Relations août 2010

Silences

Marie Mazalto

Climax politique en Bolivie

L’auteure est coordonnatrice du programme Communautés, territoires et gestion des richesses naturelles de l’Association des populations des montagnes du monde, et chercheure associée à la Chaire C.-A. Poissant de l’UQAM et au CIRAD, en France

La conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la « Terre mère » a mis de l’avant des propositions que les pays du Nord doivent prendre en compte.

Convoqué par le gouvernement socialiste d’Evo Morales, ce sommet, qui s’est tenu du 20 au 22 avril 2010 à Tiquipaya, en Bolivie, a bénéficié de la participation de plus de 20 000 personnes originaires de 136 pays. Le gouvernement et les ONG organisatrices avaient comme objectif principal de rompre avec une approche qui légitime exclusivement l’expertise scientifique afin de donner une voix aux peuples et de poser socialement et politiquement la problématique du changement climatique.

Depuis l’annonce de sa tenue, au sortir de l’échec de la rencontre de Copenhague organisée en 2009 sous les auspices de l’ONU, ce sommet est apparu comme un défi lancé aux pays du Nord par les pays d’Amérique latine à tendance socialiste (Bolivie, Cuba, Venezuela, etc.). C’est que Copenhague a révélé les failles de la « démocratie » internationale, certains pays du Nord y ayant imposé unilatéralement un pseudo-consensus. Celui-ci ne fait que traduire leur résistance à s’engager pour limiter les impacts négatifs du modèle de développement productiviste et du mode de vie consumériste sur le réchauffement du climat mondial.

Fort du premier gouvernement « autochtone » et socialiste de son histoire, l’État plurinational de Bolivie s’est posé en leader en initiant une réflexion sur les causes structurelles du processus de changement climatique. Ainsi, la rencontre de Tiquipaya a été l’occasion d’affirmer de manière virulente que le changement climatique est une des conséquences directes du mode de production capitaliste qui, dans ses fondements, constitue une menace pour toute source de vie sur Terre.

À ce titre, ce sommet a pris des airs de rencontre altermondialiste en présentant une fin de non-recevoir à ce système. Les thématiques empruntaient à la fois à la culture des peuples autochtones andins (Aymara et Quechua) et aux valeurs humanistes occidentales (Déclaration des droits de l’Homme). Les débats ont été orientés autour de principes qui placent les équilibres sociaux et naturels et le « bien-vivre » collectif au centre du projet social, économique et politique – en opposition avec un « mieux-vivre » conçu comme une course effrénée au bonheur individuel.

En plus des interventions très attendues de personnalités telles que Vandana Shiva ou Naomi Klein et des discours du chef de l’État bolivien et de son homologue vénézuélien Hugo Chávez, plusieurs centaines d’évènements organisés par les participants se sont tenus parallèlement au travail de fond mené au sein des 17 tables de travail. Ainsi, loin des débats d’experts, des centaines de groupes sociaux, d’ONG, de représentants des pays du Nord et du Sud, d’élus ou de simples citoyens, aux côtés de milliers de Boliviens, ont répondu à l’appel lancé pour enclencher un dialogue social sur le thème du changement climatique. Les participants sont venus témoigner, s’informer, débattre et dénoncer les impacts négatifs du « capitalisme mondial » et la dégradation rapide des conditions d’accès aux ressources naturelles dans leurs territoires. Les peuples de montagne et des villes ont évoqué les conséquences négatives de la fonte rapide des glaciers sur l’accès à l’eau; les peuples autochtones ont témoigné des impacts sociaux et environnementaux désastreux des grands projets miniers sur leurs terres ancestrales. Ils ont été nombreux à parler, entre autres, de la déforestation, de la pollution, de l’assèchement des rivières et des lacs comme facteurs déclencheurs d’un exode rural massif.

En culminant le 22 avril – journée mondiale de la « Terre mère » depuis 2009 – le sommet de Tiquipaya a été l’occasion de rappeler que le futur de l’humanité dépend de sa capacité à reconnaître les dangers du modèle de développement dominant basé sur une exploitation sans limite des ressources naturelles, et à prendre ses responsabilités pour défendre les droits de la « Terre mère » (la pachamama).

Au-delà du constat et de la dénonciation, les participants ont esquissé les bases de propositions alternatives. Dans « l’Accord des peuples », qui reprend les conclusions des groupes de travail, les propositions avancées vont de la notion de dette climatique à l’instauration d’un tribunal de justice climatique, ou encore un projet de référendum mondial sur les causes structurelles du changement climatique.

Cette rencontre a ouvert un espace de réflexion critique et de mobilisation citoyenne sur la problématique du changement climatique à l’échelle du continent sud-américain. Reste à espérer que cette approche et les propositions avancées trouveront un écho auprès des pays du Nord, notamment lors de la prochaine rencontre de l’ONU sur le changement climatique, qui se tiendra en décembre 2010 à Cancún, au Mexique. Consulter : <http://cmpcc.org>.

 

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