Relations Printemps 2023 / Débat

Les politiques d’EDI : promotion de la diversité ou reconnaissance de façade ?

L’engouement récent des organismes publics et de l’entreprise privée pour les « politiques d’EDI », ces pratiques de gestion interne qui visent à promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion au sein des organisations, doit-il nous réjouir ou nous inquiéter ? Après tout, reconnaître par ce moyen l’apport de personnes historiquement marginalisées n’est-il pas une bonne chose ? Cependant, ces politiques comportent aussi leurs côtés sombres, dont la place souvent négligeable laissée aux personnes concernées lors de leur conception et de leur mise en œuvre, avec le danger de perdre de vue le caractère systémique des enjeux d’exclusion sociale. Ainsi, d’aucuns se demandent : faut-il y voir une récupération des luttes antiracistes, LGBTQ+, féministes, etc., ou une réelle occasion de transformation sociale ? Nos auteur.es invité.es en débattent.

L’auteur est professeur adjoint à l’École Providence de leadership transformatif et spiritualité de l’Université Saint-Paul, à Ottawa

Si la gestion de la diversité — et sa transmutation récente en politiques d’« équité, diversité et inclusion » (EDI) — est sujette à débat depuis 30 ans dans le monde anglo-saxon, force est de reconnaître qu’il s’agit d’une tendance plutôt récente au Québec. À preuve, il y a à peine 20 ans, au moment de l’adoption de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics, il n’était pas question de diversité et d’inclusion, mais bien de groupes victimes de discrimination et d’accès à l’égalité. Que penser de ce changement de terminologie ? Est-ce une bonne nouvelle ? Oui et non. 

LES DEUX CÔTÉS DE LA MÉDAILLE

D’un côté, on dira que non, parce que l’esprit et la terminologie associés aux pratiques d’EDI nous éloignent d’un programme politique de lutte contre les discriminations dans lequel l’État pourrait contraindre l’action des organisations au profit d’une approche qui laisse à chacune le soin de décider ce qu’elle veut faire ou non en la matière. Rappelons à cet égard que l’émergence de la gestion de la diversité (diversity management) dans le monde des affaires étasunien, à la fin des années 1980, se voulait tant une manière de reconnaître des groupes marginalisés jusque-là ignorés (dont les minorités sexuelles) qu’une tentative de célébrer leurs différences et d’en tirer profit. D’un point de vue antiraciste, une telle transition est assez peu enthousiasmante : passer d’une lutte affirmée contre les discriminations du type affirmative action à un plaidoyer instrumental en faveur de la diversité semble plutôt relever du recul.

D’un autre côté, on dira que l’EDI, grâce à un discours moins radical, a contribué à une prise de conscience chez les décideuses et décideurs de l’importance de rechercher une main-d’œuvre diversifiée puis de s’adapter à elle. L’EDI a ainsi contribué à normaliser l’idée que la diversité encourage la créativité et l’innovation, qu’elle permet d’élargir le bassin de candidatures potentielles pour un poste, voire qu’elle permet de développer de nouveaux marchés et de nouvelles sources de croissance économique.

Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs fait sien un tel argumentaire depuis son accession au pouvoir en 2015. En témoignent, par exemple, le virage entrepris en 2016 par le Secrétariat aux chaires de recherche du Canada afin de contraindre la nomination de personnes plus représentatives de la population canadienne à ces postes prestigieux ; l’engagement en 2018 des organismes subventionnaires universitaires à tenir compte de l’EDI dans l’octroi de fonds de recherche[1] ; ou encore, l’amendement apporté en 2019 à la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour obliger celles-ci à faire rapport à leurs actionnaires de la présence de groupes sous-représentés au sein de leur conseil d’administration et de leur haute direction.


REGARD CRITIQUE SUR LA CRITIQUE

Mais est-ce suffisant ? Ne seraient-ce pas plutôt de simples exemples de « diversity washing », d’« equity washing » ou même de « woke washing » ? Il n’est pas rare que les engagements pris relèvent davantage de l’activisme performatif que du désir d’un changement à long terme des comportements, des politiques et de la culture organisationnelle. Les discours creux et la diversité de façade engendrent alors, et avec raison, un certain cynisme chez les principales personnes concernées. Mais ce n’est qu’une partie de la réalité. Personnellement, je vois plutôt l’EDI comme une ruse, voire comme une arme secrète dont les membres de la majorité n’ont pas saisi encore toute la portée subversive. Deux raisons m’amènent à voir les choses ainsi.

La première est que les mots ont leur poids et que le sens de concepts comme ceux d’équité et d’inclusion n’a rien de banal. Le fait de mettre en place des politiques visant l’équité suppose que l’on reconnaît l’existence de barrières systémiques qui défavorisent certains groupes et, conséquemment, que la méritocratie n’existe pas. Cela nous oblige à revoir nos manières de faire (notamment en matière d’embauche et de promotion), pour assurer une égalité réelle des chances. La notion d’inclusion, pour sa part, consiste à reconnaître à chaque personne le droit d’être entièrement elle-même au travail, aux études ou dans ses interactions avec des organismes publics ou des entreprises. Ce n’est donc ni l’intégration, ni l’assimilation, mais une manière de concevoir le pluralisme à partir d’un projet commun où le droit à la différence est pris au sérieux. En un sens, l’adoption d’énoncés d’EDI avec fanfares et trompettes peut servir de levier aux personnes discriminées et à leurs allié.es pour obliger les dirigeants et dirigeantes à joindre le geste aux belles paroles.

Mais au-delà des mots, l’argument le plus convaincant à mes yeux est que de nombreuses personnes racisées se sont réapproprié le paradigme EDI et tâchent d’en faire un réel instrument de changement. Que ce soit en tant que mentores, responsables de la diversité au sein d’organisations, consultantes, membres de groupes d’affinité ou d’un comité-conseil en EDI, elles contribuent à rendre visible des discriminations et des microagressions qui ne l’étaient peut-être pas auparavant. Dans ce sens, l’EDI peut très bien servir de levier pour poursuivre au sein des organisations les discussions amorcées par les mouvements sociaux (Black Lives Matter, #MoiAussi, etc.), y compris au sujet du racisme systémique. L’essentiel n’est donc pas de savoir si les politiques d’EDI constituent un recul ou une avancée, mais de pouvoir en tirer parti pour atteindre les avancées que nous souhaitons.


[1] Sur le cas particulier des universités, voir : M. Séguin, « The Changing Diversity and Inclusion Landscape of Canadian Universities : Lessons from the Université de Montréal Case », dans Joan Marques et Satinder Dhiman, Leading With Diversity, Equity and Inclusion. Approaches, Practices and Cases for Integral Leadership Strategy, New York, Springer Cham, 2022, p. 341-355.


Lisez l’autre point de vue de ce débat :

L’approche EDI ne doit pas être instrumentalisée au service d’une « diversité de façade »
par Samantha Lopez Uri

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Share via
Send this to a friend