Relations février 2014
L’OTAN, le bras armé des États-Unis
L’auteur est l’un des porte-parole du Collectif Échec à la guerre; il s’exprime ici à titre personnel
Depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN s’est progressivement transformée pour devenir l’instrument militaire global de la domination étasunienne, au détriment de l’ONU.
Mise en place à Washington, en 1949, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) regroupe alors douze pays. Au sein de cette alliance, le déséquilibre des forces est immense entre les États-Unis, puissance dominante sur le plan économique, politique et militaire, le Canada, et la dizaine de pays d’Europe de l’Ouest et du Nord, affaiblis et en ruines après la guerre. Combinée au plan Marshall, l’OTAN sera donc, avant tout, un instrument de la politique étrangère de la nouvelle superpuissance.
L’expansion post-guerre froide
Contrairement à certaines attentes, la chute du mur de Berlin, en 1989, et la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’URSS, en 1991, n’entraînent pas la dissolution de l’OTAN. Les États-Unis et leurs alliés élaborent plutôt une nouvelle stratégie d’élargissement du cadre et du mandat de l’Alliance. En janvier 1994, un « Partenariat pour la paix » est lancé, visant l’adhésion des anciens États communistes. En 15 ans, l’OTAN passe de 16 à 28 pays membres. Elle multiplie aussi les partenariats avec des groupes de pays non membres, comme le Dialogue méditerranéen (sept pays) ou l’Initiative de coopération d’Istanbul (quatre pays). Elle signe également des « partenariats mondiaux » avec des pays spécifiques : Afghanistan, Australie, Irak, Japon, République de Corée, Mongolie, Nouvelle-Zélande, Pakistan et, bientôt peut-être, la Colombie.
La fin de la guerre froide n’apporte pas, non plus, les « dividendes de la paix ». Au lendemain de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, les États-Unis font adopter les sanctions économiques les plus dures de l’histoire de l’Organisation des Nations unies (ONU), bloquent toute possibilité de solution négociée et déclenchent leur « guerre du Golfe », qui détruira une grande partie des infrastructures civiles et industrielles de l’Irak. À la tête de coalitions à géométrie variable, ils se lanceront dans plusieurs autres guerres : Somalie (1993), Kosovo/Serbie (1999), Afghanistan (2001 et toujours en cours), Irak (2003), Libye (2011).
L’OTAN et la stratégie des États-Unis
Au début des années 1990, la situation mondiale est radicalement différente de celle qui prévalait 50 ans plus tôt. Les ressources naturelles des régions auparavant sous le contrôle ou l’influence de l’URSS deviennent accessibles, mais la compétition est devenue très serrée sur le strict plan économique, notamment avec l’Europe, le Japon, la Chine et la Russie. Les États-Unis ne sont désormais plus assurés de l’emporter sur ce terrain. Par ailleurs, leur supériorité sur le plan militaire est absolument incontestable et leur fournit une alternative : recourir à la force des armes pour rafler ce que la seule concurrence économique ne leur permettrait pas toujours de gagner.
Dans Rebuilding America’s Defenses (2000), les idéologues néoconservateurs du Project for a New American Century (PNAC) préconisent que les États-Unis préservent leur avance insurmontable sur le terrain militaire pour être en mesure de mener victorieusement plusieurs guerres simultanées de grande envergure; de s’acquitter de nombreuses tâches constabulaires post-guerre ou visant à préserver une situation leur étant favorable; d’opérer une « transformation » technologique tous azimuts pour porter la guerre à un autre niveau. Les lignes directrices énoncées par le PNAC se manifestent non seulement dans les politiques de défense des États-Unis, mais également dans les « concepts stratégiques »[1] de l’OTAN et dans les politiques de défense de ses pays membres, dont le Canada.
Envisageant un avenir d’agressions et d’occupations militaires multiples, les États-Unis ont beau avoir des centaines de bases militaires et des commandements distincts pour toutes les régions du monde, ils ont besoin d’une armée encore plus grande. D’où l’élargissement de l’OTAN et la multiplication de ses partenariats, en insistant non seulement sur des politiques communes et un commandement unique (le leur), mais sur un armement commun (très largement fourni par leur industrie militaire), sur l’ « interopérabilité » des contingents, sur des entraînements et des exercices communs plus fréquents et de plus grande envergure, etc. Bref, il s’agit de faire pression en faveur de l’intégration en une seule grande armée, devant promouvoir les intérêts théoriquement convergents des pays membres de l’OTAN, mais que seuls les États-Unis peuvent effectivement diriger.
Évidemment, tout cela ne va pas sans heurts. Et tout en intensifiant leurs pressions intégratrices, les États-Unis négocient les alliances et les mandats « à la pièce » pour chaque nouvelle guerre dont ils décident du déclenchement : obtenir l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU si possible, sinon l’engagement de l’OTAN, sinon celui d’une « coalition de volontaires », membres ou non de l’OTAN.
L’OTAN et l’ONU
En avril 2007, Daniel Fried, secrétaire d’État adjoint aux affaires européennes et eurasiennes des États-Unis, décrivait ainsi l’aboutissement de la transformation de l’OTAN en instrument militaire global de l’hégémonie étasunienne :
« […] l’OTAN s’est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux. […] L’OTAN est en train de développer les capacités et les perspectives politiques nécessaires pour s’attaquer aux problèmes et aux éventualités qui surviennent dans le monde entier. »
Parallèlement à cette transformation, les États-Unis et leurs plus proches alliés ont fréquemment dévalorisé l’ONU, critiquant son « indécision », son « incapacité » ou ses « faibles moyens » pour résoudre les conflits. Ces critiques constituaient aussi une tentative de justifier leurs propres campagnes guerrières, généralement illégales en vertu de la Charte des Nations unies et des autres instruments du droit international.
Le développement de l’OTAN après la guerre froide entre donc ouvertement en contradiction avec le mandat de l’ONU, dont le but premier est de « maintenir la paix et la sécurité internationales ».
Alors qu’elle prétend vouloir contribuer « à la maîtrise des armements, à la non-prolifération et au désarmement », l’OTAN est pourtant responsable de 57 % des dépenses militaires mondiales. Les États-Unis, maîtres d’œuvre de l’Alliance et bons premiers au sein des dix pays qui ont les dépenses militaires les plus élevées de la planète, dépensent plus que les neuf autres réunis. Ils exercent des pressions constantes pour que les pays membres et les nombreux « partenaires » de l’OTAN haussent leurs dépenses militaires. Et tous ces développements ont pour effet de relancer la course aux armements avec la Russie et la Chine.
Contradictions internes et nouvelle conjoncture
Les États-Unis défraient 75 % du budget de l’OTAN mais n’en retirent pas tous les bénéfices escomptés. En Afghanistan, plusieurs pays membres ont refusé de se déployer dans les zones de combat. Et plusieurs se sont très peu engagés dans la guerre en Libye. L’Allemagne s’est même abstenue – avec le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine – lors du vote sur la Résolution 1973 du Conseil de sécurité sur la Libye. Généralement fidèle haut-parleur des priorités étasuniennes au sein de l’OTAN, le Canada s’est récemment retiré de deux de ses programmes de surveillance. En mars 2013, le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute de Calgary, partisan des politiques militaristes du gouvernement Harper, publiait même un document d’orientation intitulé Is NATO Still Necessary for Canada?
Les dissensions internes à l’OTAN ne sont cependant pas le plus important problème que rencontre l’empire étasunien dans sa détermination à faire contribuer l’Alliance aux guerres qu’il juge dans son intérêt de mener. En effet, dans le cas récent de la Syrie, c’est plutôt le rôle plus actif de la Russie et de la Chine dans l’arène internationale qui a mis en échec la décision des États-Unis de bombarder le pays pour faire tomber le régime de Bachar el-Assad. D’abord, la volonté russe et chinoise d’exercer leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas permis d’obtenir l’aval de cette instance. Ensuite, alors que les États-Unis et la France se disaient prêts à agir sans cette autorisation, la diplomatie russe les a complètement déjoués en obtenant du régime syrien qu’il accepte l’inspection et la destruction de son arsenal chimique.
Si ces développements ont permis de désamorcer une campagne de bombardements imminente, ils ne sont pas pour autant rassurants pour l’avenir, présageant peut-être des tensions accrues entre l’empire étasunien, d’une part, et la Russie et la Chine, de l’autre.