Relations décembre 2006
Les mains sales du Canada
L’auteure est chargée de programme au sein de l’équipe Environnement du Third World Network–Africa
Des entreprises canadiennes, avec le soutien du gouvernement, sont impliquées dans une scandaleuse exploitation des ressources minières au Ghana, aux effets environnementaux, économiques et sociaux désastreux pour les populations concernées.
Les espoirs que les pays africains pouvaient mettre dans l’exploitation de leurs ressources naturelles et minières, comme instrument de croissance et de développement, ne se sont pas concrétisés. En effet, le cadre financier et juridique dans lequel ont été négociées les lois sur les mines et les métaux, dans la plupart des pays africains, sert d’abord les intérêts de l’industrie minière et vise à attirer les investissements étrangers. De surcroît, les lois canadiennes contribuent au « pillage », par nos entreprises, des métaux précieux de l’Afrique.
Des règles inéquitables
À cet égard, le Ghana (autrefois appelé la Côte de l’or), constitue un exemple probant. Le gouvernement de ce pays a favorisé une exploitation accrue de ses ressources naturelles et minières par des mesures « attrayantes » pour les entreprises étrangères. Ces mesures leur accordent des exonérations fiscales, exigent un faible taux de dividendes, leur permettent de rapatrier dans leur pays 100 % des capitaux, imposent peu d’exigences environnementales et mettent à leur disponibilité, à des fins d’exploitation, toutes les terres du pays. Ce gouvernement est allé encore plus loin en créant une agence – la Commission des mines – pour faciliter l’immatriculation des entreprises minières et leurs opérations.
Le gouvernement canadien, pour sa part, a mis en place des politiques et des lois facilitant les investissements dans l’exploitation minière à l’étranger – en particulier pour les petites entreprises (les juniors) qui assument des risques élevés. Le cadre juridique canadien a permis, entre autres, de développer des mécanismes pour faciliter l’obtention de capital de risque. Ainsi, la souplesse du système canadien pour acheter, vendre ou transférer la valeur des propriétés minières, assure aux compagnies une grande fluidité de leurs liquidités. De plus, d’autres mesures de protection – dont des mécanismes boursiers – rassurent les investisseurs et contribuent à la création d’entreprises dans le domaine minier. Enfin, la fiscalité canadienne soutient ces investissements à l’étranger. Pour ne prendre qu’un exemple, elle offre aux compagnies de généreux crédits d’impôts sur les intérêts générés par leurs emprunts lors d’investissements effectués dans leurs filiales à l’étranger. Ce n’est là qu’un élément, parmi l’ensemble des mesures d’exonération fiscale qui leur sont accordées.
Ravages et méfaits de nos compagnies
Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que, de 1992 à 1996, le nombre d’entreprises minières canadiennes présentes en Afrique ait augmenté de 75 %. Plusieurs entreprises aurifères, au Ghana, sont bien petites selon les normes canadiennes. Elles ont pourtant acquis une réputation de négligence en ce qui a trait au respect des droits humains et de l’environnement. Il est ainsi largement reconnu que des entreprises canadiennes sont responsables d’atrocités, causées par leur indifférence à l’égard de la vie des personnes touchées directement ou indirectement par leurs explorations.
Par exemple, en 2004, Bonte Gold Mines Ltd, une société détenue à 85 % par des intérêts canadiens, a fait faillite. Elle était enregistrée à la bourse de Toronto et exploitait une mine alluviale, avec un bail de 30 ans, sur le site de Bonteso, dans la région ghanéenne de l’Ashanti. La société était en activité depuis 15 ans lorsque, en mars 2004, elle a tout liquidé en une semaine – un tribunal de première instance a ordonné la faillite le 25 mars 2004 et la décision a été exécutée le 30 du même mois. Bonte Gold Mines Ltd a laissé derrière elle des terres dévastées, aucune compensation pour ses méfaits et une dette de 18 millions $US envers diverses instances gouvernementales du Ghana – dont l’Agence de protection de l’environnement et la Compagnie électrique.
Une poursuite a été engagée contre Bonte Gold Mines Ltd pour l’obliger à payer ses dettes. Toutefois, l’espoir de récupérer les sommes dues est très mince. En effet, bien qu’opérant au Ghana, 60 % des profits de l’entreprise sont détenus dans des comptes à l’étranger – en conformité avec les « attrayantes » lois minières ghanéennes. Or, cet argent permettrait d’indemniser les travailleurs impayés et de revitaliser les sols contaminés. Actuellement, les procédures judiciaires sont retardées parce que les directeurs de l’entreprise ont déserté le pays.
Bogoso Gold Ltd (BGL) est une autre société canadienne opérant au Ghana, filiale de Golden Star Resources Ltd – enregistrée à la bourse de Toronto sous le titre de GSC et à l’American Stock Exchange (AMEX) sous celui de GSR. En septembre 1999, GSR a acquis 70 % des titres participatifs de BGL. Depuis, GSR exploite une mine de surface dans la région de Wassa West et a débuté ses activités minières sans que les communautés locales soient déplacées. Elles subissent donc des dynamitages et des vibrations qui détruisent leurs maisons, affectant leur vie et leur santé. L’hôpital, la station d’essence et le terrain de foot ont été rasés pour les besoins de la mine.
Évidemment, ces communautés ont exprimé leurs désaccords par des marches de protestation et des grèves visant à dénoncer les effets nocifs des mines. BGL et le gouvernement ghanéen ont répliqué par le harcèlement, la répression policière et l’intimidation militaire des opposants. En juin 2005, huit personnes ont été blessées par balles alors qu’elles manifestaient contre les activités de la compagnie. Cette dernière n’a pas condamné ces actes de violence et le gouvernement est demeuré silencieux sur l’événement. BGL est aussi responsable de deux déversements de cyanure, en 2004 et en 2005, autour des sites où la société mène ses activités. Ces déversements ont contaminé les plans d’eau des communautés rurales de Bogoso et de Dumase.
L’industrie minière canadienne, comme plusieurs autres, est engagée dans la course à l’exploitation des ressources aurifères des réserves forestières du Ghana. En principe, les réserves assurent une protection à des territoires reconnus pour leur importance écologique et biologique. Pourtant, la superficie totale des territoires protégés du Ghana est passé de 8,2 millions d’hectares en 1900 à 1,6 millions en 2006. Or, au cours des trois dernières années, sous la pression d’importants lobbies, le gouvernement du Ghana a ouvert ce qu’il lui reste de réserves à l’industrie minière. Trois sociétés canadiennes – Nevsun Resources, Satellite Goldfields et Birim Goldfields – ont reçu des droits d’exploitation. Ces entreprises ont déjà cédé leurs droits à d’autres compagnies, desquelles elles reçoivent des redevances.
Comme on le constate, de telles activités minières violent de manière flagrante le droit des populations à un environnement sain et sécuritaire. De plus, elles détruisent leur modeste mode de vie traditionnel sans que leurs membres ne reçoivent de compensation, de formation ou de nouveaux moyens de subsistance. Loin de contribuer à l’amélioration du sort des habitants de ces régions, ce type d’exploitation se pratique sans considération pour leurs opinions et avec le plus grand mépris pour leurs droits fondamentaux.
Des politiques perverses
Beaucoup de citoyens africains vivant dans des pays riches en ressources naturelles sont préoccupés par ces problématiques générées par l’industrie minière, notamment les déplacements de population, la contamination des sols et des plans d’eau, le soutien à des gouvernements répressifs, les violations des droits des travailleurs et des autochtones, les agressions et les meurtres par les forces paramilitaires.
Il est indéniable qu’il incombe aux gouvernements de ces pays de réglementer l’industrie minière, d’en réduire les impacts négatifs, d’en récolter et d’en partager les bénéfices. Or, au contraire, leurs exigences ne cessent de diminuer et la fiscalité est revue au profit du secteur minier. Il est tout aussi indéniable, toutefois, que les entreprises étrangères doivent se conformer aux normes internationales en matière de « saine gestion » et de respect des droits humains. Malheureusement, l’application de ces normes demeure volontaire. Il semble donc que les activités des entreprises canadiennes ne se soumettent pas aux mêmes règles à l’étranger que lorsqu’elles sont en sol canadien.
Le soutien financier, juridique et politique du gouvernement canadien envers les entreprises de son industrie minière est considérable. D’autant plus qu’en encourageant les stratégies de financement multilatéral, le Canada impose de facto au secteur minier africain un programme de libéralisation et d’allégement réglementaire. Ces politiques étrangères canadiennes ont donc pour effet de saper la capacité de pays comme le Ghana de légiférer en faveur de leurs propres intérêts et de ceux de leur population.