Relations août 2013
Fermaille : Anthologie
La mémoire vociférante
Printemps 2013. Un an après le déluge rubescent dans les rues du Québec, un devoir de mémoire s’impose, nous dit-on. L’injonction à se rappeler ce passé un peu trop récent est toutefois en passe de devenir un plaidoyer pour que le printemps érable soit converti en un simple objet de consommation historique parmi tant d’autres, comme en témoignent ces publications perce-neige qui éclosent, marchandent le souvenir et fétichisent le moment.
Dans tout ce régurgit de bonne volonté commémorative et de « lutte féroce contre l’oubli », un ouvrage brille par son authenticité bien placée : l’anthologie de Fermaille, la revue d’un groupe d’artistes du même nom initiée autour du mouvement de grève étudiante et qui a disséminé son espérance en 14 numéros, entre février et mai 2012.
À l’imaginaire totalement rationnel de l’État qui a envahi nombre de sphères sociales et qui a atteint une forme de paroxysme avec le gouvernement libéral de Jean Charest, l’équipe de ce brûlot poétique a décidé, dès février 2012, de répondre par la bouche de son indignation, à grands coups de nouveaux lemmes, contre la hausse tous azimuts.
L’an dernier, chaque fois que j’avais pu trouver au hasard les « 3 à 5 feuilles 8 1/2 par 11 » de Fermaille, avec ses rimes, proses, citations et collages, je me réjouissais de voir se constituer une forme de « rêve général illimité » qui allait, paradoxalement, au-delà des mots. Des textes forts, qui marchent peut-être un peu trop à l’amour, mais qui crient si bien la liberté – que l’on pense à ceux de Renard Anarchiste, de A., de Catherine Lavarenne, débordante d’identités, d’Amélie Faubert, les yeux « tout écartillés » par l’éclaircie, de Christian Girard qui a trop « sniffé de poudre aux yeux », ou encore de Sarah Brunet-Dragon, brûlante comme des pieds à la fin d’une manif de soir…
Il y avait aussi ces lettres, adressées à la parenté, que les rédactrices et les rédacteurs de la revue ont écrites à notre place, parce que leurs doigts étaient moins noués que nos gorges. À relire cette « géographie de la réflexion vive », on peut tout de même dire que nous ne sommes plus au même endroit que les vers qui grouillent au cœur de ce rapaillage, aux côtés des illustrations et affiches de l’École de la montagne rouge, dont la reproduction en noir et blanc a quelque peu éteint la fougue.
Fermaille, c’était aussi cette page vierge où le « contour d’un paysage symbolique » a été tracé. Ce petit atlas géographique d’une identité demeure. Mais s’agit-il d’un simple passeport pour retourner dans le temps, à cet instant sublime où l’imaginaire dominant a semblé s’effondrer?
Il ne sera pas possible de rejouer le concerto du printemps érable. Ce qui est mort, fermé comme un bel ouvrage embossé qu’on a dévoré d’un bout à l’autre, est inhumé depuis. N’est-ce pas triste de se dire qu’on ne lira plus au présent cette poésie qui marche et rêve? Surtout que le discours dominant, lui, est loin d’être mort; et nous le faisons revivre en partie en fantasmant sur le passé.
Devant le cégep Maisonneuve, lors du dernier vote de grève des étudiants, m’est revenue l’image de ce graffiti aperçu sur le trottoir disant : « Pis sinon quoi? » La « vociférante » équipe de Fermaille avait proposé de nouvelles significations sociales, littéraires et identitaires dans ses pamphlets. Fermaille, je parle de toi au passé, la rage en cours.
Marie-Pier Frappier
Collectif Fermaille
Fermaille : Anthologie
Montréal, Moult éditions, 2013, 223 p.