Relations juillet-août 2016

À qui la terre? - Accaparements, dépossession, résistances

Élise Lepage

Sol Ciel Ciels Sols – Andrée Lacelle

La rétrospective complète de l’œuvre poétique d’Andrée Lacelle, poète de première importance dans la littérature franco-ontarienne, est à souligner. Son recueil Tant de vie s’égare, paru en 1994, lui a valu d’être la première récipiendaire du prestigieux prix Trillium l’année suivante et finaliste aux prix du Gouverneur général du Canada. Son œuvre compte huit recueils à ce jour, ainsi que de nombreux textes publiés dans des revues. Depuis quelques années, elle est également invitée à bon nombre d’événements poétiques d’envergure internationale (Québec, Belgique, France et Bénin, entre autres). Ces multiples engagements en faveur de la poésie de langue française ont culminé en 2012 avec la parution de Pas d’ici, pas d’ailleurs. Une anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines, publiée en collaboration avec Sabine Huynh, Angèle Paoli et Aurélie Tourniaire aux Éditions Voix d’encre.
 
Sol Ciel Ciels Sols paraît dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque canadienne-française, à l’égal des rétrospectives déjà réalisées pour le poète franco-ontarien Patrice Desbiens ou les Acadiens Gérald Leblanc et Rose Després. Un tel ouvrage a un côté monumental : le volume est imposant, sa facture extrêmement soignée. Les poèmes sont précédés d’une préface d’une grande justesse, signée par François Paré, un lecteur de longue date de l’œuvre de Lacelle. Une sélection de jugements critiques sur les recueils, de même qu’une chronologie de la vie de l’auteure, une bibliographie complète et une photo d’enfance prise dans sa ville natale de Hawkesbury, dans l’Est ontarien, au début des années 1950, renforcent cette impression. Pourtant, l’image du monument ne correspond nullement à la poétique de Lacelle, traversée plutôt par la figure de la voyageuse. En couverture, l’image du chemin à demi effacé qui se faufile dans un désert pierreux et sur lequel on devine, au loin, une personne en marche vers l’horizon, cherche à rétablir la vérité – toujours évanescente – de cette œuvre. Cette photographie de Marie-Jeanne Musiol offre aussi un miroir presque parfait au titre qui la surmonte, lui-même miroir : Sol Ciel Ciels Sols.
 
L’ouvrage rassemble l’essentiel des textes de Lacelle, soit ses huit recueils publiés entre 1979 et 2011. Le travail de réédition est de la plus grande fidélité à l’original : tous les poèmes, épigraphes et dédicaces sont repris intégralement et sans le moindre changement. Cette approche est d’autant plus précieuse que les livres de poésie franco-ontarienne n’étant souvent publiés qu’à faible tirage, cette réédition assure la pérennité de textes importants dont certains sont déjà difficiles à se procurer. Le seul changement notable concerne l’iconographie. Plusieurs recueils parus aux éditions Vermillon accueillaient dans leurs pages des œuvres visuelles d’artistes tout à fait remarquables. Avant cela, le recueil Coïncidence secrète incorporait déjà des dessins. De façon compréhensible, une rétrospective ne peut reprendre le même procédé. Il en résulte un face à face entier avec le texte, fruit « d’une grande fidélité intellectuelle » (p. 8), ainsi que le souligne François Paré.
 
Sans jamais inscrire son appartenance franco-ontarienne dans le texte – « avant le pays / nos âmes » (p. 209) –, la poésie de Lacelle affirme le cheminement d’une figure féminine exemplaire, forte de tous ses doutes, et qui avance dans sa quête tout en ne perdant jamais du regard « l’arbre de [s]on enfance / plus haut que les autres » (p. 201). Énergie, chute, excès, tourbillon de couleurs chaudes, mémoire, peur et dialogue se répondent d’une page à l’autre. Un seul vers de Tant de vie s’égare suffirait pour évoquer l’ampleur et la densité de ce très beau livre : « ici gît trace pénétrante de l’esprit » (p. 135) ; mais à son côté trop définitif, on préfèrera une question de La lumière et l’heure, plus fidèle à l’esprit de l’œuvre : « sommes-nous à jamais des nomades du cœur ? » (p. 343).

Andrée Lacelle
Sol Ciel Ciels Sols
Sudbury, Prises de parole, 2015, 448 p.

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