Relations mai-juin 2017
Écologie et libération. Critique de la modernité dans la théologie de la libération – Luis Martinez Andrade
La critique de la modernité constitue une part importante de la réflexion et du discours de la théologie de la libération. Cette démarche théologique qui part du point de vue des victimes de l’histoire est nécessairement amenée à analyser les structures capitalistes et coloniales qui les oppriment, et qui sont intrinsèquement liées à l’avènement de la modernité. Une telle démarche rejoint la perspective écologiste, qui tient compte des conséquences dévastatrices de l’économie capitaliste et de l’exploitation coloniale affectant la nature tout comme les pauvres, ces derniers étant ainsi doublement dépossédés. Écologie et libération vont donc de pair en Amérique latine, démontre le Mexicain Luis Andrade tout au long de ce livre, à travers son exploration de la théologie et du christianisme de la libération.
Publiant le travail de recherche qui lui a valu un doctorat en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris, l’auteur nous présente, d’un point de vue critique, la pensée d’un grand nombre de théologiens de la libération, tout en se concentrant plus particulièrement sur l’œuvre du grand théologien brésilien et penseur contemporain Leonardo Boff.
À travers le parcours de vie et l’évolution de la pensée de ces théologiens, l’auteur nous fait revoir les origines de la théologie de la libération à partir des mouvements étudiants et chrétiens radicaux, notamment au Brésil dans les années 1960, et ses grands déclencheurs que seront le pontificat de Jean XXIII et la révolution cubaine. Il décortique les pouvoirs coloniaux qui ont dépouillé les populations autochtones et paysannes, les structures néocoloniales ainsi que la mondialisation et l’extractivisme qui maintiennent toujours ces populations dans la marginalité bien après l’indépendance de leur pays. L’ouvrage nous fait voir l’évolution du discours de la théologie de la libération face aux contextes changeants qu’elle rencontre : celui de l’Église, passant d’un « hiver ecclésial » à un possible « printemps » ; celui du 500e anniversaire de la « découverte » de l’Amérique et des plaies ré-ouvertes de la Conquête ; celui de la rencontre avec la postmodernité ; et, bien sûr, celui de l’émergence des luttes écologistes.
S’appuyant sur les écrits les plus récents de Boff, Andrade place très clairement les préoccupations écologiques dans le cadre de la solidarité avec les pauvres et les exclus et des processus visant leur libération. L’écologie est présentée ici dans la perspective d’un courant de lutte pour la vie et pour les dépossédés plutôt que comme un luxe des sociétés riches.
Très touffu et parfois difficile à suivre, Écologie et libération offre cependant des réflexions éclairantes sur des démarches et des débats connexes : l’approche latino-américaine de la décolonialité (en contraste avec celle de post-colonialité) ; les diverses théories du développement ; le rejet de l’« Autre » autochtone comme élément pourtant important dans le développement du sujet moderne européen (à la suite des travaux du philosophe Enrique Dussel) ; l’intégration des principes de responsabilité et d’espérance dans le discours éco-théologique de Boff ; la religion comme étincelle d’espoir plutôt que comme opium du peuple ; etc.
L’intérêt de Luis Andrade pour les structures d’oppression en Amérique latine n’est pas que théorique. L’auteur est profondément préoccupé par les souffrances et la dépossession des populations pauvres, autochtones et paysannes de cette région du monde. Son intérêt pour la théologie de la libération vient du fait qu’il y trouve un discours et des pratiques redonnant un pouvoir d’agir aux victimes et une utopie inspirante pour les militants, qu’ils soient athées ou chrétiens. Il se dégage de ce livre une grande force de conviction qui vient fouetter notre propre indignation et raviver notre engagement en ces temps où nous célébrons au Québec 40 ans de solidarité avec l’Amérique latine, à travers l’action du Comité pour les droits humains en Amérique latine (voir sa revue Caminando, vol. 31, 2016).
Écologie et libération. Critique de la modernité dans la théologie de la libération
Luis Martinez Andrade
Paris, Van Dieren Éditeur, Collection « débats », 2016, 280 p.