Relations mars-avril 2016
Guy Paiement, prophète du pays réel – Élisabeth Garant (dir.)
Nous devons remercier le Centre justice et foi d’avoir publié ce livre sur les écrits du jésuite Guy Paiement (décédé en 2010) et ses multiples engagements, notamment dans la Communauté de base des Chemins, au Centre Saint-Pierre, aux Journées sociales du Québec, à la revue Relations, etc.
L’ouvrage est bien construit. Par ordre chronologique, on y regroupe des textes choisis qui couvrent la période de 1975 à 2009, en les plaçant sous deux grandes thématiques : foi, spiritualité et théologie, d’une part ; analyse, justice et engagement social, d’autre part. Une courte introduction et quelques textes d’appoint de collaborateurs et collaboratrices structurent chaque section. Cette façon de faire permet au lecteur de bien saisir les fondements et les développements de la pensée de ce religieux engagé dans le pays réel. Elle favorise aussi la compréhension d’un mouvement social post Vatican II qui a eu des répercussions dans plusieurs régions du Québec et au cœur duquel Guy Paiement était à la fois un prophète, un théologien, un pédagogue et un rassembleur.
Ce livre n’a pas uniquement une valeur historique. Les réflexions et les façons de faire qu’on y trouve gardent toute leur pertinence aujourd’hui tant pour les personnes qui sont préoccupées par les inégalités de toutes sortes et par les façons de s’en sortir que pour celles qui s’intéressent aux questions de foi et de spiritualité telles qu’elles se posent dans le monde et l’Église aujourd’hui. Pour Guy Paiement, il n’y a pas de dissociation entre le social et le spirituel ; on décèle chez lui un effort constant pour établir les liens et les interpellations entre les problématiques ecclésiales, sociales et politiques en fonction du vécu concret des personnes. Comme l’affirme Élisabeth Garant en avant-propos, la division même de l’ouvrage en deux parties « est quelque peu factice. Ce ne sont guère des divisions étanches. Il y a des textes dont le caractère religieux est indéniable, mais la préoccupation pour les enjeux du monde et pour les plus marginalisés s’y glisse constamment. De même, ses textes à portée plus politique et sociale parlent à partir de symboles et en termes séculiers de l’Esprit et de l’Espérance qui l’habitaient et qu’il décelait ».
Deux thèmes ont attiré plus particulièrement mon attention : la communauté et l’analyse sociale. Guy Paiement a participé pendant 40 ans à la Communauté de base des Chemins. Elle a été pour lui un lieu de déplacement continu de la foi, d’accueil de l’autre, de découverte du pays réel, d’attention aux personnes dont les droits sont brimés, d’interrogation sur le devenir humain. Il la décrit comme un rassemblement où s’exprime le souffle de l’Esprit si nécessaire aux engagements, aux ruptures avec une société et une religion figées, au dépassement de soi. Pour lui, toute communauté, pour être vraie, doit être une fraternité célébrante et engagée. Dans cette période de restructuration paroissiale si difficile pour la vie des communautés en Église, la réflexion de Guy Paiement est fort instructive et interpellante.
De même, au moment où l’Église prend, sous l’influence du pape François, une conscience renouvelée de l’option pour les pauvres, toute la seconde partie du livre nous rappelle l’importance de l’analyse sociale et de la recherche des causes des inégalités. Guy Paiement présente des outils pour des démarches en petits groupes, mais il livre aussi son diagnostic toujours pertinent du « Québec cassé en deux » et du processus d’appauvrissement. Il invite à redécouvrir l’importance du territoire, pour favoriser un vrai développement, et la prise de conscience de soi comme citoyen engagé, pour permettre le changement.
Élisabeth Garant (dir.)
Guy Paiement, prophète du pays réel
Montréal, Novalis, 2015, 336 p.