Relations août 2010
Michel Chartrand : prophète de notre temps
L’auteur est coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations, un volet de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l’UQAM
Il s’est révélé un critique sans compromis des pouvoirs, au nom des exploités. Ses paroles ont été des leviers pour lancer des notes d’espoir pour l’avenir.
Tout a déjà été dit, ou presque, au sujet de Michel Chartrand, mais un qualificatif ressort : il a été un prophète, au sens biblique du terme. En effet, il mérite ce titre en raison de son engagement sans relâche dans le syndicalisme de combat et les luttes sociales, dont la promotion des droits des locataires et des accidentés du travail. À cet égard, il a créé, dans les années 1980, la Fondation pour l’aide aux travailleurs et travailleuses accidentés (FATA). Ardent promoteur du coopératisme, il a aussi présidé la Caisse populaire de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), sans oublier son engagement indéfectible au plan de la solidarité internationale (Centre international de solidarité ouvrière, Québec-Chili, Québec-Palestine, etc.).
Michel Chartrand s’est distingué comme un infatigable militant politique. « Tout est politique », répétait-il. Nationaliste souverainiste et socialiste, il a d’abord affronté le régime de Maurice Duplessis, dans les années 1950, et tenu tête au gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, dans les années 1970-1980. Révolutionnaire souvent cloué au pilori par les différents tenants du pouvoir, il n’hésita jamais à démasquer les pharisiens et vendeurs du temple de l’économie, les banquiers et les spéculateurs financiers, et à dénoncer la vilenie de leurs promesses de paradis dorés. Pour lui, « créer la richesse » ne signifiait pas favoriser l’accumulation égoïste de grandes fortunes supposées générer des retombées bénéfiques pour l’ensemble de la population; au contraire, cela réclamait des politiques sociales équitables, un revenu minimum garanti et plus de droits sociaux pour les plus démunis.
Tout comme Martin Luther King et Nelson Mandela, Michel Chartrand n’a jamais hésité à mettre sa faconde au service de la recherche de la justice avec l’énergie vigoureuse d’un porte-étendard passionné par l’espoir d’un monde meilleur. Inspiré par les paroles évangéliques « aimez-vous les uns les autres », il les traduisait par un mot d’ordre politique : tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Son agir se fondait sur un jugement moral élevé et un niveau aigu de conscience critique au sens où Paulo Freire l’entendait, à savoir une solide capacité d’analyse et de lutte afin de changer les mentalités et les structures sociales opprimantes. En ce sens, sa parole et ses actions n’ont jamais trahi ses principes.
Sa principale force – son verbe – correspond à ce qu’on comprend d’un prophète. Ésaïe, prophète biblique, illustre bien la force de la parole publique : « Malheur! Nation pécheresse, peuple chargé de crimes, race de malfaisants, fils corrompus, […] apprenez à faire le bien, recherchez la justice, secourez l’opprimé, rendez justice à l’orphelin, défendez la veuve! » (1, 4.17). De la même manière, Michel Chartrand n’a jamais hésité à utiliser des mots percutants pour dénoncer la corruption et les collusions entre les différents niveaux de pouvoir, tout comme il ne s’est jamais privé de bousculer les vendeurs d’illusions comme les « lucides » du néolibéralisme économique. Ses réactions épidermiques et son indignation face aux injustices le portaient à clamer la vérité en des termes simples, directs, clairs et compréhensibles. Il questionnait et choquait mais toujours pour mieux ébranler les certitudes des pouvoirs en place, entrebâiller des portes sur des perspectives d’avenir et briser le conformisme idéologique, social et politique trop souvent porteur d’individualisme, de cynisme, d’aveuglement et de passivité.
Enfin, faut-il le souligner, malgré ses nombreux engagements publics, cet homme de parole se ressourçait par la lecture, la réflexion ainsi que dans la profondeur et la force du silence. N’est-ce pas, encore là, la caractéristique d’un véritable prophète?