Relations mai-juin 2018

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

Emiliano Arpin-Simonetti

Blanc de mémoire

Dans les années 1960, les luttes des Noirs contre le racisme et le colonialisme – des États-Unis aux Caraïbes en passant par l’Afrique – sont une source d’inspiration pour toutes les populations colonisées, exploitées, marginalisées de la planète.

Le Québec ne fait pas exception. S’il est devenu commun de souligner que la gauche indépendantiste s’identifiait alors à ces luttes, paradoxalement, il est moins courant de rappeler que ces mouvements résonnent aussi auprès… de la population noire de Montréal, inspirant dès cette époque d’importantes luttes.

Le Congrès des écrivains noirs d’octobre 1968 à l’Université McGill, organisé notamment par des étudiants caribéens, témoigne avec force de cette solidarité qui se tisse. Des figures centrales du mouvement international de libération des Noirs, notamment C.L.R. James, Walter Rodney et Stokely Carmichael y prendront la parole et marqueront les esprits par la puissance de leur analyse anticolonialiste, antiraciste, prônant l’affirmation culturelle et politique des Noirs.

C’est dans cette atmosphère militante, aussi alimentée par la colère ressentie après l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968, qu’auront lieu les événements de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia), moment charnière pour les luttes antiracistes à Montréal et au Québec. Rappelons les faits : devant l’inaction de la direction concernant des plaintes déposées au printemps 1968 par plusieurs étudiants dénonçant le racisme de certains professeurs, une manifestation s’organise en février 1969. Celle-ci se mue rapidement en occupation du centre informatique de l’université, qui durera deux semaines avant que la police anti-émeute n’évacue de force les locaux. Dans l’échauffourée, un incendie est déclenché, entraînant de lourds dégâts matériels. Des badauds attroupés sur le trottoir, voyant la fumée s’élever du bâtiment, s’écrient alors « Let the niggers burn ! » (« Laissez-les brûler, ces nègres ! »). En tout, une centaine de manifestants sont arrêtées, dont une quarantaine d’étudiants noirs, détenus séparément par la police.

Toute cette affaire aura entre autres pour effet de faire éclater au grand jour la présence d’un racisme structurel, souvent vécu de manière plus subtile au quotidien par la population noire. Elle a également un effet catalyseur pour le militantisme dans la communauté noire qui, malgré les origines diverses de ses membres, entrent en solidarité à travers l’expérience commune du racisme[1]. Associations, publications et groupes de défense des droits verront le jour et s’activeront pour lutter contre différentes formes de discrimination systémique, que ce soit dans le milieu universitaire, dans le monde du travail, dans le système judiciaire ou dans la sphère culturelle, entre autres.

Les luttes actuelles contre le racisme systémique ne sortent donc pas de nulle part : elles s’inscrivent dans une histoire des luttes – et des injustices – bien implantées ici, qui remontent par ailleurs bien au-delà de ce (bien trop) bref aperçu.

 

[1] Pour un portrait plus détaillé, voir Sean Mills, Contester l’empire, Montréal, Hurtubise, 2011 et David Austin, Nègres noirs, nègres blancs. Race sexe et politique dans les années 1960 à Montréal, Montréal, Lux, 2015.

Mémoire des luttes au Québec – pour continuer le combat

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