Relations août 2013

Libérer l'imagination

Produite par Bibliothèque et Archives nationales du Québec et présentée à la grande Bibliothèque

Exposition Raymond Klibansky (1905-2005). La bibliothèque d’un philosophe

Cette exposition retrace la biographie intellectuelle du philosophe québécois de renommée mondiale, Raymond Klibansky. S’y aventurer, c’est s’exposer à une expérience intense. D’abord des sens, grâce à la présence fascinante de livres et de gravures d’époque. Grand collectionneur de livres anciens et rares, Klibansky en avait des milliers – dont a hérité l’Université McGill. L’exposition en montre une infime mais magnifique partie. Il y a des œuvres de l’Antiquité grecque et romaine, fondatrices de la pensée européenne, parfois dans leurs premières éditions imprimées : Augustin d’Hippone, Apulée, Platon, Plotin, Plutarque, Proclus, pour ne nommer que ceux-là. D’autres des grands humanistes que Klibansky a étudiés et dont il a établi parfois des éditions critiques. D’autres, encore, de ses contemporains.
 
Par ailleurs, le visiteur se trouve d’emblée plongé dans le bouillonnement intellectuel d’une époque. Le jeune Klibansky fréquente le cercle du poète Stefan George; il a pour compagnons de classe deux fils de l’écrivain Thomas Mann, Klaus et Golo; il est l’étudiant des philosophes Ernst Cassirer et Karl Jaspers, et l’assistant du sociologue Ferdinand Tönnies… Pensons aussi à tous ceux avec qui il se liera d’amitié tout au cours de sa vie : les philosophes Jean Wahl, Paul Ricoeur, Jan Patocka et combien d’autres.
 
Cette magnifique exposition, qui intègre de nombreux éléments audio et vidéo tout au long du parcours, est constituée de sept zones, qui sont autant de chapitres de la vie de Klibansky. La première concerne sa jeunesse allemande, nourrie de ses lectures de Pindare, Rilke, Hölderlin, jusqu’à ses études universitaires. À 15 ans, son passage dans une école alternative dirigée par le théosophe Paul Geheeb a été déterminant. Tout en le sauvant de l’éducation autoritaire de l’époque – qui n’est pas étrangère a la montée du nazisme –, il l’a convaincu de poursuivre ses études en lien avec l’humanisme. Un vers de Pindare mis en exergue traduit bien cette quête à laquelle il resta fidèle toute sa vie : « deviens qui tu es ». La zone suivante retrace les recherches du jeune philosophe sur la tradition platonicienne qu’il a aidé à reconstituer, et surtout le rôle qu’elle a joué au Moyen-Âge, en particulier Le Timée – cette œuvre où Platon expose la vision du monde de son époque. La troisième zone relate son intérêt pour les grands penseurs humanistes : principalement Nicolas de Cues, dont il est un des grands spécialistes, et qui le conduira à étudier notamment Maître Eckart, Böhme, Ficin et Lulle. La quatrième zone est consacrée à l’œuvre maîtresse de Klibansky, Saturne et la mélancolie, inspirée d’une étude de Panofsky et de Saxl sur la gravure de Dürer, Melancholia I. Elle rappelle l’époque où il a fréquenté la Bibliothèque de Warburg, qu’il a d’ailleurs aidé à sauver de la destruction par les nazis en la transférant à temps à Londres.
 
La cinquième zone nous plonge au cœur tumultueux du XXe siècle, symbolisé par un autodafé. C’est le temps où Klibansky, jeune professeur à l’Université d’Heidelberg, fuit l’Allemagne en 1933, et se joint, durant la guerre, à l’office britannique de contre-propagande. Cette période est relatée par des documents nazis, fascistes et de la résistance. La sixième zone présente ensuite l’intérêt de Klibansky, une fois installé à Montréal, en 1946, pour les philosophes de la tolérance et du dialogue : Bayle, Hume, Locke, Spinoza… comme autant de résistants contre la barbarie. Enfin la dernière zone souligne son effort pour entretenir le dialogue philosophique au-delà du rideau de fer, notamment avec l’italien Calogero, le polonais Kolakowski et le tchèque Patocka, confirmant l’engagement humaniste qui l’aura habité toute sa vie durant.
 
On ne peut que remercier Georges Leroux et Alexis Martin, respectivement commissaire et directeur artistique de l’exposition. Grâce à eux, nous arrivons à toucher ce qui a façonné l’Europe dans ce qu’elle a peut-être produit de plus beau, de plus essentiel, mais aussi de plus fragile – l’humanisme – ainsi que ce qu’elle a produit de plus laid : le totalitarisme. Soulignons qu’un magnifique catalogue est disponible, qui comprend de belles réflexions sur l’œuvre du philosophe et de nombreuses illustrations tirées de l’exposition.
 
Jean-Claude Ravet

Exposition Raymond Klibansky (1905-2005). La bibliothèque d’un philosophe : du 13 novembre 2012 au 25 août 2013. Produite par Bibliothèque et Archives nationales du Québec et présentée à la grande Bibliothèque

Libérer l'imagination

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Share via
Send this to a friend