Relations juillet-août 2018

Céline Métivier et Isabelle Tremblay

Des barrières à l’action citoyenne

Les auteures sont respectivement agente de recherche au Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) et directrice générale de l’Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées (AQRIPH)

 

« Une personne sourde ne pourrait pas participer au CA, car nous n’avons pas les ressources pour payer [un interprète]. » C’est ainsi qu’un organisme communautaire évoquait très simplement l’un des obstacles qui empêchent les Sourds de prendre une part active au mouvement communautaire au Québec, dans un rapport qui s’est penché sur les difficultés pesant sur les personnes handicapées – auxquelles les personnes sourdes ont été incluses pour les fins de l’étude – dans la vie communautaire. En décembre 2017, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) a en effet dévoilé les résultats d’une recherche menée par Francis Fortier de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) qui s’intitulait L’accès à la vie associative pour les personnes en situation de handicap dans le mouvement d’action communautaire autonome[1]. Le projet, porté par le RQ-ACA et deux de ses membres, l’Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées et la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec, avait pour objectif de réaliser un portrait des pratiques d’accommodement des organismes d’action communautaire autonome (ACA) à l’égard des personnes en situation de handicap et d’identifier les pistes d’amélioration possibles.

Sans surprise, il ressortait du rapport que les organismes d’ACA ont des budgets de fonctionnement insuffisants pour réaliser tous les aménagements nécessaires à la pleine participation des personnes sourdes et malentendantes aux activités liées à la vie associative. De toute évidence, un organisme communautaire qui peine à assurer son financement n’aura pas les moyens d’offrir systématiquement, par exemple, un service d’interprétariat pour les personnes sourdes.

C’est ainsi qu’une frange de la population se voit exclue d’office des activités qui font partie de la vie d’un organisme : congrès, colloques, assemblées générales, conseils d’administration, comités de travail, activités de formation, représentations publiques ou politiques, activités sociales, etc. Il s’agit d’une grave restriction à la pleine participation de tous et de toutes à la vie citoyenne.

Néanmoins, au-delà du manque de fonds, il faut aussi souligner que lorsque vient le temps d’organiser une activité, les organismes n’ont pas nécessairement le réflexe de planifier des accommodements permettant la participation sans entraves des personnes sourdes ni de prévoir les montants nécessaires à leur budget. En effet, rares sont ceux qui prévoient la traduction en langue des signes québécoise, pourtant utilisée par 50 000 personnes au Québec[2]. Sans parler de la grande diversité des personnes sourdes – sourds gestualistes, sourds oralistes, devenus-sourds ou personnes malentendantes –, qui engage chaque organisme à trouver des formes d’aménagement qui conviennent aux besoins du plus grand nombre d’entre elles, tant sur le plan de l’offre de services que sur celui du fonctionnement interne. L’enjeu est donc assurément complexe, mais cela ne dispense pas le mouvement communautaire autonome de la nécessité d’une saine autocritique, ouvrant la voie vers les actions requises pour favoriser la participation des personnes sourdes et de toute personne en situation de handicap.

Cela dit, il ne suffit pas de sensibiliser les organismes communautaires à ce manque d’accessibilité. Le gouvernement doit aussi faire sa part et prévoir les budgets nécessaires afin que les organismes puissent disposer des moyens de favoriser la pleine participation des personnes sourdes à tous les aspects de sa vie associative. Il n’en coûterait pas énormément : dans son étude, l’IRIS estimait à environ 15 millions de dollars le montant nécessaire annuellement pour couvrir les besoins actuels des organismes dans leurs démarches d’accommodement pour l’ensemble des personnes handicapées. Le RQ-ACA en a fait une de ses revendications auprès du gouvernement québécois. Pour lui, la participation pleine et entière des personnes sourdes à la vie citoyenne, comme celle de l’ensemble des personnes en situation de handicap, doit être la norme et non l’exception.

[1] Pour consulter l’étude : <rq-aca.org/blog/2017/12/04/acces>.
[2] Gabrielle Thibault-Delorme, « Les sourds veulent se faire entendre », Le Soleil, 3 mars 2014.

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