Relations Été 2023 / Débat

La démocratie directe est-elle une solution à la démobilisation politique ?

Dans un contexte de perte de confiance envers les élites politiques et les partis traditionnels,
les initiatives populaires de démocratie directe se multiplient dans les pays occidentaux.
Si celles-ci ont en commun de promouvoir la participation citoyenne à la vie politique, paraissant de ce fait constituer une réponse « naturelle » et progressiste à la crise de confiance envers les institutions démocratiques, elles peuvent néanmoins présenter de nombreux écueils.
La démocratie directe est-elle de facto plus progressiste que la démocratie représentative ?
Quelles formes la participation citoyenne à la vie politique doit-elle prendre aujourd’hui ?

L’autrice, maîtresse de conférences en science politique rattachée à ARENES (UMR 6051) et directrice du Centre de recherche Humanités et Sociétés à l’Université catholique de l’Ouest, a publié notamment Gouverner par les données ? Pour une sociologie politique du numérique (ENS Éditions, 2023)

De Montesquieu à Constant, de Bossuet à de Maistre, ce n’est pas d’hier que la démocratie directe fait peur : le peuple ne serait pas apte, dit-on, à prendre de « bonnes » décisions. Pourtant, si la démocratie directe a fait l’objet de nombreuses critiques à travers l’histoire, elle a aussi été au cœur de tests, d’expérimentations et d’élans vers de nouvelles manières de se sentir citoyen·ne et de s’engager dans la vie politique, notamment à l’échelle locale.

C’est ainsi que de nombreuses initiatives se mettent en place depuis une quinzaine d’années, en France et ailleurs, pour donner plus de pouvoir au peuple et revivifier la participation politique. Ces initiatives en arrivent même à s’institutionnaliser avec la multiplication de dispositifs tels que les conseils de quartier, les budgets participatifs, les jurys citoyens, les instances de débats publics, etc. La démocratie directe se présente alors comme un horizon vers lequel tendre afin d’accroître la participation politique – du moins à l’échelle locale – et de donner un nouveau souffle à l’engagement citoyen, mais elle comporte aussi de nombreux écueils.


DES LIMITES MAJEURES

Un bel exemple d’initiative populaire est donné par Ma Voix, un collectif citoyen créé en septembre 2015, qui propose de renouveler la participation politique en France. Ses membres cherchent à inventer une nouvelle forme d’expertise citoyenne et à faire entrer une forme de démocratie participative à l’Assemblée nationale à l’aide d’outils numériques. L’idée est de donner la possibilité à toutes les personnes en âge de voter de participer au débat sur les lois – et même de se porter candidates à la députation – via une plateforme en ligne. Il s’agit de réintroduire la démocratie directe à l’échelle nationale en faisant élire des député·es associé·es au collectif Ma Voix qui, une fois élu·es, deviendraient les porte-voix du choix des citoyen·nes, s’engageant alors à ne pas voter en fonction de leurs idées personnelles, mais bien en suivant le résultat du vote citoyen en ligne.

Ce dispositif de vote repose sur au moins deux présupposés : l’usage rendu possible du numérique par tous les citoyens et citoyennes, et la volonté d’agir, même en dehors du temps électoral, dans le cadre d’un système de vote en ligne. Plusieurs travaux de recherche ont toutefois souligné l’existence d’obstacles à la participation politique dans le cadre de procédures ou d’instances de délibération différentes du simple vote (jurys citoyens, conseils de quartiers, etc.). La difficulté d’attirer des profils diversifiés y est notée ; ce sont toujours les mêmes personnes qui participent. On y retrouve deux principaux types de participant·es : d’un côté, une élite au profil sociologique favorisé, et de l’autre, ceux et celles qui présentent un intérêt particulier à prendre part à la délibération, comme des riverains dans le cas d’un débat public portant sur la construction d’un établissement pénitentiaire, ou des lobbys favorables au nucléaire dans le cas d’un projet de loi risquant d’affecter cette filière, par exemple.

Le numérique permet, il est vrai, un élargissement des publics, en incluant par exemple davantage les jeunes, les personnes actives sur le marché de l’emploi ou les parents de jeunes enfants, qui peuvent s’exprimer en ligne quand ils et elles le souhaitent. Mais ces derniers ne constituent pas totalement de « nouveaux publics ». Les personnes qui osent prendre part à des débats politiques en ligne sont en grande majorité des hommes ayant fait des études supérieures et habitant dans de grandes villes. Il ne s’agit donc pas tout à fait d’un public lambda. Par ailleurs, la maîtrise de l’outil peut constituer une nouvelle barrière, laissant de côté une partie des citoyen·nes sans « compétence numérique » ou peu à l’aise avec ces dispositifs, sans compter ceux et celles qui disposent de moins de temps.

L’initiative Ma Voix a toutefois l’ambition d’engager tous les citoyen·nes – même les moins privilégié·es ou les personnes jouissant d’un faible capital social – afin de les aider à développer une compétence politique. Cela passe par une réflexion sur les moyens d’aider les participant·es à se former, notamment en proposant des modules en ligne sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale.


DÉVELOPPER L’IMAGINAIRE CITOYEN

Du côté citoyen, l’initiative portée par Ma Voix n’a toutefois pas toujours été bien comprise. Les personnes candidates sous cette bannière lors des élections législatives de 2017 se sont confrontées à une certaine méfiance des électrices et électeurs à l’égard de cette méthode, souvent perçue comme trop artisanale et idéaliste, et à une peur du changement dans les modalités d’exercice du pouvoir.

Le dispositif de démocratie directe porté par Ma Voix n’a donc pu être mis en place, car aucun des candidat·es du mouvement n’a été élu·es en 2017. Or, loin d’être mal vécu, cet échec est plutôt pensé comme une première étape dans la prise de conscience citoyenne d’un besoin de renouvellement des institutions représentatives. Les membres de Ma Voix considèrent qu’il s’agit d’une expérimentation qui a ouvert des pistes de refonte du système et qui est susceptible de nourrir d’autres projets. La majorité indique vouloir continuer à s’engager en politique, mais de manière plus intermittente et non institutionnalisée (pas forcément au sein de partis politiques). Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, plusieurs messages ont été publiés sur la page du groupe Facebook de Ma Voix, pourtant en sommeil depuis 2017, affirmant, devant la « mascarade » des élections, une volonté claire de « s’y remettre ». « Nous ne changerons pas le monde, mais nous créerons des refuges ; une fenêtre, un souvenir, une chanson, un espoir, une épaule, que sais-je, mais des refuges, des refuges ! Et sans cesse nous prolongerons la trêve. » (Paul Lambda, pseudonyme d’un participant de Ma Voix)

Les plateformes de Ma Voix sont donc « mortes », mais l’envie de s’engager (en se faisant élire ou autrement) de ses anciens membres reste bien vive. Les échecs passés sont garants des innovations à venir pour penser de nouvelles formes plus inclusives et construire de nouveaux imaginaires permettant, à l’avenir, de dépasser la « peur du peuple ».


Lisez l’autre point de vue de ce débat :

La démocratie représentative a encore des vertus
par Benoît Morissette

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