Relations août 2010
Marché de l’immobilier et crise du logement
L’auteur est étudiant au doctorat en sociologie et chargé de cours à l’UQAM
L’expansion du marché de l’immobilier, qui découle de la financiarisation de ce secteur, engendre de profondes inégalités en termes d’accessibilité au logement.
Il y a à peine dix ans, le Québec traversait une grave crise du logement qui avait défrayé la manchette en raison du nombre impressionnant de ménages qui, à l’approche du 1er juillet, s’étaient retrouvés sans logement et de la forte contestation qu’elle avait suscitée. En 2010, cette crise s’exprime de façon un peu moins spectaculaire, mais persiste de manière tout aussi aiguë.
La forte croissance du marché de l’immobilier au cours de la dernière décennie pourrait bien en être la cause. En effet, selon deux études publiées, en mars 2010, par le Mouvement Desjardins et la Banque Scotia, le marché de l’immobilier a fait preuve d’une vigueur exceptionnelle depuis le début des années 2000. Le prix des propriétés a augmenté de 112 %, ce qui constitue la plus forte appréciation depuis 50 ans. De plus, ce secteur de l’économie a relativement peu souffert de la récente crise économique en connaissant, après un léger recul en 2008, une année 2009 et un hiver 2010 records. L’optimisme à l’égard du marché de l’immobilier se traduit également par la multiplication des chroniques financières incitant les ménages québécois à investir dans ce secteur et qui, à l’instar du magazine L’actualité et de la revue Canadian Real Estate, suggèrent à leurs lecteurs des moyens de « profiter du marché de l’immobilier » ou encore des façons de « combattre » l’éventuelle hausse des taux d’intérêts.
La hausse des prix de l’immobilier est cependant loin de profiter à tous, un problème d’accessibilité s’ajoutant à la rareté des logements qui avait caractérisé la crise du début des années 2000. Pendant que le nombre de logements disponibles pour la location a faiblement augmenté dans la majorité des régions du Québec, leur prix s’est accru beaucoup plus rapidement. Ainsi, sous la pression d’un marché en pleine ébullition, de nombreux ménages pour qui le logement est une source de dépenses, et non de revenus, doivent maintenant y consacrer une part grandissante de leur budget. Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (Frapru) calcule, par exemple, que le loyer mensuel moyen d’un appartement de deux chambres à coucher dans la région de Montréal a augmenté de 31,4 % depuis 2000, pour atteindre 669 $. À Québec, il a subi une hausse similaire de 31 %, passant à 676 $. Ces augmentations condamnent au-delà de 200 000 ménages québécois à engloutir plus de la moitié de leur revenu dans le loyer et ne sont certainement pas étrangères à la hausse marquée, au cours de cette même période, des demandes de résiliation de bail entendues par la Régie du logement pour non-paiement du loyer[1].
La forte croissance du secteur de l’immobilier a été attribuée à différents facteurs tels que le climat économique favorable du début de la décennie, les nombreux incitatifs que le gouvernement canadien a mis en œuvre pour encourager l’accession à la propriété et la récente faiblesse des taux d’intérêt. Plus fondamentalement encore, cette croissance a été stimulée par les moyens relativement nouveaux dont disposent les banques pour prêter davantage. Ceux-ci trouvent leur origine dans l’expansion de la finance capitaliste, et plus particulièrement de la titrisation financière. Cette opération, qui est d’ailleurs activement promue et soutenue par le gouvernement fédéral, consiste à convertir les prêts que les institutions financières octroient à leurs clients en titres financiers. Les banques peuvent par la suite vendre leurs hypothèques « titrisées » sur les marchés financiers à des investisseurs à la recherche de nouvelles occasions de rendement. La titrisation leur permet alors d’échanger une dette inscrite à leur bilan contre de l’argent qui peut ainsi être employé à la création de nouveaux prêts hypothécaires. D’un côté, une telle financiarisation de l’immobilier accroît les possibilités de transactions sur ce marché et entretient l’augmentation des prix, ce qui rend l’accès au logement de plus en plus difficile. De l’autre, elle consolide deux pratiques désormais constitutives du capitalisme contemporain, la spéculation et le surendettement, dont on connaît maintenant les conséquences potentielles.
Considérée sous cet angle, l’expansion du marché de l’immobilier au cours de la dernière décennie perd un peu du lustre que certains analystes ont tenté de lui donner. Au-delà des rendements que génère présentement ce secteur, elle met également en lumière les profondes inégalités dont celui-ci se nourrit ainsi que les mécanismes possiblement dévastateurs sur lesquels il repose.
[1] Consulter : <www.frapru.qc.ca>.