Relations août 2013

Libérer l'imagination

Shlomo Sand

Comment la Terre d’Israël fut inventée

Le sionisme déconstruit

Certains termes nous sont tellement familiers que nous les tenons pour acquis. Pourtant, souvent, ils ne sont guère innocents et nous conduisent à accepter des mythes que nous aurions autrement rejetés. Les intellectuels, en particulier les universitaires, sont obligés de questionner les mythes qui sous-tendent toute société. C’est ce que fait, depuis quelques années, l’historien israélien Shlomo Sand de l’Université de Tel-Aviv. Après avoir qualifié d’invention l’idée d’un « peuple juif », il applique dans ce nouveau livre le même raisonnement à la Terre d’Israël. Ce choix est logique : l’idéologie sioniste repose sur ces deux concepts en exigeant, dès ses débuts, le transfert d’« une terre sans peuple à un peuple sans terre ». Sand veut se défaire de cette idéologie coloniale qui, selon lui, continue à engendrer des injustices et des violences en prétendant que la Terre d’Israël appartient au peuple juif dispersé aux quatre coins du monde plutôt qu’à ses habitants.
 
L’auteur s’oppose fermement à l’usage politique de concepts religieux. Ayant affirmé que le peuple juif n’est qu’une fabrication à la fois nationaliste et antisémite qui transforme un groupe religieux en une nation, voire en une race, cet Israélien ouvertement athée démontre que l’allégeance au judaïsme constitue le seul dénominateur commun de groupes aussi visiblement disparates que les juifs allemands, les juifs yéménites ou les juifs iraniens. Le livre souligne que « tout comme la synagogue [a] effectivement pris la place du temple, et la prière celle des sacrifices, de même la terre sacrée de la Loi orale [s’est] substituée à la terre réelle » (p. 158); ce faisant, l’auteur place le projet sioniste dans le contexte du nationalisme romantique et du colonialisme de peuplement européen de la fin du XIXe siècle. Tout un chapitre est consacré aux racines protestantes du sionisme qui expliquent, par ailleurs, tant le rejet immédiat de cette nouvelle idéologie par la majorité des juifs que la bienveillance inébranlable des élites britanniques et américaines à son égard, en particulier dans son incarnation étatique, qui viendra plus tard.
 
Shlomo Sand n’hésite pas à critiquer ses collègues historiens israéliens, dont la première génération a mis ses compétences au service de l’endoctrinement sioniste en faisant une lecture littérale de la Bible et, en même temps, en passant sous silence des faits récents, comme la coexistence de différents groupes ethniques et religieux au sein de la société palestinienne ou l’effacement de la carte de centaines de villages palestiniens. Il déplore également qu’« à l’instar de l’histoire, la géographie a eu partie liée avec une nouvelle théologie pédagogique dans laquelle la terre nationale a empiété sur l’hégémonie de la providence céleste : à l’époque moderne, il est plus facile d’ironiser sur Dieu que sur la terre des ancêtres » (p. 87-88).
 
J’ai lu ce livre sans difficulté, non seulement parce que j’en connais bien le contenu, ayant écrit un livre sur l’opposition juive au sionisme (Au nom de la Torah, Québec, PUL, 2004), mais aussi grâce au travail remarquable du traducteur Michel Bilis qui arrive à rendre le texte limpide et précis. Malgré quelques imperfections mineures, le nouveau livre de Shlomo Sand, polémiste tant érudit qu’acerbe, démystifie la mythologie sioniste. Ainsi, il expose l’irrationalité du discours politique israélien qui, en plus de miner le droit international, discrédite la tradition juive millénaire, en encourageant « la disparition du judaïsme historique et sa transformation en un nationalisme juif » (p. 147).
 
Yakov Rabkin

Shlomo Sand
Comment la Terre d’Israël fut inventée
Paris, Flammarion, 2012, 366 p.

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