Relations Septembre 2012

Une Église appauvrie: une chance?

Agustí Nicolau-Coll

Art et transcendance

L’auteur est responsable des activités publiques et des communications au Centre justice et foi
Au fil des siècles, l’Église et le christianisme en général ont été assez attentifs et sensibles à l’apport de l’art dans l’expression de la foi, ce qui a donné naissance à des œuvres magnifiques de l’architecture, de la peinture, de la sculpture, de la musique et même du théâtre. Celles-ci faisaient partie de l’expérience et des célébrations religieuses. Malheureusement, l’intellectualisation et la rationalisation croissantes de la foi chrétienne, fruit d’une théologie plus rationnelle initiée vers la fin du Moyen Âge et approfondie avec la Réforme protestante et la Contre Réforme catholique, a eu comme contrepartie négative la perte de la conscience et du langage symboliques. L’art, en tant que véhicule et expression de cette conscience symbolique, a progressivement perdu son rôle dans la transmission de l’expérience religieuse, dans la médiation en vue d’une communion spirituelle, ce qui est un élément à prendre en compte dans la réflexion au sujet de l’affaiblissement de l’Église catholique.
 
Au lieu d’être expression, manifestation, épiphanie de la transcendance, enrichissant l’expérience spirituelle de celui qu’il touche, l’art sacré est devenu davantage une représentation religieuse de croyances et une illustration de celles-ci. Cette réduction, aux yeux de plusieurs, peut difficilement provoquer une véritable expérience spirituelle.
 
La réalité du christianisme occidental, en ce début du troisième millénaire, est qu’il n’utilise pas assez les extraordinaires potentialités des arts en tant qu’expressions de la foi et chemins de transcendance et de communion spirituelle. Ce manque est tout aussi présent au sein d’un christianisme moralisant qu’au sein d’un christianisme social. Dans le christianisme oriental, cependant, surtout orthodoxe mais aussi catholique, le lien entre art et transcendance s’est maintenu plus solidement. On peut l’observer en comparant une icône orientale (souvent considérée au même niveau que la Bible), avec n’importe quelle image religieuse du XIXe siècle européen.
 
La capacité de l’Église et du christianisme en général à faire entendre leur message et à témoigner de la foi gagnerait à renouer véritablement avec l’expérience artistique. Trois grands axes se dessinent comme voies possibles. Premièrement, celui d’intégrer davantage dans les liturgies et les célébrations conventionnelles des éléments artistiques vus comme constitutifs de celles-ci (chants sacrés, jeux de lumières, mise en valeur de la symbolique et de l’architecture des lieux pendant la célébration). Ensuite, celui d’accueillir dans les églises et temples, en plus de concerts de musique sacrée ou religieuse, des pièces de théâtre et des expositions artistiques et multimédias qui mettent de l’avant la transcendance et la spiritualité, même si elles ne font pas partie d’une célébration ou d’une liturgie courantes. Enfin, lors d’occasions spéciales, articuler de nouvelles propositions liturgiques intégrant plus librement des éléments artistiques de manière à expérimenter de nouveaux chemins de célébration et de transmission de la foi.
 
En d’autres mots, il faut que l’Église équilibre son discours théologique, plutôt rationnel, par le recours au langage symbolique propre à l’expérience artistique. Heureusement, depuis un certain temps, il existe à Montréal deux initiatives vouées à la mise en valeur des arts sacrés, ainsi qu’au développement de la transcendance à travers l’art. Le Centre de créativité Le Gesù accueille des propositions artistiques – existantes ou nouvelles – qui visent l’intégration de l’art contemporain dans l’église du Gesù, un lieu sacré. Les Journées d’arts sacrés du Plateau ont pour leur part comme objectif, en plus de favoriser une redécouverte des arts sacrés chrétiens, de susciter une créativité artistique qui enrichisse le dialogue entre la modernité et la foi chrétienne, et d’offrir des chemins de beauté qui conduisent à la découverte du divin et à la convivialité dans notre milieu urbain.
 
L’art sacré et la dimension spirituelle des arts sont un lieu de dialogue et de communion, non seulement entre religion et modernité, mais aussi entre les différentes sensibilités au sein du christianisme, de même qu’entre celui-ci et les autres traditions religieuses. Renouer pleinement avec la dimension artistique de la foi serait pour l’Église un chemin de renouveau.

Une Église appauvrie: une chance?

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