Relations mai 2007
Quand l’Afrique s’ouvre à un autre monde possible
L’auteur est étudiant à la maîtrise à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal
À Nairobi, du 20 au 25 janvier 2007, s’est tenu le septième Forum social mondial qui a regroupé 57 000 personnes issues des cinq continents – dont plus de la moitié d’Afrique.
L’expérience du Forum social mondial (FSM), c’est d’abord de « sentir » l’autre monde possible et même l’urgence de sa réalisation grâce à des manifestations culturelles et aux quelques centaines d’ateliers où chacun martèle à sa façon « There are many alternatives! » Croire en cet autre monde n’est pas un délire, mais plutôt un acte de courage que des milliers de personnes de tous les milieux, sur le terrain comme dans les universités, les ONG, les syndicats, les groupes politiques, les partenaires onusiens, les médias et les Églises posent chaque jour. Le fatalisme est trop facile et se laisser aller « à ses pantoufles » – parce qu’en tant que privilégiés de ce monde, la plupart des Occidentaux ont le choix de l’inaction – serait une insulte à tous ceux et celles qui luttent dans des conditions atroces (répression policière, famine, conflits armés, etc.). Ainsi, le FSM permet de toucher les racines d’un autre monde et de reconnaître la force de l’arbre altermondialiste et ses multiples rameaux en croissance.
Le Forum de Nairobi a accordé une place de choix aux préoccupations et aux enjeux africains, en tâchant d’articuler réflexion et stratégie d’intervention. Voici quelques exemples : le problème de l’eau et de sa distribution, le fondamentalisme religieux et les moyens de le contrer, le VIH-sida, la libéralisation du marché du travail et les conditions de vie des femmes en Afrique, les conflits armés et les réfugiés, la militarisation et ses effets, le Sahara occidental – dernière colonie africaine sous autorité marocaine – l’université africaine à l’heure de la mondialisation, les spiritualités africaines et leur apport à la décolonisation des esprits, le processus de réconciliation au Rwanda, le commerce équitable dans une perspective africaine, l’impact déstructurant des OGM sur l’agriculture et les agriculteurs en Afrique, etc. Ces ateliers et de nombreuses rencontres ont permis de mieux découvrir l’extraordinaire pluralité kenyane, un État composé de quarante-deux communautés culturelles avec chacune sa langue, sa culture et sa spiritualité propres.
Si le FSM a été pour plusieurs un lieu de découverte, de partage et de redécouverte du courage nécessaire à un véritable changement, force est de reconnaître qu’il n’est pas parfait. La diversité qui fait sa force constitue aussi sa plus grande faiblesse : plutôt que d’entrevoir la complexité du monde actuel et l’interrelation des problématiques, trop souvent les personnes militantes cherchent uniquement à faire connaître au plus grand nombre possible leur cause et à recruter de nouveaux membres. Ce faisant, elles reproduisent la concurrence de l’économie de marché que beaucoup d’entre elles dénoncent. De même, le discours employé par plusieurs altermondistes est souvent belliqueux. Bien que le FSM soit pour beaucoup un lieu de catharsis où ils peuvent exprimer leur colère et leur sentiment d’impuissance face à l’empire, diaboliser George W. Bush ne règle rien : au contraire, c’est l’imiter et reproduire sa violence.
Enfin, le plus grand défi pour le FSM, à mon avis, n’est pas de produire une déclaration finale commune, mais d’en arriver à gagner plus de crédibilité sur le plan international en faisant découvrir la profondeur et l’exactitude de son regard sur le monde : non seulement des mouvements de base de partout étaient présents, mais aussi des membres de différentes élites politiques, religieuses et intellectuelles (on n’a qu’à penser à Ricardo Petrella, Mgr Desmund Tutu, Nelson Mandela et Kenneth Kaunda par exemple). À ce titre, la couverture médiatique québécoise a été des plus décevantes, pour ne pas dire arrogante par son fatalisme (« le mouvement s’essouffle » dit-on) qui juge sans connaître ni le FSM, ni la réalité africaine.
Cela dit, l’important est que ce Forum social ait eu lieu en terre d’Afrique et qu’il ait permis une mobilisation nouvelle de la société civile, particulièrement de plusieurs groupes kenyans qui jusque-là vivaient dans l’ombre (notamment les gays et lesbiennes). Grâce à ce Forum, l’Afrique a réaffirmé sa place dans le grand concert d’un autre monde possible, non comme un continent à sauver, mais comme une pluralité d’interlocuteurs dont il faut apprendre.