Relations août 2010
Ils ne diront rien et Des silences
C’est une histoire militaire. Avec des stations d’essence et des ruines. C’est une histoire militaire avec des colliers brillants et des aigles en or géants sur les bâtiments. C’est une histoire de mitraillettes décoratives et de cartes postales splendides. C’est une histoire en couleurs qui n’existent pas. C’est blanc sur la photo et sombre dans la vie. C’est bleu dans le livre et mort dans la rue. C’est la peau basanée au poste de police, le banquier en lunettes noires sur la place fourmillante de soldats. C’est le cliquetis des armes et matraques, le pas lent des foules de vieillards. C’est une fiction qui s’appelle le monde, on y a toujours cru. C’est une histoire d’optimistes ayant mené bataille, gagné leurs épaulettes, ayant fait place nette, yeux doux, bouche cousue, affaires d’or. Et le silence est d’or.
Ils ne diront rien. Il y aura des anges mais pas ici. Ici, il y aura la loi du silence, des soldats étranges dans leurs guérites, surveillant les gens, le bonheur qui avance, préoccupé, tendu, rigide comme un soldat qui foudroie les gens du regard, tous, policés par la candeur et la violence noyée dans les mares de silence.
Ils ne diront rien, les uns et les autres, rien ne se dira, personne n’écoutera personne. On mettra des sourds dans les guérites, habillés en soldats, on leur demandera de surveiller le bonheur. Une grande comédie fera frémir la foule, terriblement heureuse.
Les gens seront heureux dans la tyrannie du bonheur, plus grands que nature, surveillés, encadrés par l’image, comme dans un rêve.
Ils avanceront comme des gens heureux que rien ne trouble, le cœur crispé, le sourire à peine perceptible, les yeux inquiets. Ils feront les gestes du bonheur, délestés du désastre. Ahuris dans le diesel de la canicule, ils enverront des cartes haute définition où le bleu trop bleu devient rouge et jaune, où la foule blanche danse, haute en couleurs, comme si l’image était l’icône sacrée, la force fabulée de leur propre vie à eux qui passent au ralenti devant les guérites où tout se tient, le droit, la loi, la liberté du mensonge en habit empesé, armé.
Ce sera tout. Tout comme le bonheur matraqué dans la tête, comme une certitude, fanatique, absolue. Un militaire apparaîtra sur la photo, ils ne verront rien. Ils souriront, épuisés. Ils diront : c’est aussi beau que dans le guide, le monde entier, soudainement, un peu lourd entre leurs mains.
Hélène Monette, inédit, projet d’écriture Là où était ici.
Des silences
Des silences regardent les soldats passer
avec des yeux sans vitre
des fenêtres sans châssis
les guerres sont longues et aveugles
parmi le cri d’une foule
jamais foulée, jamais touchée de l’espérance
toujours ce silence
et ces fous
avec des paupières sans arrière-pensée
des cils collés aux joues
et le temps déguerpit
debout
en plein sommeil réel
en plein soleil couché
les nuits sont courtes et muettes
et la vie attend peut-être d’y croire
avant de se lever…
avril 1981
Hélène Monette, Passions, La Prairie, Éditions de la p’tite voisine, 1982.