Relations mai-juin 2018
Minières canadiennes : enfin un contrôle ?
L’auteure, doctorante en sociologie à l’Université d’Ottawa, a travaillé près de dix ans dans des ONG préoccupées par les impacts socio-environnementaux des compagnies extractives.
La création d’un poste d’ombudsman pour surveiller les entreprises canadiennes à l’étranger survient après plus d’une décennie de pression de la part de la société civile.
Le Canada est le pays qui compte le plus d’entreprises minières dans le monde. Or, à l’étranger, l’industrie minière canadienne est associée à un nombre sans cesse croissant d’abus et de violations de droits : contaminations environnementales, pratiques antisyndicales, évictions de communautés, intimidation, travail forcé, viols et assassinats ciblés de leaders communautaires, entre autres. Seulement en Amérique latine, le Projet justice et responsabilité corporative de l’École de droit de l’Université York a rapporté, entre 2000 et 2015, des incidents impliquant 28 compagnies canadiennes et ayant fait 44 morts, 403 blessés et plus de 700 cas de « criminalisation », incluant des mandats d’arrestation et des détentions ciblant des personnes critiques des activités extractives.
Quelle est la source du problème ? D’abord, de nombreux pays concernés sont caractérisés par d’importants degrés de corruption et d’impunité, ce qui rend trop souvent impossible la tenue d’un procès juste et équitable pour les victimes d’abus. Un autre problème est celui du rapport de force extrêmement inégal. On a, d’un côté, les victimes – des paysans ou des travailleurs et travailleuses précaires, par exemple –, qui se trouvent souvent en contexte de survie économique et réclament justice et réparations grâce à l’appui d’ONG ; de l’autre, on retrouve les entreprises minières, dont plusieurs comptent sur des moyens financiers colossaux et, de surcroît, sur le soutien du gouvernement du Canada. En plus des enjeux économiques et linguistiques qui complexifient leurs démarches, plusieurs victimes qui choisissent de porter plainte devant les tribunaux canadiens voient leur cause rejetée, les juges arguant que la compétence pour se prononcer relève de tribunaux d’États autres que le Canada.
Les ONG ont ainsi longtemps décrié l’absence de mécanismes de reddition de comptes de même que le caractère strictement volontaire de la stratégie en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) développée en 2009 sous le gouvernement de Stephen Harper. En réponse à ces critiques, le ministre fédéral du Commerce international, François-Philippe Champagne, a enfin donné suite, le 17 janvier 2018, à la demande de la société civile de créer le poste d’ombudsman pour surveiller les activités à l’international des industries extractives canadiennes.
Comme l’indique Affaires mondiales Canada, « l’ombudsman aura pour principal mandat d’enquêter de façon indépendante sur les allégations d’atteintes aux droits de la personne découlant des activités d’une entreprise canadienne à l’étranger ». Son mandat inclut aussi le secteur du textile et devrait s’étendre à d’autres secteurs au cours de l’année suivant son entrée en fonction. Il prévoit la résolution de conflits, la recommandation de mesures (dédommagements, changements à la politique de l’entreprise, excuses, etc.) et, si nécessaire, le pouvoir de recommander au gouvernement canadien de retirer son soutien à une entreprise et de modifier sa politique. Un rapport des agissements fautifs sera rendu public. Le gouvernement mettra aussi sur pied un organisme consultatif multipartite composé de membres de la société civile et de l’industrie pour le conseiller sur l’élaboration et la mise en œuvre de lois, politiques et pratiques.
La création de ce poste fut saluée par plusieurs organisations de la société civile et même par l’Association minière du Canada, ainsi que par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui qualifia l’initiative de première mondiale.
Le 27 février dernier, le National Observer a indiqué que le gouvernement Trudeau accordera 6,8 millions de dollars sur 6 ans à l’ombudsman. Bien que cela représente le double du budget dont bénéficiait le bureau du conseiller en RSE, il y a lieu de craindre que l’ombudsman ne soit pas en mesure de remplir le large mandat qui lui a été confié, puisqu’il devra recevoir les plaintes liées non seulement au secteur extractif, mais également à d’autres secteurs. Par ailleurs, étant donné le caractère extraterritorial des activités minières, les frais de déplacement, les services de traduction et autres frais de fonctionnement nécessaires risquent de rapidement dépasser le budget attribué.
Relevons par ailleurs que la politique extractive actuelle du Canada ne change pas d’un iota : certes, on fait désormais la promotion d’un modèle de pratique entrepreneuriale « responsable », qu’on disséminera dans les ambassades et les organes gouvernementaux, mais on maintient du même coup un discours misant sur le « renforcement de la capacité de gouvernance » des pays hôtes et de croissance économique « verte inclusive », et ce, pour permettre que le développement extractiviste s’opère sans limites. S’agit-il donc de veiller au respect des droits humains ou d’assurer le plein potentiel extractif en s’attaquant à son image négative, découlant de violations de droits bien réelles ?
Autant le dire : les attentes sont énormes. La création du poste d’ombudsman est en soi une bonne nouvelle, mais il reste à voir quel traitement sera accordé aux premières plaintes. Ce sont les résultats qui permettront de juger de l’efficacité réelle de ce mécanisme pour les victimes.