Relations août 2010

Audrey Coté

L’Itinéraire : la parole des sans-voix

L’auteure est rédactrice en chef à L’Itinéraire

« L’Itinéraire m’a fait prendre conscience que j’ai du courage. Le courage de me battre et de prendre la parole. »

Josée-Louise, camelot

Josée-Louise est une survivante. Une survivante du silence tacitement imposé à ceux et celles que la vie a évincés de la course à la performance, à la productivité et à la consommation. En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir vécu dans la rue pour subir l’exclusion qui condamne à « l’itinérance sociale », c’est-à-dire à l’incapacité de trouver sa place au sein de la société actuelle.

Ne pas y trouver sa place, c’est d’abord ne pas avoir de droit de parole et être contraint au silence parce qu’on a honte. Honte de ne pas exister socialement, de ne pas travailler « comme tout le monde », de ne pas avoir « réussi » professionnellement – biens matériels inclus. Josée-Louise a mis du temps à trouver sa « voix » et à se sentir pleinement intégrée et utile à la société. « Avant d’arriver à L’Itinéraire, je ne trouvais pas ma place dans la société parce que mon caractère trop exubérant faisait peur à tout le monde. Je me sentais toujours exclue alors qu’aujourd’hui, je me sens dans mon élément », témoigne celle qui occupe les fonctions de journaliste de rue depuis près d’un an grâce à un programme d’insertion sociale.

Balafrés par la vie ou éclopés du marché de l’emploi sont de plus en plus nombreux à joindre les rangs des camelots du magazine. Certains sont des survivants d’un monde qui use les travailleurs jusqu’à la corde avant de les jeter dehors sans préavis. « Quand t’as pas d’emploi, ta parole ne vaut rien! », s’exclame Josée-Louise. Quelques-uns ont connu des problèmes liés à l’extrême pauvreté, à la toxicomanie et à l’alcoolisme. La vie n’est pas un long fleuve tranquille et nous sommes tous susceptibles de vivre un jour ou l’autre une souffrance telle qu’il faille l’anesthésier de toutes sortes de manières pour survivre… en attendant d’avoir la force et les moyens d’y faire face.

Certains arrivent à L’Itinéraire silencieux, couvant la tristesse ou la rage sous le manteau qui leur permet d’abriter leur magazine « pour ne pas le maganer ». Pour plusieurs, participer à un tel projet, c’est retrouver une dignité perdue entre le casse-tête du « chèque de BS » trop rachitique pour payer l’épicerie et loyer, et le mépris des passants devant le quêteux à la main tendue. En achetant le magazine 1 $ pour le revendre 2 $ dans la rue, les camelots deviennent des « travailleurs autonomes » qui distribuent une revue offrant une alternative aux médias de masse. Mieux encore, ils retrouvent leur droit de parole par l’entremise de chroniques comme « Mot de camelot ». Cela contribue à les sortir de l’isolement qui préside à un certain mutisme social. Pour certains, la possibilité d’interviewer des artistes qu’ils admirent et d’apprendre les rudiments du journalisme ouvre sur une véritable passion. Chaque camelot qui le désire est accompagné par l’équipe de rédaction dans ses démarches journalistiques : recherche, entrevues, écriture, création.

À leur arrivée, plusieurs croient qu’ils n’ont rien à dire. « À part la drogue, la dépression et la rue, il ne m’est rien arrivé », nous confiait récemment un camelot. Il faut alors leur faire prendre conscience de l’immense richesse de leur vécu et faire émerger le désir de faire entendre leur voix, de sortir du silence. Les expériences de vie aussi extrêmes que l’itinérance, la toxicomanie ou la dépression majeure poussent souvent à une extrême lucidité, une connaissance intime de soi et une rare sérénité. C’est d’ailleurs pourquoi la prise de parole des camelots interpelle aussi spontanément les lecteurs. Dans un univers médiatique trop souvent monopolisé par les mêmes voix, leurs mots francs, sans fioritures, libres de toute « expertise » et désintéressés sont un vent de fraîcheur, d’authenticité, de fragilité humaine.

 

Silences

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