Relations Décembre 2012

Le rire: banal ou vital?

Sid Ahmed Soussi

L’antisyndicalisme primaire de Couche-Tard

L’auteur est professeur au Département de sociologie de l’UQAM

Alors qu’elle étend ses activités dans les pays scandinaves, fortement syndiqués, l’entreprise
lavalloise poursuit sa politique antisyndicale au Québec.

 

L’entreprise Alimentation Couche-Tard, qui refuse l’accès à la syndicalisation à ses employés, a récemment subi deux autres désaveux de la Commission des relations du travail, qui a accepté, les 4 et 12 octobre 2012, les demandes d’accréditation syndicale des salariés de deux dépanneurs, à Victoriaville et à Boisbriand. Une centaine d’employés répartis dans sept dépanneurs sont déjà représentés par des syndicats affiliés à la CSN et ceux de trois autres établissements sont présentement engagés dans des négociations afin de signer des conventions collectives, à Saint-Liboire (Montérégie), Saint-Hubert (Longueuil) et Pierrefonds (Montréal).
 
La longue bataille juridique des salariés de Couche-Tard, soutenus par la CSN, apparaît comme un tour de force. Pourtant, le Québec dispose de tous les dispositifs institutionnels nécessaires à l’accès à la syndicalisation d’employés reconnus en tous points comme des « salariés au sens du code du travail ». Ces travailleurs ne revendiquent pas de privilèges particuliers mais veulent simplement s’assurer que les normes du travail sont rigoureusement respectées, par exemple en ce qui concerne les pauses, les augmentations de salaire (jusqu’à un maximum de 12,80 $ l’heure) et les quatre journées de maladie payées.
 
Ainsi, comment expliquer l’attitude de l’entreprise lavalloise qui, après avoir bénéficié de soutiens financiers et autres de l’État et connu de ce fait une croissance remarquable, refuse de reconnaître à ses employés le droit à une convention collective, alors qu’elle leur doit une grande partie de ses bénéfices? Ses profits ont en effet connu une formidable augmentation. S’ils ont légèrement baissé en raison des frais de financement (2,8 milliards de dollars US) que lui a coûté la prise de contrôle du détaillant norvégien Statoil Fuel & Retail, en juillet 2012, ils ont néanmoins atteint le montant de 103 millions de dollars US, en comparaison des 140 millions de dollars enregistrés au même trimestre l’an dernier. Avec cette transaction, l’entreprise a ajouté quelque 1600 magasins à son réseau qui en totalise 6134. En une année, Alimentation Couche-Tard a ainsi déclaré une augmentation de 24 % de ses profits.
 
À la lumière de telles données, la stratégie antisyndicale de Couche-Tard et le discours de ses dirigeants, dénonçant le modèle syndical québécois comme un frein à la croissance, semble difficile à justifier… Qu’à cela ne tienne : l’entreprise, forte d’une riche expérience états-unienne marquée par l’acquisition de nombreux commerces – notamment Circle-K dans 43 États – et d’un modèle de gestion caractérisé par l’exclusion de toute représentation syndicale, ne semble pas chercher à se justifier.
 
Ce qui étonne, c’est plutôt qu’Alimentation Couche-Tard ait choisi de déployer ses activités en… Norvège. Le réseau de 2300 commerces de proximité de Statoil Fuel & Retail est en effet largement syndiqué et réparti principalement dans des pays où le taux de syndicalisation est le plus élevé, notamment la Norvège (siège social), la Suède et le Danemark. En Norvège, où il est de 53,1 %, un des syndicats auxquels fera face Alimentation Couche-Tard est la LO (Landsorganisasjonen i Norge), la plus importante confédération syndicale, dont les syndicats affiliés comptent quelque 865 400 adhérents.
 
Au Québec, la stratégie antisyndicale adoptée par Couche-Tard a un air de déjà-vu. D’autres corporations, comme Walmart et McDonald’s, se sont illustrées ces dernières années par le même discours consistant à dénoncer un modèle de relations du travail pourtant minimaliste, dont les failles permettent à de telles entreprises de se soustraire en toute légalité aux principes les plus élémentaires en matière de droit et de régulation du travail, alors même qu’elles composent volontiers avec la syndicalisation sous d’autres cieux.
 
Ne serait-il pas temps de dépoussiérer un code du travail québécois conçu pour les « trente glorieuses » maintenant révolues, et dont la dernière grande refonte remonte à… 1964? Le Québec ne devrait-il pas s’inspirer des modèles scandinaves de relations du travail, résolument tournés vers leur fonction première : garantir aux travailleurs des conditions de travail et de rémunération décentes dans des modèles économiques pourtant compétitifs?

Le rire: banal ou vital?

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