Relations août 2013
D’évasion estivale… et fiscale
À 13 h 18, le 2 janvier 2013, premier jour de travail de l’année, les 100 PDG les mieux payés au Canada avaient déjà gagné 45 448 $, selon le Centre canadien des politiques alternatives. Un travailleur moyen mettra un an, à temps plein, pour amasser une telle somme et récolter son petit deux semaines de vacances (parfois plus s’il a de l’ancienneté).
Ces vacances du travailleur moyen seront tout à la fois source de repos et de plaisir, mais souvent aussi d’endettement et de frustration. Rien à voir avec le luxe des paradis fréquentés par nos 100 PDG, dirigeants de grandes entreprises et de multinationales qui, pour la plupart, prospèrent en utilisant d’autres paradis – fiscaux ceux-là.
Ah! mais il nous faut être compréhensifs envers nos élites, car elles ont grand besoin de repos. C’est éreintant, après tout, faire semblant d’investir dans l’économie productive alors que les grandes entreprises canadiennes, de l’aveu même du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, nagent dans des réserves de liquidités colossales servant à spéculer et à enrichir PDG et actionnaires plutôt qu’à créer de l’emploi. Il est épuisant aussi de « découvrir » la réalité de l’évitement fiscal pratiqué par les multinationales, comme l’a fait l’OCDE en février dernier, dans un rapport intitulé Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices. On s’y alarme des conséquences pour l’économie, l’équité fiscale et la souveraineté des États de la chute des recettes fiscales. Celle-ci est causée par les baisses d’impôt accordées aux grandes entreprises et le fait qu’elles transfèrent leurs bénéfices là où les taux d’imposition sont quasi inexistants, ce qu’on appelle « l’optimisation fiscale » – l’évasion fiscale légalisée, quoi. L’adage est connu : aujourd’hui, si une multinationale paie des impôts, c’est qu’elle n’a pas de bons avocats et fiscalistes.
Tout en saluant cette sortie majeure de l’OCDE, une soixantaine d’organismes de divers pays ont remis quelques pendules à l’heure dans un rapport intitulé No more shifty business : « Les problèmes que les leaders politiques mentionnent maintenant – qui permettent aux multinationales d’éviter de payer leur juste part d’impôt et minent les efforts pour réduire la pauvreté et les inégalités – ne sont pas nouveaux. Depuis des décennies, les pays en voie de développement ont été les principales victimes d’un système fiscal injuste et inefficace, une réalité que nous, les signataires de ce document, dénonçons depuis longtemps. C’est seulement lorsque les conséquences désastreuses ont commencé à se faire sentir dans les pays riches que le G20 et les leaders de l’OCDE ont demandé des solutions » (traduction libre).
Les centaines de milliards de dollars qui échappent à l’impôt dans le monde se payent de souffrance humaine, de malnutrition, de chômage, d’analphabétisme, de travail des enfants, de maladies évitables ou mal soignées, etc. Des rêves brisés. Une solidarité humaine en vacances.
De passage à Montréal à la fin mai, John Christensen, directeur du Tax Justice Network, affirmait que la crédibilité même de l’OCDE (sans parler du G20) est plus que jamais en jeu. À ses yeux, nous sommes à la croisée des chemins : ou la lutte contre les paradis fiscaux franchit une étape capitale, ou on se dirige vers des guerres fiscales et une montée du fascisme dans différents pays.
Bien qu’elles ne constituent que la pointe de l’iceberg, les Offshore Leaks – cette méga-fuite d’informations relatives à des affaires de fraude fiscale et de blanchiment d’argent – contribuent à sonner la fin de la mascarade qu’est jusqu’ici la lutte contre les paradis fiscaux. Le secret bancaire se fissure. Et un consensus émerge concernant l’échange automatique d’informations fiscales entre pays, en voie de devenir le standard international. C’est une avancée majeure (et d’autres sont possibles) qui permettra aux fiscs d’identifier les acteurs de la fraude et de l’évasion fiscales, de repérer et de récupérer des sommes dues. Le gouvernement de Stephen Harper – faut-il s’en étonner? – s’objecte à cette mesure et fait le cancre. Un cancre-bouffon et cynique qui annonce la mise sur pied d’une « escouade » de 6 à 10 experts pour traquer l’évasion fiscale au moment où 3000 postes sont en voie de disparition à l’Agence du revenu du Canada.
Été ou pas, c’est la pêche aux petits poissons plutôt qu’aux gros qui caractérise encore l’approche générale du Québec et du Canada en matière d’évasion fiscale. La campagne « Levez le voile sur les paradis fiscaux! Combien d’impôts nous échappent? » du groupe Échec aux paradis fiscaux vise à les forcer à vraiment reconnaître le problème, en exigeant que nos gouvernements produisent des estimations officielles qui révéleront les impacts directs qu’a l’évasion fiscale – légale comme illégale – sur les revenus de l’État québécois et l’État canadien.
Allez, c’est l’été… levons le voile!