Relations mars-avril 2016

La résistance, impératif de notre temps

Joséphine Bacon et Laure Morali

Matshimashka ! / Résiste !

Eka pashishta e tepitepuatakuini tshetshi tshiueshkuenin[1]

Obéis à ton cœur qui se souvient de tout

J’obéis à la joie qui prend ta main

Désobéis aux couleurs qui séparent, aux frontières qui morcellent

Pashishta minuashitun uetinaki tshitishinu

Désobéis à tes enfants qui font fléchir tes genoux

N’obéis pas quand on manque de respect à la tristesse de l’enfant

Obéis à l’enfant quand il te regarde de travers

Eka pashishta e manenimakaniti auass ka ushtuenitak

Désobéis aux remords, aux regrets, aux chemins tout tracés

Tu obéis à l’homme de l’intérieur des terres qui se bat pour sa vie

Désobéis à ce qui t’empêche de grandir et de te transformer

Pashishtu pishimu uatamakuin aimunu

Obéis aux vibrations sonores des arbres qui chantent entre eux

Ne te retourne pas quand on te demande de gaspiller les arbres

Désobéis à la nuit quand tu veux qu’il fasse jour

Obéis aux arbres qui voyagent en poésie

Désobéis au jour quand tu sais qu’il fait nuit ailleurs

Pashishtu tshiuitsheuakan tshishatshitin essishueti

Skolvan, Skolvan, eskob Leon
‘zo deut da greiz ur lann da chom
‘zo deut da chom da greik ur lann[2]

Eka pashishtu tshitshe utshimau ka uieshimishku

e-kitchen forest Kaniskan
e-kitchen forest Kaniskan[3]

Obéis à la terre, elle demande réparation

Obéis à la force du papillon

Obéis à la lune, ta grand-mère qui réclame la présence des étoiles

Obéis à la lumière, aux ruisseaux, à la source, aux phares

Obéis au soleil qui te donne un message

Obéis aux peintures rupestres peintes à l’or de l’Unamen

Apu pashishtakan natapuaniun ka nipatatshen

Désobéis aux Dieux qui te demandent de leur obéir

Je n’obéis pas à la guerre qui tue

Désobéis à la mort

Désobéis au présent qui accepte ton absence

Désobéis au silence qui nous tue

Tshipashishtuau nutshimiu-innu metshimashkaki utassi

Désobéis à tes rêves quand ils ne respirent plus
et qu’ils sont envahis par les rêves des autres

Désobéis au gouvernement qui triche

Désobéis à la peur

Obéis à la rivière qui te tend le saumon en offrande

Obéis à l’arc-en-ciel

Obéis aux aurores boréales qui dansent pour toi

Désobéis aux cases dans lesquelles on veut nous enfermer

Apu pashishtutau matshinnuat ka tshimutamakuin tshitassinu

Désobéis au danger

Obéis à l’horizon qui t’invite à l’inconnu

Obéis à l’affranchissement de ton regard

Eka tshiuekapu nenituenitamakuin tshetshi nanuuitau mishtikuat, eka patshishta

Désobéis aux maisons, aux murs, aux identités, aux miroirs

Désobéis à l’Histoire qui t’ignore

Désobéis à ton passé, à ton présent, invente ton futur
Obéis à la liberté du poème jusqu’au bout de l’horizon
Obéis à l’amour qui t’est offert
Obéis aux mots que tu prononces
Obéis aux mots poèmes
Désobéis à l’amour
Pashishtut mishtikuat manukuini aimunu tshetshi pamutan
Désobéis à tout ce qui te soumet, t’amenuise, te manque de respect
N’obéis pas quand on te hurle dessus
Désobéis à la résignation
Obéis à ton cœur qui bat le tambour
Obéis à l’amour
Obéis à l’ami qui te dit je t’aime
Obéis à ton frère qui se cache en l’étranger
Désobéis à ces gens qui prennent ta terre
Désobéis à l’obéissance que l’on t’a enseignée
Désobéis aux barrages qui noient ton frère caribou
Obéis à ton désintéressement, à ta farouche liberté
Désobéis aux bruits qui ne sonnent pas le monde
Obéis à ton instinct, à ta clairvoyance
Désobéis au futur que tu ne connais pas
Désobéis à ton corps quand il t’enferme en toi, à ton orgueil
Obéis à l’enseignement des Anciens
Obéis aux rêves anciens qui connaissent ton futur
Désobéis à l’ignorance des gestes doux
Désobéis à ta famille, à tes amis, à tes idéaux
Désobéis à la laideur des mots
Obéis à ton dégoût
Obéis à la chaude clarté de l’aube, obéis à tes promesses
Désobéis à l’argent et à son égoïsme
Désobéis à l’habitude
Obéis à la folle inventivité de la vie
Désobéis à la désobéissance
Désobéis à tout ce qui n’est pas toi
Désobéis à tout ce qui te ressemble trop
Désobéis-toi
Désobéis-moi
Désobéissons

 
 

Joséphine Bacon                                                &                                                    Laure Morali
 


[1] Les phrases en innu-aimun se retrouvent ailleurs, traduites en français, dans la partition de Joséphine Bacon, dont les vers sont alignés à gauche et croisent ceux de Laure Morali à droite. Les auteures ont souhaité préserver de cette façon la musicalité du texte et les résonnances entre les vers sans priver le lecteur d’aucune traduction.
[2] Début d’une complainte traditionnelle bretonne : « Skolvan, Skolvan, évêque de Léon / est allé vivre au milieu d’une lande / au milieu des landes, il est allé vivre ».
[3] Suite de la complainte : « à côté de la forêt de Quénécan / à côté de la forêt de Quénécan ».

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