Relations septembre-octobre 2019

Gustavo J. Fuchs*

Le Costa Rica, carboneutre d’ici 2050 ?

L’auteur est journaliste et consultant

Doté d’une biodiversité exceptionnelle, le Costa Rica se veut un modèle en matière écologique. Toutefois, comme bien d’autres pays, il fait face à plusieurs défis s’il veut atteindre son objectif d’être carboneutre d’ici 2050.

Un nouveau plan gouvernemental ambitieux prévoit que le Costa Rica aura atteint l’objectif de la carboneutralité[1] en 2050. La transformation socioéconomique nécessaire pour y arriver pourrait cependant se révéler plus difficile que ne veulent bien l’admettre le gouvernement dirigé par le président Carlos Alvarado et son Parti de l’action citoyenne (PAC).

Une nature précieuse

Le Costa Rica s’est affirmé tout au long de son histoire comme l’une des démocraties les plus stables d’Amérique latine. Au cours des années 1980, alors qu’éclataient tumultes politiques et guerres civiles un peu partout en Amérique centrale, le pays a réussi – sans armée – à maintenir la paix chez lui. Il est même devenu une destination touristique majeure, ses plages de qualité supérieure et sa forêt tropicale luxuriante attirant des milliers de vacanciers de tous les coins du monde, au point où l’économie du pays est devenue largement dépendante du tourisme, qui représente 9 % de son PIB. Il s’est ainsi créé au Costa Rica une volonté de sauvegarder une nature exceptionnelle, le pays abritant à lui seul plus de 500 000 espèces animales et végétales, soit 6 % de la biodiversité mondiale, même s’il occupe à peine 0,03 % de la superficie du globe.

Grâce à des politiques soutenues, la déforestation qui a caractérisé la décennie 1980, alors que les forêts n’occupaient guère plus que 21 % du territoire national, a été stoppée dans les années 1990. Si bien qu’en 2010, la moitié du pays avait retrouvé sa couverture arborée. L’utilisation de mécanismes de marché pour réduire la déforestation – des outils controversés parce qu’ils reposent sur une marchandisation de la nature – joue toujours un rôle, le Costa Rica étant un pionnier en la matière. Sur le plan des activités extractivistes, depuis 2002, un moratoire sur les mines à ciel ouvert de même que sur les projets d’exploration et d’exploitation pétrolières est en vigueur. En 2012, après des mois de protestations, la Cour suprême a annulé le projet canadien d’exploitation minière à ciel ouvert Crucitas, et l’ancien président Oscar Arias Sánchez (1986-1990 et 2006-2010) s’est retrouvé au cœur d’une bataille judiciaire pour l’avoir appuyé et pour avoir autorisé la déforestation de 191 acres de terres protégées.

À ces efforts voués à la conservation de la nature s’ajoutent ceux pour s’affranchir de la dépendance au pétrole. Car bien que, depuis 2014, 98 % de l’électricité produite au pays provienne d’énergies renouvelables (l’hydraulique principalement), l’électricité compte pour moins du quart de la consommation énergétique globale du pays. En 2016, à la Conférence de Marrakech sur les changements climatiques, le Costa Rica a revu à la hausse ses engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Le 24 février dernier, le gouvernement a dévoilé son plan national de décarbonisation qui engage le pays à devenir carboneutre d’ici 2050, plan qu’appuie la Banque interaméricaine de développement par un financement de 3,5 millions de dollars US. Mais cet objectif est-il réalistement atteignable ?

Priorité aux transports

Allant de l’importance de transformer le système de transport en commun jusqu’à la mise en place de nouvelles normes pour l’industrie, l’activité commerciale et le secteur résidentiel, le plan exige une transformation complète de l’économie. Il procède par étapes et avec des objectifs précis pour combattre intégralement toutes les émissions polluantes. De nouvelles mesures fiscales vertes, incluant des taxes et de nouveaux tarifs, visent à financer une transition écologique juste, basée sur l’idée qu’un environnement propre et une économie en santé peuvent coexister en poursuivant un objectif de justice sociale.

Principale source d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays, le secteur des transports est une cible prioritaire. Le système de transport collectif costaricain – comprenant taxis, lignes ferroviaires et autobus – est grandement déficient. Le transport par autobus repose sur un système de concessions consenties à des entreprises privées qui fournissent un mauvais service en toute impunité. La plupart de ces concessions arrivant à échéance en 2021, le gouvernement compte saisir l’occasion pour changer les choses. Mais les compagnies d’autobus constituent un lobby puissant au Costa Rica. Un certain nombre de magnats de cette industrie possèdent en même temps des stations-service – ce qui explique leur opposition à la décarbonisation – et ils contribuent généreusement à la caisse électorale des partis politiques, espérant des retours d’ascenseur.

Par ailleurs, pour que le gouvernement respecte son objectif de porter à 70 %, d’ici 2035, la part du transport collectif n’émettant pas de GES, les compagnies devraient remplacer 233 autobus par année par des modèles électriques, et ce, à partir de cette année. Les compagnies s’attendent à ce que des subventions leur soient accordées dans ce but, mais il est improbable que les finances publiques le permettent, le gouvernement faisant face à une crise fiscale liée à la dette. L’heure est aux contraintes budgétaires. Une importante réforme fiscale – une première en 14 ans –, vue comme injuste envers les plus démunis, a d’ailleurs entraîné une grève générale du secteur public en septembre 2018.

L’état lamentable du transport collectif a aussi fait en sorte que la voiture privée est très populaire : le Costa Rica dispose ainsi du troisième plus important parc de véhicules à usage personnel en Amérique latine. Mais le réseau routier est mal en point. L’OCDE, dans son Rapport d’enquête sur l’économie costaricaine, affirme ainsi que « l’effort en vue de réduire les émissions de gaz carbonique émanant des voitures à usage personnel va devoir se combiner à une amélioration des infrastructures dans le transport, de même qu’à une extension du réseau public[2]. »

Le gouvernement devra œuvrer de concert avec les municipalités pour créer de nouvelles pistes cyclables et d’autres formes de transport non polluantes. Il faut savoir que la loi costaricaine accorde une grande autonomie aux 82 gouvernements locaux, concernant notamment la gérance et l’entretien du réseau routier municipal, qui représente 80 % de l’ensemble du réseau. Cela signifie que pour réaliser une infrastructure nouvelle qui favoriserait le transport non polluant, voire non motorisé, le gouvernement a besoin que les municipalités s’engagent à fond. Or, si certaines collaborent à la mise sur pied de nouveaux services de trains de passagers, par exemple, d’autres joueurs comme l’Union nationale des gouverneurs ont réussi à bloquer, l’an dernier, un projet de loi qui visait l’investissement de fonds municipaux dans la réalisation de pistes cyclables. Une victoire de l’opposition lors des prochaines élections municipales, en février 2020, où la droite évangélique pourrait accéder au second tour comme elle l’a fait lors de l’élection présidentielle de 2018, pourrait d’autant plus compliquer la mise en œuvre du plan du gouvernement.

Une société d’État à transformer

Une autre pièce maîtresse du plan gouvernemental concerne la difficile réorganisation de la Raffinerie pétrolière du Costa Rica (RECOPE, selon l’acronyme espagnol). Il s’agit d’une source vitale de financement pour l’État qui tire 24 % de ses revenus fiscaux des taxes directes et indirectes liées aux carburants fossiles. Naguère responsable du raffinage, la société d’État détient aussi aujourd’hui un monopole sur la distribution. Les efforts visant à l’inciter à investir dans la production d’énergies renouvelables et dans la recherche pour sortir de la dépendance aux carburants fossiles se heurtent à l’opposition conservatrice. Les vieux partis de gouvernement – le Parti de la libération nationale (PLN) et le Parti social-chrétien (PUSC) – de même que le Parti pour la restauration nationale (RN, d’obédience évangélique) les bloquent.

En outre, le député Erwen Masis (PUSC) – dont on se demande ce qu’il fait à la tête de la commission sur l’environnement tant il appuie fortement l’exploitation pétrolière et gazière –, non content d’avoir fait échouer un projet de loi qui portait sur l’aménagement de pistes cyclables urbaines, s’oppose au moratoire en vigueur depuis 2002. « Comment se fait-il que le pays en soit arrivé à interdire l’exploitation du pétrole et du gaz ? […] Il consomme du pétrole et pourrait très bien en produire », lançait-il, en novembre dernier[3]. Le PLN n’est pas en reste : il a proposé récemment un projet de loi favorable aux mines à ciel ouvert. De plus, grâce à une alliance avec le PAC et le RN, son député Carlos Ricardo Benavides préside désormais l’Assemblée législative, instance où bien des propositions devant être mises en œuvre conformément au plan de décarbonisation feront l’objet d’une bataille politique.

Déjà, un nouveau projet de loi qui permettrait à la RECOPE de mener des activités de production et de distribution de biocarburants, tout en investissant dans la recherche et le développement de sources énergétiques renouvelables, est combattu. Le secteur privé s’y oppose, soutenant que la RECOPE ne devrait pas pouvoir le concurrencer sur le marché des biocarburants.

En dépit des difficultés, bénéficiant d’un taux d’approbation modeste (30 %) et ayant à peine dix députés au sein d’un Congrès qui en compte 57, le gouvernement du PAC démontre son engagement à mettre fin à la dépendance du pays envers les énergies fossiles. Et les Costaricains demeurent en majorité favorables à l’action contre le réchauffement climatique. Le 25 février dernier, Alvarado a prolongé par décret le moratoire sur l’exploration pétrolière jusqu’en 2050. La députée Paola Vega a présenté un plan de taxes progressives qui aurait comme effet de bannir, d’ici 2030, les véhicules consommant du carburant fossile. Des mesures fiscales favorisant l’importation de voitures électriques sont déjà en place et 48 nouvelles bornes de recharge ont été installées en cours d’année. Les efforts doivent aussi porter sur la nécessité d’inclure le plan de décarbonisation dans le Plan stratégique national pour 2050, actuellement en préparation au ministère de la Planification.

Mieux travailler avec les groupes écologistes et sociaux

Par ailleurs, le gouvernement doit aussi rétablir les ponts avec les mouvements communautaires et les organisations environnementales qui ont joué un rôle vital dans les efforts liés à la conservation des milieux naturels au Costa Rica. La Fédération écologiste (FECON), qui a exprimé un appui prudent envers le plan de décarbonisation, se montre critique de l’approche « de haut en bas » du gouvernement, sans participation significative des communautés ou des groupes environnementaux. Elle fait aussi remarquer que l’énergie hydroélectrique – principale source d’énergie renouvelable du pays – porte aussi son empreinte carbone et que la production locale de biocarburants prévue entraînera le développement de monocultures comme celle de la canne à sucre. Il en résulterait une demande accrue en eau pour l’irrigation (2500 litres étant nécessaires pour produire un litre d’éthanol à partir de la canne à sucre), cela dans un pays déjà aux prises avec des pénuries d’eau et où le monopole qu’exerce la Liga Agrícola Industrial de la Caña de Azúcar, le lobby de la canne à sucre, est déjà un problème.

L’antenne costaricaine des AmiEs de la Terre s’est pour sa part inquiétée du fait que les propositions se concentrent trop fortement sur le transport privé, laissant de côté des mesures importantes telles que le renforcement de l’agriculture communautaire et d’autres initiatives pour sortir du modèle d’une agriculture industrielle basée sur l’usage intensif de pesticides. Il faut savoir que le Costa Rica est l’un des plus grands utilisateurs de pesticides au monde, selon une étude de l’Instituto Regional de Estudios en Sustancias Tóxicas de la Universidad Nacional[4].

Ainsi, bien qu’il paraisse réalisable et qu’il présente nombre d’éléments porteurs et significatifs, le plan du gouvernement costaricain nécessitera des actions courageuses de la part de l’État et de ses institutions. Et tout doit se faire en dialogue constant avec l’ensemble des acteurs impliqués si on veut vraiment parvenir à la carboneutralité dans le délai prescrit, dans un contexte où des asymétries de pouvoir sont à l’œuvre chaque jour. Tout cela exige aussi qu’on abandonne la croyance selon laquelle seules les forces du marché feront l’essentiel. Il est indispensable que l’État récupère son rôle dirigiste dans la sphère économique si on veut parvenir à un développement soutenable à long terme et respectueux des écosystèmes.

 

*Traduit de l’anglais par Jacques Grenier, en collaboration avec Catherine Caron.

[1] État atteint lorsqu’il n’y a pas d’émission nette de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ou que celle-ci a été compensée.
[2] Voir Études économiques de l’OCDE : Costa Rica 2018, OCDE, 21 août 2018.
[3] Assemblée législative du Costa Rica (2018). Procès-verbal de la session plénière régulière Nº 90, 7 novembre 2018.
[4] Voir Jorge Araya, « Costa Rica es el consumidor más voraz de plaguicidas en el mundo », Semanario Universidad, 3 juin 2015.

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