre la pauvreté et au respect des droits?
Le gouvernement organise depuis juin dernier une série de tables rondes pour recevoir « des recommandations sur les moyens de renforcer les démarches de gestion des répercussions externes des activités commerciales internationales ». Un espace public y a été aménagé pour prendre le pouls de la population. Des groupes issus de la société civile canadienne ont créé le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises et, au Québec, la Coalition sur les mines formée d’organismes de coopération internationale, d’associations de solidarité et de défense des droits entend faire valoir le point de vue, peu présent, des populations directement touchées.