Relations mai-juin 2018

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

Geneviève Dufour

Les accords dits progressistes permettent d’arrimer le commerce international aux considérations non commerciales comme l’environnement et les droits des travailleurs

L’auteure est professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

 

Dans la dernière année, l’expression « accords progressistes » a fait son apparition dans le lexique du commerce international. Le site du gouvernement du Canada qualifie de progressiste le nouvel accord de libre-échange conclu avec l’Europe et le qualificatif a été expressément inclus dans le titre du dernier accord conclu avec dix autres pays bordant le pacifique, le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Ce nouvel épithète en a surpris plus d’un. En effet, on peut se demander en quoi ces nouveaux accords de libre-échange relèvent du progrès.

Traditionnellement, les accords de libre-échange, qu’on pense à ceux adoptés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore aux accords commerciaux régionaux comme l’ALENA, ont visé à éliminer les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce. Ainsi, par ces accords, les États se sont entendus pour diminuer ou éliminer les droits de douane, les taxes et même les réglementations qui peuvent avoir un effet sur la circulation des biens et des services entre les pays. Dans ce cadre, les considérations non commerciales comme l’environnement ou les droits des travailleurs ont été reléguées au statut d’exceptions.

Opérationnaliser des droits humains
Depuis quelques années, toutefois, les États négocient des accords commerciaux certes de plus en plus ambitieux en matière de libéralisation, mais qui tentent aussi de mieux tenir compte des considérations non commerciales. Santé, environnement, droits des travailleurs, respect des traditions autochtones et exception culturelle, par exemple, occupent de plus en plus les négociateurs. Surtout, ces « nouveaux » enjeux sortent de la fonction d’exception à laquelle ils étaient confinés depuis plus de 70 ans. Par exemple, suivant le nouvel accord sur les marchés publics de l’OMC, un État peut maintenant ajouter des exigences environnementales dans le cadre d’un appel d’offres international. Selon le nouveau PTPGP, un pays peut aussi décourager l’importation de biens qui sont issus, notamment, du travail forcé. Dans ces cas de figure, les accords de libre-échange permettent ainsi d’opérationnaliser des droits reconnus dans des traités de protection de l’environnement et des droits humains.

Est-ce à dire que l’équilibre est atteint ? Certainement pas. Les accords de libre-échange ont évolué en vase clos depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’échec de l’adoption de la Charte de La Havane, qui devait créer une organisation internationale du commerce soucieuse des droits des travailleurs et du bien-être commun, et l’adoption concomitante des idées ultralibérales de l’École de Chicago ont empêché de lier convenablement commerce international et bien-être. Il a fallu pendant des décennies se contenter d’un droit international économique. au pire, isolé des autres considérations, au mieux, les intégrant au compte-goutte sous la forme d’exceptions au libre-échange. Et encore là, le combat n’a pas été facile, les « juges » appelés à trancher ces questions les évaluant en fonction de critères juridiques relevant d’abord du droit économique.

Pourtant, la santé, l’environnement, le bien-être animal, le droit de négociation collective ou encore l’interdiction du travail des enfants sont reconnus dans des textes de droit international et certains sont même élevés au rang de normes fondamentales et opposables à toute autre. Rien ne justifiait qu’ils soient relégués au deuxième plan. C’est précisément à ce problème que les accords de libre-échange dits progressistes tentent aujourd’hui de remédier. Évidemment, la réponse demeure timide. C’est trop peu, trop tard, diront certains.

Des avancées
Il reste du chemin à faire pour une meilleure conciliation entre le commerce, le respect des droits fondamentaux et la protection de l’environnement, mais nous pouvons nous réjouir des récentes avancées. Par l’adoption du PTPGP, les 11 États parties ont accepté explicitement d’appliquer les droits et principes fondamentaux des travailleurs tels que définis par les États membres de l’Organisation internationale du travail, en plus d’assurer des conditions de travail acceptables en ce qui concerne le salaire minimum, les heures de travail, la santé et la sécurité des travailleurs. Ils ont aussi accepté que ces obligations puissent faire l’objet d’une procédure de règlement des différends. À Buenos Aires, en décembre dernier, les ministres du Commerce rassemblés pour la 11e conférence ministérielle de l’OMC ont adopté une Déclaration visant l’autonomisation économique des femmes, signée par 118 États membres et observateurs. Par ailleurs, dans le cadre de la renégociation de l’ALENA, le Canada demande entre autres à ce que la question autochtone soit mieux prise en compte.

Les accords de libre-échange négociés aujourd’hui sont-ils pour autant progressistes ? Tout est relatif. Ils le sont si on prend la mesure du retard à combler dans ce domaine. Ils ne le sont pas si on considère les inégalités qu’ils continuent à produire entre les peuples. Ils le sont encore moins si on se rappelle l’idéologie qu’ils véhiculent : un commerce libre fondé sur l’idée – plus que jamais remise en question – selon laquelle la croissance peut être illimitée et apporter richesse pour tous.

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Share via
Send this to a friend