Relations mars 2010

Le combat contre l'impunité

Leila Celis

Le Tribunal permanent des peuples

L’auteure est étudiante au doctorat en études politiques à l’Université d’Ottawa

 

Le premier tribunal d’opinion a été le tribunal Russell, du nom de son fondateur, le philosophe anglais Bertrand Russell. Fondé en 1966, il a jugé les crimes contre l’humanité commis par les États-Unis durant la guerre du Vietnam. Le tribunal Russell II, tenu entre 1974 et 1976, s’est quant à lui prononcé sur des crimes commis par les dictatures militaires en Amérique latine. Ces tribunaux étaient composés de personnalités internationalement reconnues, dont plusieurs Prix Nobel. Leurs jugements n’étant pas juridiquement contraignants, ils visaient une condamnation essentiellement politique des États et des institutions internationales responsables des violations du droit international et des droits humains.

Afin de faire de ces tribunaux des espaces permanents de délibération, le tribunal Russell II a mis sur pied, en 1976, le Tribunal permanent des peuples (TPP), qui a pour fondement juridique le droit à l’autodétermination des peuples. Loin de prétendre à la neutralité, le TPP cherche ouvertement à redonner aux peuples un rôle actif dans la promotion de leurs droits en identifiant les divers mécanismes économiques, politiques et militaires qui empêchent la pleine jouissance du droit à l’autodétermination et des droits sociaux, économiques et culturels. Il s’inscrit dans la construction d’une culture qui permette de « restituer au droit son caractère positif de prévention et de protection des droits humains » (Fondation Basso). La quête pour le droit à l’autodétermination des peuples implique, entre autres, de prendre en compte des causes économiques à l’origine des crimes contre l’humanité, comme l’ont souligné les sentences rendues durant les différentes sessions du TPP. Celui-ci considère que l’impunité qui entoure les crimes commis par les États et par de puissantes institutions économiques internationales constitue un mécanisme central de domination des peuples. En effet, laisser un crime sans punition encourage celui-ci et entraîne un effet démobilisateur sur les organisations sociales. C’est pour cela que la lutte contre l’impunité favorise la résistance des peuples et renforce leur participation à la vie politique.

Entre 2006 et 2008, le TPP s’est dédié à l’étude des politiques néolibérales et transnationales en Amérique latine. La session de la Colombie, qui s’est penchée sur des crimes commis par les entreprises transnationales, illustre la manière dont les organisations sociales peuvent se mobiliser pour demander que justice soit rendue.

Depuis les années 1980, la mobilisation en vue de dénoncer les violations des droits humains et la lutte contre l’impunité a été un objectif central des organisations sociales colombiennes. Celles-ci ont misé sur les retombées positives qu’un TPP pouvait apporter à leur processus de résistance contre le modèle économique promu par l’État et les firmes transnationales. La session qui s’est tenue en Colombie, en 2008, était en continuité avec leur longue lutte pour la défense de la vie et de la dignité dans le contexte du conflit armé. Le but de cette lutte est de s’opposer à l’impunité et de faciliter la reconstruction des organisations sociales fortement touchées par la répression. Pour atteindre leurs objectifs, celles-ci ont entrepris de dénoncer les criminels et de rendre publics les processus de résistance que l’État et les multinationales cherchent à dissimuler.

Le processus de récupération de la mémoire historique mené par ces organisations, ainsi que les demandes de vérité, justice et réparation visent autant à rendre leurs droits fondamentaux effectifs qu’à repérer les criminels. Or, comme le TPP tenu en Colombie l’a conclu, les criminels ne sont pas seulement les auteurs des crimes; ce sont aussi ceux qui légitiment cet état des choses, causent le déplacement de la population et instiguent la guerre pour augmenter les profits économiques.

Les défis auxquels les organisations sociales colombiennes et le TPP sont maintenant confrontés sont de faire valoir l’exigibilité de la sentence, de faire imposer des peines de prison aux coupables des délits et de faire en sorte que les multinationales et les gouvernements de leur pays d’origine assument leur responsabilité, notamment en indemnisant les victimes des crimes contre l’humanité. Il s’agit de défis de taille dans le contexte actuel d’hégémonie des politiques néolibérales. Les organisations sociales colombiennes l’assument toutefois pleinement, en témoignent leur mobilisation et leur recours aux instances juridiques internationales.

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