Relations mai-juin 2018

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

Virginie Larivière

Lutte contre la pauvreté : un plan idéologique

L’auteure est porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté

Le plan d’action du gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté consacre l’approche néolibérale de l’incitation à l’emploi.

 

C’est avec plus de deux ans de retard que le gouvernement a lancé, en décembre dernier, le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale. Un budget de 3 milliards de dollars sur 5 ans doit assurer la mise en place de ses 43 mesures et actions censées faire sortir au moins 100 000 personnes de la pauvreté d’ici 2023.

Plus de 40 % de ce budget est consacré à la mesure phare du plan, à savoir l’instauration progressive de ce que le gouvernement a choisi d’appeler un « revenu de base ». Il s’agit là d’une avancée importante.

En instaurant cette mesure, le gouvernement se trouve en effet à déterminer une cible à atteindre pour améliorer le revenu des personnes assistées sociales, ce que l’enjoignait à faire la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée dès 2002, mais qui n’avait encore jamais été fait. Le revenu disponible des prestataires qui y auront droit équivaudra à terme, en 2023, au seuil de la Mesure du panier de consommation (MPC), soit environ 18 000 $ par année pour une personne seule. Il s’agit d’une augmentation annuelle de 41,4 % du revenu disponible, soit 5280 $ de plus par rapport aux prestations de 2017.

Bref, avec cette mesure, le gouvernement avance dans la bonne direction. Mais nous sommes loin, comme il le dit, d’une « véritable révolution » dans la manière de lutter contre la pauvreté au Québec.

D’une part, contrairement à ce qu’il prétend, la MPC n’est pas un indicateur de sortie de la pauvreté. La MPC correspond au revenu disponible requis pour avoir accès à un certain nombre de biens et services définis. Elle est utilisée pour suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins essentiels. Il s’agit donc d’un strict minimum pour préserver santé et dignité. D’autre part, la mise en place de ce « revenu de base », mais aussi l’entrée en vigueur du programme Objectif emploi ce printemps, consacrent le principe de la conditionnalité dans les différents programmes d’aide financière de dernier recours.

Ainsi, pour être admissible au « revenu de base », il faudra être prestataire de l’aide sociale et avoir des contraintes sévères à l’emploi reconnues depuis au moins cinq ans et demi. Parmi les quelque 760 000 personnes qui ne couvrent pas leurs besoins de base au Québec, seulement 84 000 se verraient donc accorder ce « revenu de base ».

Les personnes assistées sociales qui ont des contraintes sévères à l’emploi reconnues depuis moins de cinq ans et demi auront droit, d’ici 2021, à une augmentation de 103 $ de leur prestation mensuelle. Cette majoration ne leur permettra d’atteindre que 77 % de la MPC. Quant aux personnes jugées sans contraintes à l’emploi, elles verront leurs prestations mensuelles augmenter de 45 $ d’ici 2021. Le gouvernement les condamne donc à ne couvrir que 55 % des besoins de base reconnus, au nom de l’argument éculé selon lequel des revenus trop élevés réduisent l’effet incitatif à intégrer le marché du travail, réitéré dans le rapport du comité d’experts sur le revenu minimum garanti paru à l’automne dernier[1].

Le principe de la conditionnalité est également au cœur du programme Objectif emploi. Vertement dénoncé depuis l’annonce de sa création en novembre 2015, ce programme, une fois entré en vigueur, poussera les personnes admissibles pour la première fois à l’aide sociale à participer à un parcours d’employabilité ou de formation. En contrepartie, elles recevront un supplément pouvant atteindre 260 $. Cependant, les personnes qui seront dans l’incapacité d’y participer perdront jusqu’au tiers de leur prestation de base mensuelle, qui passera de 648 $ à 424 $. De ces coupes, le Plan gouvernemental ne souffle mot. Il s’agit pourtant ici de réduire le montant du « barème plancher » à l’aide sociale de façon que les prestations de base correspondent non plus à la moitié de la MPC, mais au tiers !

En somme, le troisième Plan gouvernemental repose sur le même a priori que les deux précédents, à savoir que les personnes en situation de pauvreté, si on ne les force pas en les acculant à la misère, ne feront rien pour améliorer leur sort.

À cet égard, un passage du Plan gouvernemental est particulièrement révélateur : « Comme le stipule le préambule de la Loi, les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale sont les premières à pouvoir agir pour transformer leur situation » (p. 26, c’est nous qui soulignons). Or, dans le texte original du préambule, le mot « pouvoir » n’apparaît pas. Alors que le législateur présumait à l’époque de la volonté de s’en sortir des personnes en situation de pauvreté, le gouvernement actuel, lui, préfère présumer leur inertie, sans jamais pouvoir la prouver.

[1] Voir V. Larivière, « Rapport du comité d’experts sur le RMG : un dangereux réalignement des politiques de solidarité sociale », Collectif pour un Québec sans pauvreté [en ligne], 16 novembre 2017.

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