Relations décembre 2004

Autochtones : de l'exil à  l'existence politique

Manon Tremblay

La femme autochtone : hier, aujourd’hui et demain

L’auteure, Crie des plaines, est coordonnatrice au Centre de soutien aux étudiants et étudiantes autochtones de l’Université Concordia

Le nouveau rapport d’Amnistie internationale sur la discrimination et la violence faites aux femmes autoch­tones du Canada accuse ouvertement le gouvernement canadien d’ignorer les causes et les conséquences des pro­blèmes socio-économiques qui hantent celles-ci. Ce rapport ne révèle rien de nouveau. Toutefois, Amnistie internationale accomplit ce que les femmes autochtones ne réussissent pas à faire pour et par elles-mêmes : se faire entendre. Les femmes autochtones n’ont tout simplement pas voix au cha­pitre, que ce soit auprès des autorités canadiennes ou au sein de leurs communautés d’origine.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Jadis, dans les sociétés iroquoiennes, ce sont les femmes qui détenaient le pouvoir politique. Chez les peuples algonquiens, les femmes contrô­laient l’économie. Chaque membre de la communauté, homme, femme ou enfant, était respecté pour sa contribution. Tout ceci a changé dès les premiers contacts avec les missionnaires et explorateurs de souche européenne qui, en proie à de violents chocs culturels et motivés par des desseins évangéliques ou commerciaux, ont tenté de changer l’ordre des choses. C’est ainsi qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, les Autochtones ont appris qu’ils n’y connaissaient rien du tout : la femme n’était pas l’égale de l’homme. Tout au long du XXe siècle, ce message a été renforcé maintes fois par un gouvernement canadien qui, préoccupé par la consolidation de son territoire, voulait en finir une fois pour toutes avec le « problème indien ». Il y a eu d’abord la Loi sur les Indiens et les réserves, qui a effecti­vement privé la femme autochtone de son droit d’être reconnue. Ensuite, il y a eu les pensionnats où, en plus des atrocités qui ont été commises, les jeunes filles apprenaient à s’aliéner de leurs rôles traditionnels et à épouser, à force coups de bâton, les valeurs de la société canadienne. Puis, il y a eu le « Sixties Scoop », époque glorieuse de l’histoire canadienne où les enfants autochtones étaient arrachés des bras de leurs parents et adoptés dans des familles blanches, puisqu’on ne faisait pas confiance à la femme autochtone pour élever ses propres enfants. Autant de politiques d’assimilation visant le génocide des peuples autochtones du Canada.

Loin d’avoir réussi leurs projets d’assimilation, les au­torités ont plutôt semé l’anomie dans les communautés au­toch­tones. La pauvreté, le taux de suicide, les problèmes endé­miques de santé, la violence conjugale, la corruption politique peuvent tous être attribués à la confusion de peuples en perte de culture et d’autonomie.

Malgré tout, les femmes autochtones sont fortes. Loin de se contenter de leur sort, elles se sont ralliées et battues pendant plus de 20 ans pour faire valoir leurs droits. En 1986, l’introduction de la Loi C-31 annonce une nouvelle ère où la femme autochtone se voit reconnue, il fallait s’y attendre, presque au même titre que les hommes. Mais si elle gagne une bataille, la paix tarde à venir puisque les hommes autochtones épousent désormais les valeurs canadiennes bien qu’ils affirment le contraire. La grande majorité du pouvoir politique et économique est maintenant dans les mains des hommes qui font affaire, comme beaucoup de politiciens, sans trop se préoccuper du bien-être de leurs communautés. Dans plu­sieurs communautés, la femme autochtone n’est pas plus bienvenue depuis la Loi C-31 qu’avant. Des pressions plus ou moins subtiles s’exercent pour l’exclure et elle est souvent forcée de s’exiler dans des milieux urbains en quête d’une meil­leure vie pour ses enfants.

Afin d’y parvenir, la femme autochtone s’éduque. Dans la grande majorité des universités québécoises et canadiennes, depuis les dix dernières années, les femmes représentent jusqu’à 80 % de la population étudiante autochtone. Leurs choix d’études reflètent souvent leur désir d’investir dans leurs communautés d’origine. Mais la rentrée au bercail n’est pas toujours aisée : la femme éduquée est une cause d’anxiété pour les politiciens autochtones qui ne veulent pas nécessairement que l’ordre des choses change. Mais la femme au­tochtone est tenace et, petit à petit, mine de rien, elle re­prend sa place parmi les siens. Cependant, la partie ne sera complètement gagnée que lorsque les politiciens autochtones et, par leur exemple, l’ensemble de la société canadienne, chan­geront l’opinion qu’ils ont des femmes autochtones pour les accueillir à bras ouverts, d’égal à égale. En attendant, le rapport d’Amnistie internationale, après son fracas initial, sera largement ignoré.

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