Relations mai-juin 2018

Louise Leboeuf

Hommage à une religieuse engagée

L’auteure est membre d’organisations pour la défense des droits humains et la justice sociale

Décédée à 101 ans, Christiane Sibillotte restera une figure inspirante de l’engagement social au Québec.

 

Décédée le 22 décembre 2017, Christiane Sibillotte aura vécu au Québec plus de 68 ans, ayant quitté la France à l’âge de 33 ans. L’une des fondatrices de la communauté des Auxiliatrices au Québec, elle aura durant toute sa vie religieuse « aidé à tout bien, quel qu’il soit » et agi pour un monde plus juste et plus égalitaire.

D’abord à Granby, en 1949, Christiane Sibillotte assume plusieurs services dans la communauté : elle sera notamment responsable du noviciat et supérieure provinciale, en plus de prodiguer des soins à domicile, en bicyclette, rejoignant ainsi les malades les plus pauvres. Elle contribue aussi de façon significative au renouveau de la vie religieuse et de la spiritualité ignacienne. En 1955, elle participe à la création de terrains de jeux pour les filles, inexistants à l’époque. Sa préoccupation pour l’égalité entre les femmes et les hommes l’a toujours caractérisée.

Pharmacienne de formation, elle s’engage en 1973 à la mise sur pied de la Pharmacie communautaire de Pointe-Saint-Charles, à Montréal, toujours active d’ailleurs. Par sa politique d’achat au prix le plus bas, l’abolition de la marge de profit, ses enseignements à la population et la dénonciation de l’exploitation des compagnies pharmaceutiques, cette pharmacie pratique une approche différente du traitement de la santé. Cette approche contribue à contrer l’usage abusif des médicaments et favorise une plus grande autonomie individuelle et collective de la population. Christiane Sibillotte en demeurera une fidèle collaboratrice durant 23 ans. En 1976, avec sa consœur Gisèle Ampleman et moi-même, ainsi que quelques autres personnes militantes, elle met sur pied une maison de campagne collective, La Botte de foin, qui concrétise le droit aux vacances pour des personnes à faibles revenus. Christiane participera à ce projet durant plus de 30 ans.

Dans les années 1970, dans la foulée de la Révolution tranquille et des questionnements qui s’ensuivirent pour les communautés religieuses, elle contribue avec ses sœurs auxiliatrices à la communauté chrétienne Saint-Albert, à Montréal, pour « réfléchir, prier et vivre ensemble une liturgie en prise sur la vie et l’actualité », et où elle a « appris à vivre des célébrations […] en lien avec l’engagement, où une place était donnée aux enfants », comme elle le dit elle-même dans un document produit à l’occasion de son 101e anniversaire. Dans le même esprit, elle s’engage personnellement dans une petite communauté de base, afin de répondre aux besoins de personnes de milieux populaires. Elle devient membre du Réseau des politisés chrétiens, un groupe de réflexion explorant des pistes pour lier engagement politique et foi chrétienne.

En 1980, Christiane rejoint le Mouvement socialiste et devient sa trésorière et agente officielle quand celui-ci se constitue en parti. En 1995, elle est porte-parole officielle de 400 religieuses du Québec pour le comité du Oui lors du référendum sur l’indépendance. En forme et jeune de cœur autant que d’esprit, elle est la marcheuse la plus âgée, avec ses 79 ans, à la Marche du pain et des roses pour contrer la pauvreté des femmes et les violences dont elles font l’objet. Fidèle militante de la cause palestinienne, elle se rend devant le consulat des États-Unis pour manifester son appui au peuple palestinien, tous les vendredis pendant cinq ans.

Atteinte de surdité dès la cinquantaine, loin de se refermer sur elle-même, elle prend tous les moyens pour rester active et devient membre de l’Association des devenus sourds ou malentendants du Québec dans les années 1990. L’ordinateur devient son outil privilégié pour communiquer avec sa famille française et informer son réseau, l’incitant à signer différentes pétitions. Membre d’organisations féministes (l’Association des religieuses pour les droits des femmes et la Fédération des femmes du Québec) et pour les droits humains (Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés), elle participe jusqu’à l’âge de 96 ans à bien des manifestations, incluant celles en appui au mouvement étudiant, en 2012.

Dans sa dernière année, elle se disait heureuse de pouvoir observer les manifestations à la place Émilie-Gamelin de la fenêtre de sa résidence. Les sœurs de son équipe bénéficiaient encore chaque matin de ses commentaires, à la lecture du Devoir, ainsi que des textes qu’elle rédigeait en appui à des groupes ou à des revendications auprès des autorités publiques.

Le long parcours d’engagement de Christiane a été ponctué de nombreuses marques de reconnaissance, entre autres de la part de Centraide et du Mouvement québécois des camps familiaux. À l’occasion de son 100e anniversaire de naissance, elle a même reçu de la députée provinciale de sa circonscription, Manon Massé, la médaille de l’Assemblée nationale. Elle a également reçu le prix des Journées sociales du Québec, lors de leur édition de 1999, tenues sous le thème « À nous le politique, donner des mains à l’espérance ». Le prix lui avait été remis avec ces mots : « Christiane est une auxiliatrice à vision sans frontières, citoyenne déterminée, militante solidaire, professionnelle engagée et prophétesse ». Elle demeurera une source d’inspiration dans nos actions pour un monde plus juste et égalitaire dans le respect de la dignité humaine.

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