Relations novembre 2012

Que vive la langue!

André Beauchamp

Le bilinguisme dans l’Église de Montréal

L’auteur est prêtre au diocèse de Montréal depuis cinquante ans
 
 
En 2008, après une prise de distance de plusieurs années avec le clergé montréalais, j’ai été tout à fait surpris de constater que les rencontres diocésaines sont devenues parfois presque intégralement bilingues, avec une minutie constante de la traduction d’une langue à l’autre : « bonjour, welcome ». Ordre du jour, textes d’appui, tout est intégralement donné en français et en anglais. La revue diocésaine Haute fidélité/High Fidelity, maintenant disparue pour des raisons budgétaires, était également bilingue avec une légère prédominance du français, tous les articles importants étant traduits d’une langue à l’autre.
 
Le 14 octobre 2009, lors d’une réunion du Conseil presbytéral, mon collègue François Baril, curé des paroisses du secteur pastoral Mercier-Est, a déposé une lettre signée par cinq personnes, dont moi-même, dénonçant ce passage au bilinguisme quasi intégral. La langue officielle du Québec étant le français, le diocèse de Montréal doit avoir une politique claire de priorité à la langue française plutôt qu’une politique de bilinguisme institutionnel. Sous prétexte de cordialité et de bonne entente, ou même de charité, une absence de politique nous fait glisser insensiblement vers le bilinguisme et le multiculturalisme trudeauiste. On fait alors de la politique sans le savoir – ou en feignant de ne pas le savoir – et on alimente les sources d’un conflit toujours latent.
 
Mal à l’aise et visiblement agacé par notre lettre, Mgr Jean-Claude Turcotte a esquivé la question en disant qu’il ne lui appartenait pas d’appliquer une politique de priorité du français quand le gouvernement lui-même ne suivait pas ses propres lois et règlements. Après de très brèves discussions, nous n’avons eu droit, à la réunion suivante du Conseil presbytéral, qu’à un simple communiqué de presse de la responsable des communications, Lucie Martineau. Daté du 19 février 2010, celui-ci donnait officiellement raison à la requête de François Baril : « La langue première de l’Église catholique de Montréal est le français. En même temps, on ne peut pas oublier que la mission de l’Église est de faire l’unité parmi ses membres dont plusieurs parlent anglais. C’est un défi auquel nous ne pouvons faire face sans dialogue. Ensemble, il nous faudrait trouver les clés pour favoriser la rencontre des cultures dans l’esprit de notre priorité diocésaine qui est de proposer Jésus-Christ. »
 
On remarquera toutefois que le texte escamote la question de la politique publique en ne parlant que d’individus qui parlent anglais, alors que l’un des enjeux est d’amener les communautés ethniques dans l’espace francophone. Notre comité a tenté d’organiser, en collaboration avec le Centre justice et foi, une rencontre avec des membres de l’Archevêché de Montréal, sans jamais aboutir. Au fond, l’Église de Montréal, qui n’a pas de politique claire sur la langue, préfère ne pas en avoir.
 
Certes, il ne lui appartient pas de prendre actuellement parti dans le débat linguistique. Cela relève du débat séculier, et si l’on a longtemps mêlé foi et langue (« la langue gardienne de la foi, la foi gardienne de la langue »), il faut bien distinguer les niveaux d’interaction. L’association étroite entre les Canadiens français dits « de souche » et l’Église catholique est maintenant moribonde. Les francophones ont largement abandonné la pratique religieuse et se sentent de moins en moins interpellés par une institution qui paraît vieillissante et sclérosée. Il n’en demeure pas moins qu’un passage déguisé au bilinguisme déclencherait une colère vive de la part de la communauté francophone et serait perçu comme une trahison de la part de l’Église.
 
Souvent, le passage au bilinguisme nous est présenté un peu comme un accommodement raisonnable, un geste de compréhension, d’ouverture et de tendresse, une option pastorale plutôt qu’institutionnelle. C’est, à nos yeux, réduire une question à caractère collectif et politique – voire une question de justice – à la charité individuelle.
 
Il n’y a pas deux diocèses catholiques à Montréal, l’un francophone, l’autre anglophone. Il y a une minorité anglophone au sein de l’Église de Montréal et celle-ci a des droits qu’il est important de respecter. Il y a, bien sûr, des services indispensables offerts en anglais par le diocèse. Mais cela doit se faire dans une société québécoise dont la seule langue officielle est le français.
 
La mise au point du cardinal Turcotte, le 19 février 2010, invitait au dialogue. Malheureusement, il me semble n’y avoir actuellement à l’Archevêché de Montréal ni dialogue, ni débat, ni même volonté de débattre. La question de la langue reste délicate et difficile. Mais on ne peut ni ne doit en faire l’économie.

Que vive la langue!

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