Relations mai-juin 2018
Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle – Mona Eltahawy
L’auteure, Mona Eltahawy, est une féministe musulmane et journaliste égypto-américaine. Née en Égypte, elle a grandi au Royaume-Uni et en Arabie saoudite. Elle vit aujourd’hui entre New York et Le Caire. Son livre est le fruit de son engagement féministe depuis son tout jeune âge, notamment de son expérience comme jeune fille voilée et des agressions sexuelles dont elle a été victime, entre autres en Arabie saoudite et en Égypte sur la place Tahrir durant le printemps arabe.
Bien que les idées de l’auteure ne soient pas les mieux organisées, on peut dire qu’elle s’attarde principalement au contrôle du corps et de la sexualité des femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Plus que toute autre pratique, ce sont le harcèlement sexuel, le port du voile et la préservation de la virginité qui symbolisent la domination masculine de ces femmes selon elle. Eltahawy remet en cause cette domination légitimée par une « culture de pureté » entourant le corps féminin et caractérisant les pratiques hostiles aux femmes.
La dédicace à toutes les filles du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord donne le ton de l’ouvrage : l’auteure les invite à être impudiques, rebelles et désobéissantes puisqu’elles méritent d’être libres. Tout au long du livre, Eltahawy démontre que les femmes dans ces pays sont sexuellement frustrées et socialement opprimées, tout simplement parce qu’elles ne jouissent pas de leurs droits fondamentaux. Longue est la liste des violences qu’elle dénonce : violences sexuelles dans la rue comme au foyer, violences conjugales pouvant aller jusqu’à l’assassinat, viols qui sont peu ou pas punis, mutilations génitales, mariages précoces et souvent forcés, imposition du port du voile, etc. Pour elle, ces maltraitances sont infligées par des hommes obsédés par les organes génitaux féminins qu’ils ne parviennent pas à contrôler.
Pour illustrer plus en détail sa logique, il vaut la peine de s’arrêter sur le cas particulier du harcèlement sexuel. Pour l’auteure, il s’agit d’un phénomène alimenté par la misogynie d’État et par celle de la rue. Elle explique la misogynie d’État par l’absence de sanctions à l’égard des agresseurs sexuels dans certains pays. Cette absence de protection juridique envoie aux hommes le message que, dans l’espace public, le corps des femmes leur appartient. Plus encore, des interprétations des textes religieux favorisent cette compréhension en donnant plein pouvoir aux hommes sur la vie des femmes. D’où la nécessité de mener une révolution sociale et sexuelle qui garantisse tant l’intégrité physique que civique des femmes. Pour l’auteure, cette révolution féministe commence lorsque les femmes acceptent de se libérer des traditions, du bagage culturel et des normes religieuses qui les confinent dans les rôles d’épouse et de mère. Ceci implique aussi d’explorer leur sexualité avant le mariage.
Pour le formuler en contexte égyptien, Eltahawy explique que plusieurs femmes ont participé à la révolution de 2011 dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie. Or, bien que ces militantes aient combattu aux côtés des hommes pour renverser le régime autoritaire de Moubarak, plusieurs d’entre elles ont subi des agressions sexuelles aux mains de militants comme de soldats. L’auteure explique d’ailleurs qu’après la démission de Moubarak, des soldats qui voulaient protéger la révolution ont battu, fouillé et forcé des militantes à se soumettre à des « tests de virginité » sous menace d’être inculpées pour prostitution. Autrement dit, ces « protecteurs de la révolution » se sont permis d’introduire leurs doigts dans le vagin des militantes pour vérifier si leur hymen était toujours intact et ainsi éviter que l’armée ne puisse être accusée de viol. En somme, ces violences visaient fondamentalement à repousser ces femmes de l’espace public afin qu’elles retournent au foyer. C’est donc dire qu’elles ont été doublement flouées : non seulement elles n’ont pas gagné les droits fondamentaux qu’elles revendiquaient, mais elles ont perdu le faible sentiment de sécurité qu’elles avaient. C’est pourquoi Eltahawy les invite de nouveau à se révolter.
On comprendra que ce livre est écrit avec colère, dans un style oral, provocateur et parfois difficile à suivre. On peut émettre deux critiques de fond à son égard. La première concerne l’articulation des idées et le choix des sources pour soutenir son propos. L’auteure alterne, de façon pas toujours convaincante, les statistiques et les récits personnels de violences subies par certaines amies, collègues ou autres femmes interviewées et rassemblées pour soutenir ce qu’elle défend. Malheureusement, le montage n’est pas toujours des plus clairs.
Deuxièmement, elle reproche à toutes les sociétés arabes et musulmanes les mêmes travers : structure patriarcale, misogynie omniprésente et obsession pathologique pour la virginité et le voile. Il est pourtant acquis que, bien qu’elles aient des points en commun, ces sociétés sont culturellement, linguistiquement et politiquement différentes. Ainsi, le Maroc et la Tunisie, qui sont pourtant deux pays du Maghreb, ne partagent ni la même structure étatique, ni le même rapport à l’islam, et sont à plus forte raison difficilement comparables au Liban ou à l’Arabie saoudite. Plus encore, la liberté peut prendre différents sens selon les cultures et les individus : exporter une vision étroite de la révolution féministe occidentale, c’est-à-dire essentiellement une libération sexuelle, n’est pas toujours la meilleure solution.
Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle
Mona Eltahawy
Traduit de l’américain par Carla Lavaste et Alison Jacquet-Robert
Paris, Édition Pocket, 2017, 244 p.