Relations août 2013

Libérer l'imagination

Philippe Sers

La révolution des avant-gardes. L’expérience de la vérité en art

L’expérience du sens

Ce bel ouvrage sur l’art contemporain nous introduit d’une manière remarquable dans l’univers des artistes qui lui ont ouvert la voie. Le bouleversement des formes et des cadres académiques dans lesquels les beaux-arts étaient encarcanés au début du XXe siècle n’était pas qu’un simple jeu esthétique de transgressions. L’auteur montre bien que les pionniers de l’art contemporain étaient porteurs d’une vision éthique, d’un sentiment de responsabilité à l’égard du monde et de leur époque, se trouvant confrontés autant à la montée du totalitarisme, à sa cruauté et à sa barbarie, qu’à l’emprise grandissante et abêtissante de la mentalité capitaliste.
 
Dans des domaines aussi divers que la peinture, la mise en scène, le cinéma et l’architecture, des créateurs comme Beuys, Duchamp, Eisenstein, Kandinsky, Kantor, Malévitch, Man Ray, Mondrian, Richter, Schwitters et Van Doesburg – pour ne nommer que ceux-là – ont fait de l’art « un mode de résistance aux injustices, un moyen de réflexion sur la société et un système d’invention du futur » (p. 9). C’est que l’art, pour eux, avant d’être représentation du beau, est une expérience intérieure vitale, dans laquelle la beauté et la justice sont indissociables. L’artiste a pour vocation d’en rendre témoignage. D’en indiquer le chemin.
 
Il y a dans cette conception de l’art une sorte de quête de vérité et de sens, d’une transcendance dans le monde, d’une altérité dans la présence, réfractaire à toute volonté de domination, à toute fuite dans les choses. Dans cette quête, les avant-gardes se laisseront guider par des arts délaissés, oubliés, dénigrés, comme l’art primitif, l’art oriental, l’art russe des icônes. Car elles enseignent à leur manière une chose qui leur semble primordiale : ce qui est n’est pas le but, mais le chemin. Un chemin de vie qui mène de l’audible à l’ineffable, au-delà du visible. Ainsi, la distorsion formelle de la réalité dans l’art abstrait et non figuratif, ou encore la transgression des règles de la perspective et le recours fréquent aux fragments et aux collages, contribuent à ébranler une manière de voir et d’être non seulement paresseuse, conditionnée par la routine, mais aussi trop souvent prisonnière d’une abstraction rationnelle qui discrédite tout rapport symbolique au réel, au senti, au vécu. L’objectivité peut devenir un mur qui nous empêche de voir l’horizon de la vie, les profondeurs de l’existence. L’art est une brèche qui élargit notre vision. L’artiste est le passeur d’une rive à l’autre du réel.
 
Ainsi, en tant qu’« expérience de la rencontre du sens » (p. 60), l’œuvre interpelle directement celui ou celle qui la regarde. Il ne peut rester devant elle en simple spectateur sans passer à côté de l’essentiel. Il est convié à entrer dans cette même expérience bouleversante que l’œuvre tente de traduire. L’art devient dès lors un compagnon d’humanité, qui nous apprend à vivre. Art de vivre.
 
L’ouvrage de Philippe Sers, magnifiquement illustré par des œuvres qui ont accompagné les grands moments de la révolution artistique de l’avant-garde, fait fonction pédagogique, en portant notre attention sur les dimensions éthiques, spirituelles et contestatrices présentes dès son origine, nous permettant ainsi de mieux comprendre et apprécier les œuvres contemporaines. Mais ce faisant, il fait aussi fonction de critique d’art. Et à ce titre, il interpelle le milieu artistique, toujours menacé par le conformisme et le carriérisme qui transforment l’art en un ciment esthétique de l’ordre établi.
 
Jean-Claude Ravet

Philippe Sers
La révolution des avant-gardes. L’expérience de la vérité en art
Paris, Hazan, 2012, 223 p.

Libérer l'imagination

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Share via
Send this to a friend