Relations novembre 2013

Politique municipale: sortir du cul-de-sac

Sandra Breux

À quoi servent les partis politiques municipaux?

L’auteure est professeure-chercheuse à l’Institut national de recherche scientifique – Centre Urbanisation Culture et Société (INRS-UCS)

Les différents scandales, arrestations et révélations des derniers mois ont terni l’image de la scène politique municipale québécoise. Les partis politiques municipaux n’ont pas échappé à ces tourments : parfois accusés d’avoir favorisé la corruption et le délitement du système représentatif, le débat sur leur utilité – récurrent en Amérique du Nord – a refait surface.
 
Contrairement à ce que l’on observe dans un grand nombre de pays européens, au Canada, les partis politiques municipaux sont peu nombreux et n’ont pas de lien direct avec les formations partisanes des autres niveaux de gouvernement. Le Québec est toutefois la seule province qui dispose d’une loi encadrant les partis politiques (Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, adoptée en 1978) dans les 178 municipalités de 5000 habitants et plus[1], qui représentent environ 15 % des municipalités de la province. Ces dernières regroupent cependant près de 77 % de la population québécoise, selon les données du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire. Aux élections de 2009, on y dénombrait 171 formations partisanes. Les partis politiques constituent donc une réalité non négligeable du paysage politique municipal québécois.
 
À quoi servent donc ces formations politiques et pourquoi leur présence est-elle remise en question dans le contexte de crise de confiance actuel? Sans prétendre à l’exhaustivité, trois réponses générales peuvent être avancées.
 
Premièrement, les partis politiques demeurent d’abord et avant tout des vecteurs d’information, qui contribuent à diffuser et à teinter les enjeux d’une campagne électorale. Leur présence favorise également l’existence d’une opposition, permettant de diversifier l’offre électorale. Ce rôle est primordial, car la scène municipale québécoise, à l’instar de la scène municipale nord-américaine, se caractérise par la faible lisibilité des enjeux qui la composent. Autrement dit, en l’absence de formations politiques, il est très difficile pour un électeur d’obtenir de l’information suffisante et pertinente pour juger le mandat des candidats sortants. Cela peut engendrer un frein à la participation électorale (alors que la mobilisation pour le scrutin municipal est déjà faible en comparaison avec les autres niveaux de gouvernement) et peut également entraîner la réélection des candidats sortants, favorisant leur maintien au pouvoir pendant plusieurs mandats. Pour certains cependant, les partis politiques n’ont pas leur place à cette échelle de gouvernement. Celle-ci ne serait pas le lieu adéquat pour débattre d’enjeux sociaux ou de valeurs en raison du caractère technique des décisions à prendre. Cet argument manque cependant de solidité : les municipalités débattent en effet constamment de la façon dont elles doivent se construire et se développer; elles font face à des choix qui sont tout aussi idéologiques que le sont les débats à l’échelle nationale.
 
Deuxièmement, les partis politiques municipaux soutiennent les candidats dans l’organisation de la campagne électorale, notamment en leur offrant de plus amples moyens humains, matériels et financiers. Cette réalité est particulièrement importante dans les grandes villes, où le candidat est confronté entre autres à deux défis majeurs : se faire connaître des électeurs et faire sortir le vote. En d’autres termes, en milieu urbain, concourir à un poste électif en tant qu’indépendant limite grandement les chances d’être connu des électeurs et de recueillir des voix, d’autant qu’un candidat indépendant doit souvent financer lui-même sa campagne électorale. Certes, les révélations suscitées par le travail de la commission Charbonneau ont jeté un doute sur les raisons d’être des partis politiques municipaux, eu égard au financement des campagnes électorales. Ces divulgations ont toutefois davantage souligné la nécessité de repenser le financement des partis politiques municipaux aujourd’hui que leur rôle à proprement parler.
 
Enfin, les partis assurent un renouvellement récurrent de la classe politique. Sans formations politiques, l’accès au statut de candidat serait encore plus difficile tant pour les femmes et les membres des communautés ethnoculturelles que pour ceux qui ne peuvent financer par eux-mêmes leur campagne électorale. Et si la représentativité contemporaine de la classe politique municipale est loin d’être parfaite, il y a fort à parier qu’elle serait encore moindre sans le recrutement qu’opèrent les partis politiques.
 
La présence de partis politiques municipaux constitue donc une force de la scène municipale québécoise. Cela ne veut toutefois pas dire que ces formations ne sont pas perfectibles. Leur durée de vie est souvent courte et leur maintien entre les campagnes électorales parfois difficile. Elles tendent également à être trop centrées autour de leur chef et à diluer les repères qu’elles sont censées offrir aux électeurs, notamment en adoptant des noms souvent semblables (Projet Montréal, Vision Montréal, Union Montréal, etc.). De plus, les allégeances des élus sont parfois brèves, effritant l’assise de ces regroupements. Ce n’est donc pas tant l’utilité des partis politiques qu’il convient de remettre en question, mais plutôt leur nature, leur fonctionnement et leur financement, afin de ne pas accroître le cynisme ambiant à leur égard.

 


[1] Dans les municipalités de moins de 5000 personnes, les candidats ne peuvent pas former de partis politiques mais peuvent se regrouper en équipes reconnues. Ces dernières ne sont toutefois pas soumises aux règles sur le financement et les dépenses électorales, contrairement aux partis présents dans les villes de 5000 habitants et plus.

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