Relations août 2012

Louise Lacroix

La permaculture : un rapport différent à la nature

L’auteure, membre de Villeray en transition, est formatrice en permaculture

Cette façon d’envisager l’agriculture nous invite à réfléchir sur nos manières de vivre et de produire.

Agriculture urbaine, culture biologique, souveraineté alimentaire – voilà des expressions qui nous sont de plus en plus familières et auxquelles nous pourrons peut-être un jour ajouter celle de permaculture. Mais il ne s’agit pas simplement d’un nouveau concept « bio » parmi d’autres. La permaculture est une vision écologique de l’aménagement du territoire qui tient compte des besoins des êtres humains en s’inspirant de l’autorégulation des écosystèmes naturels. Il s’agit autant d’un savoir-faire que d’une réflexion éthique sur nos manières de vivre et de produire. Elle a été progressivement élaborée dans les années 1970 par les militants australiens Bill Mollison et David Holmgren, influencés par Masanobu Fukuoka, un agronome japonais pratiquant une « agriculture du non-agir », c’est-à-dire sans labour ni désherbage, réduisant au strict minimum l’intervention humaine dans la nature. D’autres penseurs et activistes ont enrichi et popularisé cette philosophie pratique, notamment en produisant un guide et un corpus de formation aujourd’hui diffusés internationalement. Des milliers de personnes ont ainsi été formées à travers le monde, entre autres au Québec, où la permaculture est surtout connue dans les milieux anglophones pour le moment.
 
Même si elle est relativement encore peu répandue, la permaculture a déjà fait ses preuves dans la réhabilitation de sols désertiques. À partir de techniques simples, on a effectivement réussi à créer un verger dans un espace désertique de Jordanie, en commençant par recueillir et conserver l’eau grâce au choix de végétaux appropriés. C’est d’ailleurs dans ce désert que s’est tenue la XXe Conférence internationale sur la permaculture, en 2011.
 
Interactions entre les éléments vivants
Fruit de la fusion des mots « permanence » et « culture », la permaculture s’inspire de la pérennité de la nature, de la fertilité naturelle et, plus particulièrement, de la forêt en tant qu’écosystème complexe et durable. La forêt n’a pas besoin d’intervention humaine pour être un espace fertile qui se régénère; elle est un milieu de vie stable et diversifié où le vivant dans toute sa diversité vit en interdépendance et en complémentarité. L’agriculture n’est cependant pas la seule composante de la permaculture, l’objectif premier étant d’abord d’utiliser le moins d’énergie possible à partir des ressources renouvelables, d’aller dans le sens de la nature et non contre elle. Elle s’oppose ainsi à l’agriculture industrielle basée sur la monoculture, qui requiert des pesticides et des engrais chimiques. Elle s’écarte aussi de certaines pratiques de l’agriculture biologique quand celles-ci requièrent une quantité colossale d’énergie humaine ou mécanique. C’est pour cette même raison qu’elle tourne également le dos au concept de développement durable, associé à une logique capitaliste.
 
Notre culture et, plus largement, notre civilisation dépendent du pétrole et de ses dérivés. Si on ne fait rien pour sortir de cette dépendance, le déclin de cette production risque d’entraîner une grave crise économique et sociale. C’est ce constat lucide qui amène les permaculteurs à préconiser la production alimentaire locale (sortir de l’alimentation industrielle) et l’autonomie énergétique (à partir d’énergies renouvelables) dans une perspective de résilience écologique des communautés. La permaculture est ainsi indissociable des nombreuses initiatives citoyennes qui font la promotion de l’agriculture urbaine et de l’autonomie des collectivités locales comme, par exemple, le réseau international Villes en transition[1]. Celui-ci a d’ailleurs été fondé par un formateur en permaculture, Rob Hopkins, en 2005, en Irlande. Ces différentes alternatives ont aussi en commun de partager des savoirs dans la communauté et, plus particulièrement entre les générations. Une fois qu’on choisit d’intégrer la permaculture dans sa vie, il faut apprendre à développer de multiples savoirs (horticulture, énergies renouvelables, conservation de l’eau, etc.) et chercher à les collectiviser de façon à ce que le plus grand nombre de personnes puissent se les approprier et ainsi développer l’autonomie.
 
Éthique et aménagement
En permaculture, on ne choisit pas seulement les plantes à cultiver en fonction du sol ou du climat, mais aussi selon une logique de synergie et de collaboration entre les végétaux, les animaux et les humains. À cet égard, les permaculteurs ont développé le concept de guilde végétale (association de plusieurs espèces), lequel implique que des êtres vivants travaillent de concert en collaborant simultanément au bien-être de l’ensemble. L’exemple le plus connu de cette guilde est sans doute celui des « trois sœurs », selon l’expression du peuple Hopi : maïs, haricot et courge. La tige du maïs sert de tuteur aux haricots qui apportent de l’azote à la terre, tandis que les feuilles de courge conservent l’humidité du sol.
 
Si on multiplie ces guildes productrices d’aliments, si on tient compte des besoins et des déplacements des humains qui habitent cet espace et si on se soucie constamment de faire une utilisation optimale de l’eau, du vent et du soleil, on répond alors aux trois principes de base qui régissent toutes les activités de permaculture, peu importe l’ampleur du projet : prendre soin de la terre, prendre soin des humains et partager équitablement. De là découle un véritable art de vivre écologique qui pourra être mis en œuvre à différentes échelles – potager, cour, ferme, parc, ville, etc.
 
Comme en aménagement du territoire, la première étape consistera d’abord à déterminer l’étendue de l’espace à transformer, à en faire l’inventaire exhaustif ainsi qu’à prévoir les usages que les humains veulent en faire. Les permaculteurs appellent cette étape le design (concevoir, aménager, créer) et s’inspirent des interrelations au sein d’un écosystème qui tend naturellement à optimiser l’utilisation de l’énergie. Par exemple, si on décide d’aménager une cour, on examinera attentivement les effets du soleil et du vent selon les saisons, les chemins que prennent naturellement les humains et les animaux qui l’utilisent, le type de sol, l’accès à l’eau et à l’énergie, de même que les végétaux et les matériaux déjà présents sur place, en veillant à ce qu’il y ait le moins de gaspillage d’énergie et de déchets possible. Ainsi, une haie pourrait être plantée au nord pour protéger les fraisiers du vent, une haie portant des fruits tard en saison dont les oiseaux pourraient profiter en hiver. Les résidus de la taille de cette haie au printemps pourraient être utilisés comme paillis dans les allées du potager ou sous les fraisiers. Selon le type de haie choisie, on pourrait y entremêler des haricots ou des pois grimpants. Les haricots ayant la propriété de fixer l’azote au sol, on enrichit le sol tout en se préparant une récolte de plus. Dans le plan d’aménagement, on vise l’utilisation d’une majorité de plantes vivaces et faciles d’entretien, car le rendement énergétique vise aussi à économiser les efforts de la personne qui prend soin du jardin. Le temps passé dans le hamac à planifier et à évaluer un aménagement n’en sera que plus jouissif!
 
Puisqu’il s’agit d’une vision systémique, le choix de végétaux – en particulier dans la conception d’un espace – est moins important que le souci de tirer le maximum de bénéfices des liens créés entre tous les éléments qui composent cet espace. Les humains y occupent une place prioritaire car l’aménagement de l’espace doit répondre à leurs besoins. Dans l’exemple d’une cour, on observera les zones d’utilisation de l’espace : quels sont les sentiers naturellement utilisés? Changent-ils selon les saisons? A-t-on besoin d’un espace de rangement, d’un endroit pour stationner le vélo? Où passe la corde à linge? Désire-t-on un espace de jeu, de détente? Ensuite, on pensera à relier ces zones entre elles. Par exemple, l’espace de jeu des petits doit être à portée du regard des adultes. Le composteur sera installé loin de la table de patio, mais près de la porte de la cuisine. Jusqu’ici, cela ne diffère pas vraiment d’un plan d’aménagement classique. Mais si on y ajoute les principes de réutilisation des matériaux, de multifonctionnalité de chaque élément, de rendement énergétique, d’intégration et de valorisation de la diversité, on vient de changer la vision de l’espace. Les éléments ne sont plus uniquement fonctionnels, ils sont placés en synergie, en interconnexion les uns avec les autres et avec l’ensemble des êtres vivants qui habitent cet espace.
 
Pour faciliter cette interconnexion et la dépense minimale d’énergie, les permaculteurs diviseront le territoire en différentes zones d’utilisation humaine. Cette analyse de l’espace tient compte de l’utilisation optimale de l’énergie humaine et des déplacements habituels. Partant de la zone 0 (la maison), on se dirige progressivement vers la zone 5, l’espace laissé à l’état sauvage. Entre ces extrêmes, on passe par la zone 1, le potager, la zone 2, le verger et la basse-cour, la zone 3, le pâturage et la zone 4, la terre en friche. Cette analyse globale, très souple, peut être adaptée à l’échelle d’une cour ou d’un parc. En permaculture, les solutions dépendent directement des éléments en place à un endroit précis et non d’une méthode figée. Le problème perçu contient la solution : les déchets horticoles sont transformés en compost, un muret crée de l’ombre dont les laitues bénéficieront, la clôture de la cour permet de faire grimper les haricots, etc.
 
Symbolisant la création, l’infini et l’évolution, la spirale est probablement l’emblème par excellence de la permaculture. Diversité et synergie. Une spirale d’aromates permettra, par exemple, d’avoir un maximum de plantes dans un minimum d’espace. Cette spirale, placée à proximité de la cuisine, peut être montée à partir de pierres ou de briques récupérées, de paille ou de branchages et de compost. Comme elle est faite en hauteur, elle permet de bénéficier d’une variété de microclimats (humidité, vent, ensoleillement, etc.) et d’optimiser un très petit espace. Ainsi, les plantes situées plus haut bénéficient de plus de soleil et d’un sol plus sec (idéal pour le thym), tandis que celles du bas peuvent être protégées du vent et conserver plus longtemps l’humidité (le persil ou le basilic, par exemple). Bien sûr, la permaculture a aussi ses petites obsessions et compulsions : le compostage, les forêts nourricières, la conservation de l’eau et le rôle sous-estimé et encore mystérieux des champignons qui, avec certains végétaux, ont une capacité étonnante de digestion des métaux lourds et jouent ainsi un rôle majeur dans la régénération des sols contaminés.
 
Une vision holiste
Sa recherche d’harmonie avec et dans la nature, sa mise en relation de tous les éléments vivants confèrent à la permaculture une dimension spirituelle indéniable, bien que plusieurs hésitent à l’évoquer par crainte d’être étiquetés « nouvel âge », préférant plutôt mettre de l’avant son aspect scientifique ou technique.
 
À contre-courant du productivisme et du consumérisme et s’opposant au prêt-à-jeter qui les caractérise, la permaculture propose une approche différente, proche de la simplicité volontaire et de la décroissance. Certes, il n’est jamais facile d’amener une nouvelle vision du monde quand elle oblige à changer des comportements et des attitudes et qu’elle demande du temps. Pourtant, l’application des principes de la permaculture à la société humaine dans son ensemble nous serait largement bénéfique. Pensons à la valorisation de la diversité, à la créativité encouragée, à l’intégration des éléments au lieu de leur séparation. Plusieurs organismes communautaires travaillent déjà à valoriser cette vision alternative et à trouver patiemment des solutions à petite échelle. Il nous reste maintenant à interconnecter tous ces aspects afin d’en dégager une vision englobante de l’être humain et de la nature, cruellement absente actuellement. La permaculture nous invite à vivre de façon éthiquement responsable, à agir ensemble dans notre milieu pour le rendre durable, inclusif et inspirant. Dans nos sociétés de surconsommation affectées par le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, ce n’est rien de moins qu’un appel à une révolution culturelle!


[1] Voir Iseult Séguin-Aubé, « Le mouvement des Villes en transition », Relations, no 741, juin 2010.

La mémoire vivante

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