Relations mai-juin 2018
Honduras : une dictature en voie de normalisation
L’auteur, jésuite, est directeur de Radio Progreso et de l’Équipe de réflexion, recherche et communication (ERIC) au Honduras1
Le poids du gouvernement étasunien en Amérique centrale, et notamment au Honduras, s’est fait lourdement sentir dernièrement. Il a suffi qu’il déclare, le 22 décembre dernier, que Juan Orlando Hernández est sorti gagnant des turbulentes élections présidentielles tenues le 26 novembre 2017 pour que les pays voisins en fassent autant, rompant ainsi un silence de plusieurs semaines.
La géopolitique impériale s’est de nouveau imposée sur les dynamiques nationales du Honduras. Comme dans une république de bananes, les affaires honduriennes se règlent sans le pays, en dehors du pays et contre le pays et sa population.
À partir du 27 janvier 2018 s’est donc imposé un régime qui cherche à se maintenir au pouvoir au moyen d’une stratégie à cinq volets.
Il y a d’abord le volet international. Un régime rejeté par au moins les trois quarts de la population a besoin d’une reconnaissance internationale. Or, celle-ci est jusqu’à présent très précaire. Aucun chef d’État n’était présent à la cérémonie d’investiture du président Juan Orlando Hernández. Il ne fait aucun doute que ce dernier a toute la faveur de Washington, mais les nombreuses fraudes qui ont entaché les élections rendent difficile une reconnaissance internationale forte et assumée.
Viennent ensuite la légitimation et le maquillage de la dictature que le gouvernement cherche à obtenir grâce à l’appel récurrent au dialogue national et à la création d’un ministère des Droits humains. Le dialogue a déjà été utilisé en 2015 en pleine crise, à la suite des manifestations massives pour dénoncer le saccage des institutions publiques par les hauts fonctionnaires et les membres du parti de Juan Orlando Hernández. Lorsque ce dernier et son équipe se sont vus acculés au pied du mur, ils ont en effet convoqué un dialogue « inclusif, ouvert et sans conditions » qui n’a servi dans les faits qu’à normaliser la situation en plaçant le président dans une position avantageuse pour solliciter un nouveau mandat, même si la constitution l’interdit. Cela a débouché sur une crise électorale et un séisme politique et social dont on cherche aujourd’hui à sortir en rééditant un nouveau « dialogue national » dont l’objectif non avoué est d’avaliser la réélection et la fraude électorale.
L’autre aspect du maquillage du projet dictatorial est la création du ministère des Droits humains. Comment prendre au sérieux une telle mesure quand on connaît le rôle qu’a joué le gouvernement dans la violente répression des manifestations populaires, notamment celle qui a suivi l’annonce des résultats électoraux en novembre dernier ? Ce nouveau ministère a toutes les apparences du sourire du bourreau.
Le volet médiatique de la stratégie présidentielle vise quant à lui à promouvoir, d’une part, le profil humain, spirituel et familial du chef d’État et, d’autre part, à souligner les bénéfices du dialogue national en vue de la réconciliation de la grande famille hondurienne. Il vise également à souligner les dommages et préjudices prétendument provoqués par la contestation du régime. C’est au sein du cercle médiatique contrôlé par le régime et allié aux grandes entreprises que se définit la stratégie pour contrer les défenseurs des droits humains, les journalistes indépendants et les opposants. Cette stratégie consiste soit à les ignorer, les soudoyer, les persécuter, les discréditer ou les criminaliser ; soit, si aucun de ces moyens ne réussit à les neutraliser, à les éliminer tout simplement. Les membres de Radio Progreso et de l’ERIC connaissent malheureusement trop bien ces tactiques pour en avoir été les cibles…
Pour se maintenir au pouvoir, le gouvernement compte aussi sur le volet populiste de sa stratégie. Celui-ci s’est assuré l’achat des volontés et des consciences en investissant des millions de dollars dans des programmes sociaux afin d’apaiser les millions de personnes sans emploi et vivant dans la misère. C’est là un des principaux traits du populisme d’extrême droite qui caractérise le régime actuel.
Enfin, il y a le recours à la répression contre les opposants. C’est là sa dernière arme pour se maintenir au pouvoir. À cette fin, Juan Orlando Hernández a nommé de nouveaux commandants des forces armées qui, dans les années 1980, ont participé à des opérations de contre-insurrection et sont soupçonnés d’avoir assassiné et fait disparaître des opposants au régime, au cours de cette sombre époque.
Le mouvement d’opposition citoyenne repose sur le fait que la réélection de Juan Orlando Hernández, d’emblée inconstitutionnelle, a été rendue possible grâce à une fraude électorale généralisée. C’est la raison pour laquelle le mouvement exige l’annulation du scrutin et la convocation de nouvelles élections sous la supervision de l’ONU. Il réclame de plus l’identification et la mise en accusation des responsables des assassinats de manifestants depuis les élections, la démilitarisation de la sécurité publique et une enquête approfondie sur les réseaux de corruption qui gangrènent le gouvernement.
Une fois les nouvelles élections réalisées, le gouvernement élu pourra mettre en marche une consultation nationale qui aura pour mandat de décider s’il faut ou non convoquer une assemblée constituante pour redéfinir les principes démocratiques et constitutionnels de la société hondurienne.
1 Depuis l’assassinat de son amie et leader autochtone Berta Cáceres, en mars 2016, en raison de son opposition à un projet hydroélectrique en territoire lenca, Ismael Moreno Coto, plus connu sous le nom de « Padre Melo », a reçu des menaces de mort. Il est accusé d’inciter à la violence et à l’anarchie. Ces gestes d’intimidation s’inscrivent dans une longue série de menaces et de violences subies par des membres de Radio Progreso et d’ERIC.