Relations mai-juin 2018

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

André Beauchamp

La force de marcher – Wab Kinew

Membre de la nation Ojibwé, Wab Kinew a été journaliste à Radio-Canada, musicien, conférencier. Il est actuellement chef du Nouveau parti démocratique du Manitoba et chef de l’opposition à l’Assemblée législative de cette province. La force de marcher raconte le chemin parcouru par son père Tobasonakwut, surnommé Ndede (mon père) – de son passage dans les pensionnats autochtones à son combat contre le cancer en passant par sa lutte pour les droits civiques et politiques des Autochtones. En filigrane, on assiste à la réconciliation entre le père et le fils, qui symbolise également un chemin de réconciliation entre les Premières Nations et le Canada.

Le récit est alerte et bien mené malgré quelques passages obscurs et l’utilisation fréquente de la langue ojibwé sans que la traduction ne l’accompagne toujours. C’est un récit puissant, émouvant ; un récit de vie où s’entremêlent constamment des réflexions à caractère politique, spirituel et anthropologique.

Trois lignes de force me semblent s’en dégager : l’oppression subie par les peuples autochtones, l’importance de la spiritualité amérindienne et de ses rites et la réconciliation.

L’oppression subie par les Autochtones est omniprésente. L’auteur décrit le moment où son père Tobasonakwut est amené au pensionnat de St. Mary près de Kenora, en Ontario. « C’est dans cette institution dirigée par les Oblats que, sujet d’une expérience d’ingénierie sociale de grande ampleur dont le but était de “tuer l’Indien dans l’enfant”, il allait vivre la plus grande partie des dix années suivantes » (p. 21). Son nom fut remplacé d’abord par un numéro, le 54, ses cheveux furent rasés et il lui fut interdit de parler sa langue maternelle. On lui donna ensuite un nom irlandais : Peter Kelly.

L’importance de la spiritualité amérindienne imprègne aussi tout le récit. C’est le recours à la spiritualité qui permet à Wab Kinew de retrouver son équilibre et sa force malgré ses errances : fugues, violences, alcoolisme, divorce, etc. La prière méditative en pleine nature avec une grande attention aux signes annonciateurs de vocation revêt une importance centrale : fréquence du rêve, de l’offrande de tabac, du jeûne et, surtout, du grand rite d’initiation qu’est la danse du soleil. Le chapitre 15 est une véritable fresque ethnologique sur ce rite d’initiation. Le candidat, après un jeûne sévère, est appelé à aller au bout de ses forces en entraînant des crânes de bison reliés à une corde dont le bout est planté dans la chair de son dos. Rite extrême à saveur sacrificielle qui mène l’aspirant dans un état second, véritable renaissance.

La troisième ligne de fond du récit est celle de la réconciliation du fils avec le père et du père avec le fils qui passe, après la mort du père, par la recherche d’une communion au-delà de la mort. Le père avait gardé un fond de foi catholique avec laquelle il a voulu se réconcilier. Cela s’accomplit en partie lors de la canonisation de Kateri Tekakwitha et avec l’adoption comme frère de James Weisberger, évêque catholique de la région. Le thème de la réconciliation est aussi évoqué sur le plan politique, surtout à propos des excuses du premier ministre Stephen Harper.

La finale est de haut vol :

« Quand les divisions triomphent, nous devons faire des efforts supplémentaires et réparer ce qui a été brisé.
Et reconnaître que la plus grande bataille n’est pas celle qui nous oppose les uns aux autres, mais à notre douleur, à nos problèmes et à nos défauts.
Être blessé, et pardonner. Faire des erreurs, et se pardonner à soi-même. Quitter ce monde, et n’y laisser que l’amour.
C’est ce qui donne la force de marcher. »


La force de marcher
Wab Kinew
Traduit de l’anglais par Caroline Lavoie
Montréal, Mémoire d’encrier, 2017, 307 p.

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