Relations mars 2011
En Indonésie, des liens sociaux forts, non virtuels, sont au cœur de l’identité et de la vie des gens. Facebook y est donc un réseau additionnel, sans plus
L’auteure est conseillère en planification de programmes auprès d’organisations communautaires en Indonésie
Il y a quelques semaines, la nouvelle a fait les manchettes en Indonésie : ce pays dont la population est la cinquième plus importante au monde se situe au deuxième rang mondial quant au nombre d’utilisateurs de Facebook (derrière les États-Unis), avec 10 % de sa population membre du populaire réseau.
L’information ne m’a pas surprise. Car les Indonésiens vivent en groupes, en réseaux. Les cultures d’ici sont collectivistes. L’identité des personnes est essentiellement définie sur la base de l’appartenance à un groupe – au premier rang le clan familial, puis le groupe amical, étudiant, professionnel, etc. La vie est toujours organisée autour de la famille, incluant ce qu’on appelle la famille élargie. L’individu va mettre à contribution les autres réseaux auxquels il appartient afin d’assurer la subsistance et d’améliorer la position sociale du clan familial.
Un réseau de plus
Selon leurs dires, mes amis indonésiens utilisent Facebook d’une part pour rester en contact avec les membres de la famille et les amis et, d’autre part, pour adhérer à de nouveaux réseaux. Tout comme l’arrivée du téléphone cellulaire et de la messagerie texte, Facebook est venu s’ajouter à la panoplie de moyens avec lesquels les Indonésiens entretiennent et cultivent leurs très nombreuses relations.
Car la popularité du site s’inscrit dans le phénomène beaucoup plus large, et très récent, de l’élargissement de l’accès aux technologies des communications et de l’information, surtout chez les jeunes générations et les personnes travaillant dans le secteur formel. Au premier rang ici : la multiplication fulgurante, surtout depuis deux ans, des cafés offrant l’accès à Internet. Lors de mes premiers séjours en Indonésie, en 2007, il y avait très peu de ce type d’endroits. Quatre ans plus tard, on en retrouve partout, même dans les petites villes plus reculées. Puis, arrivés récemment sur le marché, les netbooks, avec leur prix pouvant représenter le tiers d’un portable standard, sont venus offrir un accès à l’ordinateur jamais égalé auparavant. Ainsi, les Indonésiens ont-ils commencé à « facebooker », à « twitter », à « googler » et à jouer en ligne. En moins de trois ans, le fossé numérique entre l’Occident et un pays comme l’Indonésie s’est considérablement réduit.
Un média à l’image de la société
Au Québec, on entend souvent dire qu’avec la multiplication des moyens de communication et d’information, les rapports entre les êtres humains n’ont jamais été aussi mal en point. En nous « enfermant » seul devant notre ordinateur et notre cellulaire, les technologies nous auraient isolés les uns des autres. Or, notre isolement dans une marée de communications n’est que le dernier symptôme de notre projection dans une société ultra-individualiste et capitaliste. Bien avant Facebook, quelque part au cours des dernières décennies, nous avons choisi de nous replier sur nous-mêmes, de vivre loin les uns des autres, chacun dans sa grande maison, avec sa piscine privée, « seul dans son char », dans un cocon de confort matériel où rien, ni mauvaise odeur, ni couleur qui ne cadre pas avec celle des rideaux, ni visite imprévue de la belle-sœur, ne trouble notre quiétude mortifère. Dans cette atmosphère, il n’est pas étonnant de nous voir chercher de la vie et du mouvement là où on peut en trouver facilement : Internet. Quand on s’emmerde seul dans sa maison tout équipée des derniers gadgets, ouvrir l’ordinateur et passer des heures à se divertir et faire des rencontres va de soi.
En Indonésie, quel que soit son statut Facebook, mon amie reste la fille de ses parents, la grande sœur de l’autre, la cousine et l’amie de centaines de personnes. Elle quitte le café Internet et retourne à la maison où vivent six autres personnes. Elle parlera une bonne partie de la soirée avec la nièce partageant sa chambre à coucher et échangera une dizaine de messages texte avec sa cousine habitant une autre ville. Elle sera occupée pendant un mois, avec plusieurs autres membres de sa famille, à prendre part à l’organisation du mariage de sa sœur, où sont attendus pas moins de 1000 invités. Elle va passer deux heures à discuter avec son oncle et sa tante en visite. Pour la très grande majorité des Indonésiens, Facebook ne pourra jamais remplacer leur identité basée sur l’appartenance à un clan familial et un vaste réseau social, et les nombreux espaces collectifs physiques qu’ils et elles partagent ensemble.