Relations août 2010

Silences

Alain Vallières

La réforme du statut de réfugié : des injustices en vue

L’auteur est avocat et chargé de cours à l’Université de Montréal

En plus d’affecter les demandeurs d’asile les plus vulnérables, le projet de loi implique un transfert de pouvoir inédit entre les mains du ministre de l’Immigration et des fonctionnaires.

Le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, Jason Kenney, a présenté, le 30 mars dernier, un projet de loi intitulé Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés (C-11). Celui-ci a été voté en deuxième lecture le 29 avril 2010 et est étudié par le comité sur la citoyenneté et l’immigration.

Le gouvernement conservateur juge que trop de personnes « abusent » du système de protection des réfugiés afin de contourner les exigences et les délais de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Il s’inspire de la Grande-Bretagne qui a adopté, en 2004, une approche fondée sur la suspicion face aux demandeurs d’asile. En réformant le système d’octroi du statut de réfugié, le gouvernement Harper prétend corriger ce problème tout en maintenant la « longue tradition humanitaire du Canada ». Or, malgré ces déclarations d’intention, aucune proposition n’est faite pour pallier les abus et encore moins résoudre les problèmes liés à l’examen des demandes d’asile.

Que contient ce projet de loi? D’abord, les demandes d’asile actuellement traitées par des commissaires de la CISR seraient confiées à des fonctionnaires. Une entrevue initiale de « collecte de renseignements » avec le demandeur aurait lieu dans les huit jours suivant le dépôt de la demande. Cette entrevue serait suivie d’une audience à la section de la protection des réfugiés, sous la direction d’un fonctionnaire formé à cet effet qui complèterait le processus dans les 60 jours. Le nouveau système proposé comprend également une procédure d’appel complète permettant de présenter de nouveaux éléments de preuve et, dans certains cas, d’obtenir la tenue d’une audience.

Le projet de loi prévoit aussi la création d’une liste de pays jugés « sûrs » par le ministre. Les ressortissants des pays qui ne s’y retrouvent pas verront ainsi leur droit de faire appel nié. Dans quelle mesure le ministre sera-t-il influencé par les pressions politiques de gouvernements insultés que leur pays n’ait pas été qualifié de « sûr »? De même, la question de l’influence de cette désignation sur les fonctionnaires se pose car ce sont eux qui devront décider, en première ligne, du sort de ceux qui demandent protection au Canada. Amnistie internationale qualifie d’ailleurs cette liste de discriminatoire car elle serait incompatible avec l’article 3 de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies.

De plus, le projet de loi touchera les réfugiés les plus vulnérables. Ceux-ci peuvent actuellement déposer, en tout temps, une demande de visa pour des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’ils ne répondent pas aux critères qui déterminent le statut de réfugié. De nombreux demandeurs déboutés qui ont besoin de protection tentent de demeurer au Canada par cette voie. Le projet de loi C-11 interdira dorénavant de déposer une requête dans l’année suivant le refus de la CISR. Il y a tout lieu de craindre que des personnes soient expulsées du Canada durant cette période. La possibilité de faire valoir l’existence de motifs humanitaires pour demeurer au pays deviendra donc théorique pour bien des gens…

Plusieurs groupes, dont Amnistie internationale, le Conseil canadien pour les réfugiés et le Centre Justice et Foi, ont critiqué le projet de loi C-11. L’opposition parlementaire questionne également l’indépendance des fonctionnaires et la liste des pays « sûrs ». Mais le principal problème posé par cette réforme réside dans le transfert des pouvoirs qu’elle implique. En effet, un glissement du pouvoir s’opère discrètement de la CISR, le plus grand tribunal indépendant du Canada, vers le ministre, qui pourra influencer le processus d’octroi du statut de réfugié. L’indépendance de la CISR était pourtant relativement garante de la neutralité politique dans l’examen des demandes d’asile. En accordant un pouvoir déterminant à la fonction publique fédérale – sur laquelle le gouvernement a la mainmise –, ce nouveau système exclura des décideurs qualifiés provenant de divers horizons dont les universités, les organisations de droits de la personne et les organismes sociaux. Or, la neutralité est essentielle à la prise de décisions justes en matière de droit d’asile. La protection des demandeurs d’asile, dont les plus vulnérables, concerne celle des droits fondamentaux de la personne et devrait donc demeurer apolitique.

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